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La suite des aventures d’Areva au Niger

Raphaël Granvaud

Un récent rapport relève les incohérences suspectes dans les chiffres publiés par Areva et le manque à gagner pour le budget public de l’État nigérien.

Deux directives européennes (comptable et transparence) de 2013, transposées en droit français fin 2014, obligent les entreprises pétrolières, gazières et minières enregistrées et/ou cotées dans l’UE à publier chaque année les paiements effectués au profit des États dans lesquels elles ont des activités extractives (impôts, redevances, etc.). En 2016, six entreprises françaises ont donc publié pour la première fois ces données, qu’ont analysées One, Oxfam France et Sherpa, en collaboration avec le Basic : Areva, EDF, Engie, Eramet, Maurel & Prom et Total. Premier constat du rapport (« La transparence à l’état brut », 13 avril) : la transposition française de la directive européenne sur la transparence des industries extractives reste très imparfaite et n’interdit pas un certain flou, voire une certaine opacité. Ainsi pour Total, on constate « un écart de plus de 100 millions de dollars entre les revenus déclarés par l’Angola en 2015 et les revenus déclarés par les entreprises, qui opèrent avec Total le plus gros champ pétrolier du pays ». Détournement angolais ou jeu de cache-cache entre Total et ses filiales ? L’entreprise à capitaux publics Areva n’est pas en reste au Niger.

Passe-passe avec le fisc nigérien

En 2014, après plusieurs mois de bras de fer, l’État du Niger obtenait d’Areva, à l’occasion du renouvellement de sa concession, qu’elle se conforme enfin au code minier de 2006. Mais les contreparties obtenues par la firme française laissaient sceptiques les ONG Oxfam en France et le ROTAB au Niger. Le rapport des ONG ONE, Oxfam et Sherpa vient confirmer leurs inquiétudes. On peut en effet constater qu’Areva paie finalement moins au Niger après la renégociation de sa convention minière qu’avant, grâce à plusieurs tours de passe-passe. Areva avait obtenu l’alignement du prix d’enlèvement de l’uranium (c’est-à-dire le prix qu’Areva paye à sa filiale nigérienne, donc à elle-même) sur plusieurs prix du marché, dont les prix à court terme, historiquement plus bas que les autres. Or les pratiques commerciales d’Areva relèvent en réalité du long terme. Areva déclare également une hausse des coûts de production très importante, qui pourrait dissimuler des transferts de bénéfices vers d’autres filiales (logistique, marketing, transport…). Au final, la rentabilité des sociétés minières nigériennes détenues par Areva a ainsi fortement baissé, entraînant à la fois une baisse des montants sur lesquels s’applique la redevance minière mais aussi une baisse du taux de cette redevance : Areva peut continuer à payer 5,5 % des bénéfices de sa filiale, c’est-à-dire le taux le plus bas, comme avant la renégociation de 2014…

Manque à gagner

Les revenus que l’État du Niger tire de l’uranium ont ainsi chuté de 15 millions d’euros entre 2014 et 2015. À l’inverse, si l’uranium était payé à un prix conforme aux pratiques des autres producteurs, ce sont 30 millions d’euros supplémentaires qui auraient pu alimenter le budget nigérien. Le Niger qui produit 30 % de l’uranium d’Areva ne touche ainsi que 7 % des versements, tandis que le Kazakhstan qui en produit 26 % concentre les trois quarts des paiements d’Areva aux pays producteurs. Cherchez l’erreur !

Raphaël Granvaud

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