Dossier Alternatives Education Formation

L’école internationale de boulangerie bio

Michel Bernard

A partir de 2005, un centre qui forme chaque année une trentaine de boulanger-es bio s’est développé. Une école unique qui rencontre un grand succès.

Fiche d’identité
• Localisation : Noyer-sur-Jabron (337 habitant-es, Alpes-de-Haute-Provence) • Création : 2005 • Local de 200 m2 en pleine campagne • 3 salarié-es + nombreu-ses intervenant-es • Statut : SAS • Chiffre d’affaires : 400 000 € • 10 élèves par session, 3 sessions par an.

Thomas Teffri-Chambelland, enseignant en biologie jusqu’en 2001, décide de passer un CAP de boulangerie et ouvre une boulangerie bio à Sisteron. Parallèlement, il achète une exploitation agricole de 25 hectares dans la vallée voisine du Jabron pour y produire ses céréales.
En 2005, il crée une petite structure de formation pour de futur-es boulanger-es bio. Si l’agriculture bio se développe, s’il existe un statut de paysan-boulanger et si de nombreuses boulangeries proposent des pains bio, il constate qu’il n’y a pas de diplôme spécifique. Il engage une démarche auprès de l’État. Un diplôme est validé en 2013 : « formation boulangerie en agriculture biologique et fermentation au levain ». C’est aujourd’hui le seul diplôme en ce domaine dans toute l’Europe.
A côté de l’apprentissage des savoir-faire, l’école assure également un encadrement pour aider les futur-es boulanger-es à construire leur projet, un accompagnement à la création d’entreprise.
La structure de formation se transforme alors en École internationale de la boulangerie. Après deux ans d’enseignement dans des salles louées à Aix-en-Provence, il obtient l’autorisation de construire un bâtiment sur ses propres terres, dans un hameau perdu dans la montagne. Le bâtiment est réalisé de manière saine : laine de bois et liège pour l’isolation, bardage de mélèze (bois local), solaire thermique, eau de source, raccordement électrique à Enercoop. Les contraintes d’hygiène sont importantes : lavage des lieux à grandes eaux, sécurité des fours…

Une école pour aider à concrétiser son projet

L’école accueille une trentaine d’adultes par an. La sélection se fait sur les projets que l’école aidera à concrétiser. Il n’y a pas de jugement : l’appréciation porte seulement sur leur cohérence. La plupart des élèves ont entre 30 et 50 ans et sont en reconversion. Autant d’hommes que de femmes, qui proviennent de professions variées : anciens constructeurs, notaire, restaurateur… Beaucoup ont un diplôme plus élevé que le bac et déjà une expérience d’entreprise.
La formation se fait sur 14 semaines (605 heures) avec trois stages en entreprise (un d’une semaine et deux de deux semaines), choisis parmi une centaine de lieux d’accueil, un peu partout en France. Thomas Teffri-Chambelland parle volontiers d’une approche « libertaire » : « on offre des caisses à outils, il n’y a pas de dogme, pas d’examen à la fin de la formation ». Certaines personnes sont déstabilisées par l’absence de cadre. Ici, chacun. e vient avec ses valeurs et les garde pour soi. Des gens cohabitent avec des visions très différentes.
20 % arrivent de l’étranger ou s’y destinent. Des élèves sont venu.es du Japon, de Colombie, d’Allemagne… (1).
Une très forte demande entraine 18 mois d’attente actuellement. Pour postuler, il faut être en bonne santé : « il faut pouvoir parfois rester debout pendant huit heures en étant exposé à la chaleur ». Il faut savoir se servir d’un ordinateur.
Chaque formation accueille dix personnes avec trois cycles par an. Il y a deux formateurs et une formatrice. S’y ajoutent des boulanger-es, des meunier-es, d’ancien-nes élèves. Ce qui fait en permanence 2 à 3 formateurs et formatrices pour 10 élèves. L’école permet d’accéder à tout un réseau social autour de la boulangerie.
Entre les sessions, l’équipe de l’école travaille en recherche et développement autour de nouveaux produits (lors de notre passage, des travaux étaient en cours pour étudier le panettone italien). Le collectage, la sauvegarde de documentation et la remise en pratique des savoir-faire anciens font partie du travail assuré par l’école.
80 % des élèves s’installent à leur compte dans les 18 mois qui suivent, les autres trouvent du travail comme salarié.es. Quasiment 100 % ont ensuite un emploi. La plupart des entreprises créées ont entre 1 et 5 salarié-es avec des chiffres d’affaires annuels de 100 à 500 000 €. La demande urbaine est très forte.
Beaucoup viennent pour des questions de valeurs : le métier apparaît comme « propre ». Pour Thomas Teffri-Chambelland, « c’est un métier porté par une vision du monde. On peut trouver moins difficile ».

Un métier en constante évolution

Ici, tous les cours se font en journée, avec respect du week-end. Cela donne des idées et ensuite de nombreux projets se mettent en place en renonçant au traditionnel travail de nuit. Autre évolution : il est nécessaire aujourd’hui de diversifier la production, notamment avec l’augmentation des intolérances alimentaires. Le recours au levain est un des fondamentaux de l’école. Ce travail qui consiste en une fermentation naturelle en milieu acide assure une « prédigestion » du gluten dans la pâte favorisant ainsi sa digestibilité. Au-delà des fabrications traditionnelles sur base de blé et de seigle, un travail plus novateur de recherche sur l’utilisation possible du riz en panification est un axe de travail important de l’école.
Les nouveaux produits doivent accompagner les demandes contemporaines, mais aussi maintenir l’importance du goût. « Le sans gluten ne doit pas être un sans-plaisir ». L’école apprend à faire également des produits végans, sans sel, sans œufs, sans sucre… Aujourd’hui, la demande en pains spéciaux représente environ 10 % du chiffre d’affaires d’une boulangerie.
Beaucoup de candidat.es viennent ici pour « mettre la main à la pâte » et découvrent que, malheureusement, ils et elles n’échapperont pas à l’ordinateur. Avec internet, il est aujourd’hui possible de créer une entreprise en une journée… mais cela ne permet pas de se soustraire à la grande complexité administrative.

Une intégration locale réussie

Localement, au moment de la demande de permis de construire, il y a eu quelques suspicions. Maintenant, l’école fait vivre trois personnes directement et alimente les gîtes alentour. Chaque jour, pendant les sessions, 200 à 300 kilos de pains et pâtisseries sont produits. L’essentiel est offert à des structures caritatives. Une action solidaire en cohérence avec les valeurs mises en avant par l’école.

MB.

• Ecole de Boulangerie, Saint-Martin, 04200 Noyers-sur-Jabron, tél. : 07 88 36 47 85, http://eidb.fr

(1) Il faut comprendre le français pour suivre la formation. L’idée de cours en anglais a été abordée, mais pour le moment abandonnée. Thomas Teffri-Chambelland dispense par ailleurs des cours en anglais au sein d’une autre école à San Francisco aux Etats-Unis.

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