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D’un écran à l’autre… la journée d’une collégienne

Christophe Ondet

A quoi ressemble une vie de collégienne dans une société phagocytée par les écrans ? C’est ce que racontent des membres du collectif Un projet de décroissance dans un récit qui s’inspire de la vie quotidienne. Silence en publie quelques extraits.

Ce récit est composé d’extraits d’un texte plus long publié le 18 décembre 2016 sur le site www.projetdecroissance.net

07h00 Il fait encore nuit lorsqu’une sonnerie de téléphone retentit. Le signal pour Héloïse, 13 ans, scolarisée dans un collège de la banlieue parisienne : il faut se lever... et vérifier ses messages. Aucun, juste quelques « like » sur les réseaux sociaux. Sa journée commence, ses doigts s’agitent frénétiquement sur l’écran tactile.
Héloïse s’assoit face à son bol de lait, le téléphone toujours en main, comme s’il la prolongeait. Le petit frère vient se vautrer sur le canapé avec son bol de céréales, la télévision comme compagnie. Les parents, quant à eux, se préparent, rangent la cuisine et, surtout, scrutent l’heure : l’emploi du temps du matin est serré.

A 8h05, arrivée devant le collège où une longue file de voitures rend l’air irrespirable. Héloïse rejoint ses camarades. Une majorité écoute de la musique sur téléphone. 8h10, l’entrée dans l’enceinte du collège est un moment charnière pour les élèves car… il faut éteindre et cacher son téléphone. Un dernier regard, une petite larme virtuelle.

Dans le hall, l’oeil est attiré par un écran géant qui annonce les absences de professeurs, le menu de la cantine et une intervention de la Ligue contre le cancer pour les élèves de 4e le lendemain. La sonnerie retentit à 8h15, c’est la mise en rang puis la montée dans la salle.

Marc Masson arrive devant le collège à 7h55. Bloqué devant le portail avec son véhicule, il doit en descendre pour contacter l’accueil avec l’interphone : sa télécommande ne fonctionne plus. A 8h00, devant le photocopieur de la salle des profs, il peut lancer une centaine de photocopies. Cela garnira les cahiers des élèves. A 8h05, assis avec un café, il pianote sur son téléphone.

Début du premier cours. Héloïse s’assoit à sa place habituelle, à côté de Lucie. Elles reprennent leur conversation de la veille, entamée sur Facebook, à propos de la photo d’une amie. Depuis deux ans, l’appel des élèves se fait en ligne et est transmis, via les tuyaux du net, au service « vie scolaire » qui prévient alors les familles par SMS. Le professeur préfère, car cela évite de la paperasse. Il allume le vidéoprojecteur interactif suspendu au plafond, son « second », son adjoint. Le principe est simple : l’écran d’ordinateur est projeté sur le tableau et, à l’aide d’un stylet, l’enseignant peut agir directement sur le tableau blanc baigné par la lumière. Les 27 élèves de la classe n’y font presque pas attention. Loin de l’émerveillement que cette technologie avait suscité lors de son installation, c’est désormais la routine. Il y a dix ans, un tableau à craie trônait dans cette même salle et, pour Marc Masson, les élèves n’apprenaient pas moins bien. Pendant 45 minutes, le cours se déroule sans heurt, l’informatique comme alliée, car tout est projeté de façon progressive. A la fin, il annonce que le cours sera mis sur Pro-Education dans la journée. Ce logiciel permet de recenser les absents, de contacter les familles, de renseigner les notes et de mettre à jour le cahier de texte de la classe.

Chaque fois que Masson précise qu’il mettra le cours sur Pro-Education, c’est que la sonnerie de fin du cours va retentir. Maintenant, deux heures de français avec Mme Dupré. Là, l’écran projette déjà le titre de la leçon : « Littérature et résistance. » C’est reparti pour passer presque deux heures face à un écran. Ce cours assomme Héloïse et Lucie ; elles discutent de téléréalité et de chanteurs. La sonnerie de la récréation sauve les deux collégiennes de l’ennui.

10h15, la salle des professeurs s’anime autour de la photocopieuse et la machine à café. Les discussions fleurissent autour du comportement des élèves, de l’incapacité de l’équipe de direction et de la énième réforme du ministère. A les écouter, rien ne va. M. Hamzi, référent en « nouvelles technologies » mais aussi prof de techno, est interpellé par une collègue dont l’ordinateur ne fonctionne pas. Il s’étonne car il fonctionnait lorsqu’il l’a vérifié. Il avait juste rebranché un câble, encore une fois. Sa collègue explique qu’elle n’a pas pris la peine de vérifier pour ne pas perdre de temps. Un dialogue de sourds s’installe. M. Hamzi est las, pas de « merci » et lui non plus n’est pas informaticien. Il ne comprend pas que l’institution donne du matériel informatique à ses collègues mais que ces derniers ne fassent pas l’effort de se l’approprier. Pourtant, sans lui, les enseignant·es sont désormais démuni·es … seul·es face à leur classe.

Dans la cour, les élèves chahutent ou discutent. Certains utilisent leur téléphone, discrètement car c’est interdit, mais une tolérance s’est installée. A 10h30, sonnerie. Il faut retourner au cours lénifiant de Mme Dupré, en retard dans son programme. Elle trouve ses élèves trop mous. La faute à la télévision, à l’ordinateur et aux réseaux sociaux qui, pense-t-elle, les abrutissent.

En sortant de la salle, les deux amies ont une heure de pause repas : un des bons moments de la journée. Après, c’est EPS, éducation physique et sportive. La classe se rend au gymnase où la professeure, Mme Spinoza, commence par demander aux élèves une attestation de natation pour une sortie scolaire à venir. « Sympa, cette sortie », se dit Héloïse : on va faire de la voile, du canoë, du VTT. Le cours se déroule tranquillement. Ensuite, retour au vestiaire puis cours d’anglais de Mme Sautier.

16h45, la journée au collège prend fin pour Héloïse. La sortie est une libération. Son premier réflexe est de rallumer son téléphone portable.
Un écran remplace d’autres écrans…

Christophe Ondet
avec le collectif Un Projet de décroissance

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