Article Monde Nucléaire

Kamishibai : dessiner pour briser le silence nucléaire

Bastien Charbouillot

Originaire d’Hiroshima, le dessinateur Teppei Ikumasa a assisté au deuil silencieux de milliers de Japonais·es, traumatisé·es par l’attaque atomique de 1945. « Les personnes concernées ne souhaitent pas souvent raconter leur histoire », dit-il, par peur des conséquences et du qu’en dira-t-on. Leurs existences se sont éteintes dans la discrétion, emportant avec elles la mémoire des victimes.

Teppei Ikumasa pratique le kamishibai, théâtre de dessins, une pratique traditionnelle japonaise. Il y a encore quarante ans, les enfants avaient l’habitude de voir circuler dans les rues ces forains ambulants, venus raconter des contes et des légendes pour quelques pièces, en montrant des dessins dans un cadre de bois sculpté (butai). Ils sont de moins en moins nombreux aujourd’hui.
En mars 2011, lorsque éclate la catastrophe de Fukushima, près de 90 000 personnes connaissent l’exil forcé. Teppei Ikumasa décide de ne pas laisser le silence s’installer de nouveau, et part pour recueillir leurs témoignages au plus vite. Chaque victime a sa propre histoire : il se propose de la mettre en dessins, pour que les exilé·es de Fukushima puissent eux-mêmes et elles-mêmes raconter ce qu’ils et elles ont vécu dans son petit théâtre. L’entreprise porte ses fruits et suscite l’émotion chez les évacué·es. Les échanges se multiplient et donnent naissance à plus de 120 kamishibai.

Réfugié·es à perpétuité

« Après l’accident, j’avais perdu espoir, puis j’ai rencontré les kamishibai », témoigne Yoko Oka. Cette pompière volontaire était en poste à Namié, une ville située à 4 km de la centrale, rapidement évacuée. « C’était une vie de réfugiés à perpétuité », témoigne-t-elle : elle ne savait plus si elle pourrait un jour s’installer véritablement quelque part. Comme beaucoup d’autres, les kamishibai l’ont aidée à se reconstruire.
Employée de bibliothèque, Hisai Yashima a réécrit non pas son histoire, mais celle de son chat BougeBouge, oublié au village de Namié et finalement retrouvé dans un foyer des semaines plus tard. Elle intervient régulièrement dans les écoles et recueille les impressions des enfants, souvent émus par le parcours du chat. Le langage enfantin du récit ne masque pourtant pas le propos : une ville abandonnée, des animaux errants, puis un foyer sombre et sans perspectives.
Après avoir mis en image l’expérience de nombreux pompiers et rescapé·es de Namié, Teppei Ikumasa décide de faire un film d’animation, Munen  [1]. Le film a été présenté aux fonctionnaires chargé·es de la reconstruction de la région de Fukushima. Teppei Ikumasa témoigne de leur émotion, et veut y voir une note d’espoir. Il ne baisse pas la garde pour autant. Yoko Oka, elle, est venue pour avertir la France : avec le nucléaire, « on ne peut jamais dire qu’on est en sécurité ».

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Notes

[1Ed. Remords. Le dessinateur est allé recueillir les témoignages des habitant·es et pompiers du village de Namié, situé à 4 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Un peu moins de 200 habitant·es y ont trouvé la mort au moment du tsunami du 11 mars 2011. Loin de tout catastrophisme, Munen présente la journée de l’évacuation du 12 mars telle que les pompiers l’ont vécue. En premier plan, une étrange neige berce les embouteillages et les files d’attente, signe d’un péril invisible. L’originalité du film, d’une troublante intensité, tient à l’implication des habitant·es de Namié. Ce sont elles et eux qui ont rejoué leurs propres rôles en donnant voix aux images.

[2Ed. Remords. Le dessinateur est allé recueillir les témoignages des habitant·es et pompiers du village de Namié, situé à 4 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Un peu moins de 200 habitant·es y ont trouvé la mort au moment du tsunami du 11 mars 2011. Loin de tout catastrophisme, Munen présente la journée de l’évacuation du 12 mars telle que les pompiers l’ont vécue. En premier plan, une étrange neige berce les embouteillages et les files d’attente, signe d’un péril invisible. L’originalité du film, d’une troublante intensité, tient à l’implication des habitant·es de Namié. Ce sont elles et eux qui ont rejoué leurs propres rôles en donnant voix aux images.

[3Ed. Remords. Le dessinateur est allé recueillir les témoignages des habitant·es et pompiers du village de Namié, situé à 4 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Un peu moins de 200 habitant·es y ont trouvé la mort au moment du tsunami du 11 mars 2011. Loin de tout catastrophisme, Munen présente la journée de l’évacuation du 12 mars telle que les pompiers l’ont vécue. En premier plan, une étrange neige berce les embouteillages et les files d’attente, signe d’un péril invisible. L’originalité du film, d’une troublante intensité, tient à l’implication des habitant·es de Namié. Ce sont elles et eux qui ont rejoué leurs propres rôles en donnant voix aux images.