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Tout le monde a le droit de bien se nourrir

Martha Gilson

Alors que les circuits courts se multiplient, les quartiers populaires semblent rester à l’écart des réseaux de proximité. Silence est allé à la rencontre de plusieurs initiatives qui tentent de briser ces inégalités et de rendre accessible une production biologique et locale.

L’accès à une alimentation bio et locale est devenu un enjeu important des métropoles européennes toujours en expansion. Les connexions et solidarités villes/campagnes se développent autour des questions agricoles. Si cet accès interroge en premier lieu l’existence même d’une agriculture locale et pousse en parallèle à l’essor d’une agriculture urbaine, il interroge aussi les possibilités réelles d’accès à ces productions, depuis certains quartiers populaires. Des initiatives font le pari de davantage de justice alimentaire, en s’appuyant sur des productions agricoles, à l’instar des Amis du Zeybu [1] à Eybens (Isère) ou de l’association VRAC à Villeurbanne et Strasbourg. Elles pensent l’accessibilité sous le triple prisme du prix, de l’équipement commercial et de l’efficacité des réseaux d’approvisionnement et des représentations sociales liées à un certain type d’alimentation.

Déserts d’équipements et prix exorbitants : renverser la tendance

L’association VRAC, basée à Villeurbanne, s’est lancée en 2013 avec un objectif  : démocratiser les bons produits. Son fondateur, Boris Tavernier, s’est alors tourné vers la Fondation Abbé Pierre, des bailleurs sociaux… pour financer l’initiative. Car la première barrière est bien souvent celle du prix. Le VRAC a fait le choix de vendre des produits à prix coûtants : l’association n’applique pas de marge sur les produits bio, locaux ou équitables. Les Amis du Zeybu, basés à Eybens, se sont développés dès 2009 en coopérative d’habitant·es en circuit court avec un principe de solidarité régénérateur de lien et de citoyenneté, autour d’une monnaie, le « Zeybu Solidaire ». Ce principe « Zeybu Solidaire » permet de créditer le compte d’adhérent·es en situation de difficultés grâce à la vente de dons en nature des producteurs et productrices. Ces derniers peuvent alors acheter leurs produits : c’est la boucle solidaire. « Outre les produits commandés, les producteurs nous donnent l’équivalent de 10 % de leur livraison en nature. L’argent récolté par la revente de ces produits est reversé à une association locale qui crédite les comptes Zeybu de personnes en difficulté, leur permettant de faire leurs courses comme les autres adhérents », précise Jean-Jacques Pierre, ex-président de l’association.
Ces deux associations insistent par ailleurs, au-delà de la question du prix et du partage des richesses, sur la disparition des commerces de proximité dans certains quartiers, sur le manque d’offres. Les Amis du Zeybu se sont montés en réaction à la disparition, dans un quartier piétonnier récent d’Eybens, du dernier commerce de proximité ; « ce qui à réveillé une envie enfouie de faire ensemble différemment et pour tous, à l’échelle de la proximité, avec un désir radical de s’opposer aux solutions classiques sans savoir vraiment pourquoi et comment », précise Jean-Jacques. L’association VRAC quant à elle s’implante dans les quartiers périphériques de Lyon et maintenant de Strasbourg, en proposant des réunions d’informations dans des écoles et des centres sociaux, et des permanences pour enregistrer les commandes puis procéder aux livraisons.

Bien-être des villes, bien-être des champs

Ces initiatives ne peuvent faire l’économie d’une réflexion autour de la justice sociale du côté des producteurs et des productrices et d’une interrogation sur les réseaux d’approvisionnement. « Le Zeybu solidaire n’existe que par la reconnaissance des producteurs. En effet dès l’origine les producteurs ont cru au projet et ils se sont engagés sur le don solidaire en nature. C’est leur reconnaissance qui a permis à l’équipe de départ de croire que le Zeybu avait du sens et cela bien avant que les adhérents urbains découvrent des vertus à notre hybride bête de lien ! » s’exclame Jean-Jacques. Boris, de l’association VRAC, confirme : « A côté, il y a du coup aussi des intérêts pour les producteurs. Par exemple un producteur de fromage de chèvre qui démarre m’a contacté. C’est un coup de pouce pour lui. Il vend ses fromage 1,10 € sur le marché et 0,90 € au VRAC. Ça lui permet de se faire connaître, et d’écouler une grande quantité de stocks ; il livre deux fois par mois 1500 fromages ! ». Ces initiatives sont génératrices de liens entre l’agriculture et les habitant·es des périphéries. Elles participent donc au respect et au bien-être
des agriculteurs et des agricultrices comme des mangeu·ses. Ces préoccupations font écho aux Assises de l’agriculture et de l’alimentation, initiées par La Confédération paysanne qui se sont tenues en janvier 2017 et qui ont débouché sur une liste de 13 doléances pour des politiques agricoles et alimentaires permettant l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité, produite par des paysannes et paysans qui vivent de leur travail et pratiquent une agriculture paysanne [2].

Le lien social au cœur du « bien manger »

Répondre aux déficits matériels ne suffit pas à rendre accessible une production agricole bio et locale. Les questions des représentations sociales, de l’apprentissage et du sentiment de légitimité sont au cœur des pratiques quotidiennes d’alimentation. Boris Tavernier est le premier à le souligner. Il explique que s’il était arrivé « en proposant ‘juste’ des produits bio, cela n’aurait pas marché. Nous avons commencé par des dégustations, juste pour convaincre, sur le goût, puis sur le prix. » L’association s’est ensuite appuyée sur les liens tissés dans différents quartiers, sur le bouche à oreilles. Elle est aujourd’hui présente dans 11 quartiers et revendique 900 adhésions. Le VRAC se définit avant tout comme générateur de lien social, et anime en parallèle du groupement d’achat des ateliers de cuisine, des concours de cuisine avec de grands chefs dans les quartiers, des rencontres à la campagne dans des fermes, etc.
L’association est aussi devenue, lors des permanences notamment, un lieu de rencontre – pour les femmes principalement. A Lyon plus de 90 % des adhérents sont des adhérentes.

# LES AMIS DU ZEYBU
Localisation : Eybens (Isère) • Création : 2009 • Bénévoles  : 20 • Salarié·es  : 0 • Adhérent·es  : 300 • Statut  : association loi 1901 • Budget : 50 000€ • Ouverture : marché le mardi tous les 15 jours • Local : 23 allée du Gerbier 38320 Eybens • Contact : lesamisduzeybu@gmail.com

# VRAC LYON
Localisation : dans 10 quartiers populaires • Création : 2013 • Bénévoles : 50 • Salarié·es : 3 salarié·es en CDI à plein temps et 2 services civiques. • Adhérent·es : 900 • Statut : association loi 1901 • Budget : 215 000 € • Ouverture : les commandes et distributions ont lieu une fois par mois dans les centres sociaux ou locaux mis à disposition par les bailleurs • Local : Villeurbanne • Contact : asso.vrac@gmail.com

# VRAC STRASBOURG
Localisation : Strasbourg • Création : 2016 démarrage du projet / 2017 création de l’association VRAC Strasbourg-Eurométropole • Bénévoles : 20 • Salarié·es : 1 équivalent temps plein • Adhérent·es  : 200 • Statut  : Association de droit local • Budget : 35 000 € • Ouverture : 1 commande par mois dans les 4 antennes strasbourgeoises • Local : 4 antennes existent aujourd’hui à Strasbourg, les prises et les réceptions de commandes sont organisées dans les centres socio-culturels de trois quartiers populaires • Contact : emmakrebs@ ares-actif.fr ou vrac_strasbourg@laposte.net

Les Amis du Zeybu ne se définissent pas autrement : « [Notre] rôle est de créer du lien à l’échelle du quartier, permettre à tous sans exclusive, de s’approvisionner en produits locaux principalement bio, en faisant ensemble. Un projet que nous avions qualifié à l’origine de banalement révolutionnaire ! ».
En 2016, grâce à la monnaie « Zeybu solidaire », 4700 € ont été versés sur le compte d’adhérent·es du Zeybu en situation de difficultés via l’expertise de l’association EAU (émanation du CCAS [3] d’Eybens), ce qui a garanti une juste répartition en préservant l’anonymat des bénéficiaires, et 2000 € ont été versés directement à l’épicerie sociale de la commune Pain d’épices (gérée par EAU) pour acheter directement des denrées de première nécessité. Aussi, si l’aide de la banque alimentaire est une aide vitale pour les bénéficiaires, l’aide du Zeybu est essentielle. C’est-à-dire porteuse de sens ! Dans la boucle solidaire tou·tes les intervenant·es (adhérent·es, producteurs et productrices, EAU, adhérent·es soutenu·es) contribuent, participent à la production de la monnaie « Zeybu solidaire », ce qui en fait un dispositif régénérateur de lien de convivialité, de solidarité, de respect de l’environnement…
Ces associations permettent de (re)donner le choix aux acteurs et actrices des systèmes alimentaires (de la production à la consommation), en brisant les logiques du capitalisme vert qui verrait dans l’accès à une agriculture locale et biologique un nouveau marché. Au contraire, c’est à partir des valeurs de partage et de solidarité que des liens se retissent et redessinent une redistribution plus juste des richesses agricoles.

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Notes

[1Voir aussi Silence, n°406, novembre 2012, p.21, « Isère - Le Zeybu, circuit court solidaire »

[3Centre d’action communale et sociale.

[4Voir aussi Silence, n°406, novembre 2012, p.21, « Isère - Le Zeybu, circuit court solidaire »

[6Centre d’action communale et sociale.

[7Voir aussi Silence, n°406, novembre 2012, p.21, « Isère - Le Zeybu, circuit court solidaire »

[9Centre d’action communale et sociale.