Article Énergies Transition énergétique

Scénario Négawatt, nouvelle édition, nouvelles questions

Michel Bernard

Le 25 janvier 2017, l’association NégaWatt, qui regroupe une centaine d’experts dans le domaine de l’énergie, a publié la troisième édition de son scénario.

Le principe des scénarios NégaWatt est d’intégrer ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’efficacité énergétique, de la sobriété et des énergies renouvelables… pour imaginer ce que serait le système énergétique de demain qui continuerait à rendre les services actuels en se libérant du nucléaire et en limitant les émissions de gaz à effet de serre.
Depuis le premier scénario présenté en 2003, il y a plusieurs évolutions majeures : d’abord la courbe de la consommation énergétique s’est inversée notamment grâce à une meilleure efficacité. Les progrès et la baisse des coûts dans le domaine des énergies renouvelables (division du coût des panneaux photovoltaïques par 5 en huit ans) permettent d’envisager un avenir de plus en plus ambitieux. Le scénario NégaWatt estime aujourd’hui qu’il est possible de diminuer de moitié notre consommation.

Un scénario économe n’est pas plus coûteux que le modèle actuel

Le scénario 2017 affirme qu’avec une politique volontaire, il est non seulement possible de sortir du nucléaire, mais également des énergies fossiles d’ici 2050. Il chiffre le coût de la transformation proposée : sensiblement du même ordre que la politique énergétique actuelle. Il montre que le choix d’aller vers les renouvelables permet de créer plus d’emplois que la tendance actuelle (+400 000 d’ici 2030).
Le scénario NégaWatt a intégré le scénario Afterres2050 qui montre que l’agriculture et la forêt jouent un rôle majeur sur le climat : ressources en énergie, stockage du carbone, réduction des gaz à effet de serre.
Si le scénario NégaWatt est favorable aux efforts de l’économie circulaire qui essaie de favoriser le recyclage, il estime toutefois, avec justesse, qu’il n’est pas possible d’aller jusqu’au bout de la démarche (car tout ne peut pas se recycler), mais que cela peut permettre de diminuer à terme de moitié les besoins de matières minières consommées, ce qui diminue d’autant les consommations liées au transport de ces produits.
Le scénario NégaWatt permet de nombreuses économies dans le domaine de la santé et de l’environnement : meilleure qualité de l’air, de l’eau, des sols, meilleur respect de la biodiversité…
Le changement de mode de production de l’énergie entraine une décentralisation, ce qui se traduira par une réduction du nombre de personnes en précarité énergétique, une proximité plus grande avec les questions énergétiques et donc plus de solidarités locales.

Des questionnements possibles

Ce scénario optimiste fait un certain nombre de paris, ce qui ouvre les débats.
Il prône une accélération de l’amélioration de la rénovation thermique des bâtiments : il conviendrait d’analyser pourquoi, malgré une législation qui va dans ce sens (Grenelle de l’Environnement, Loi de transition énergétique pour la croissance verte), les objectifs officiels ne sont pas atteints. Le problème semble être les blocages financiers (les petits propriétaires n’ont pas les moyens d’investir dans l’amélioration de leur logement) et professionnels (il faut du temps pour former les artisans du bâtiment quand par exemple la précision des travaux pour un bâtiment à énergie positive doit passer du centimètre au millimètre).
Côté transport, le scénario s’attaque à la question de l’avion en proposant des solutions pour que celui-ci devienne inutile pour les distances de moins de 800 km. Il n’en reste pas moins que le développement du tourisme par avion est une grave dérive qui entraine une des plus fortes hausses des émissions de gaz à effet de serre actuellement (avec internet) et qu’il faudrait aussi s’interroger pour relocaliser nos activités de loisirs : le scénario laisse cela à l’état de question.

Marche et vélos ont un plus grand potentiel

Toujours pour les transports, il propose un recours massif aux transports collectifs et aux voitures électriques au moins en milieu urbain. NégaWatt chiffre à seulement 500 km par habitant et par an les déplacements à vélo et à pieds en 2030 (soit moins de 2 km par jour !) pour un total de 14500 km soit 3 % des déplacements… Cela semble une grosse sous-estimation.
Le potentiel des vélos électriques beaucoup plus économes en énergie mais aussi en matériaux que la voiture électrique est oublié (1). Les possibilités d’évolution dans les transports que peuvent initier les politiques locales également : à Paris, par exemple, la marche à pied représente déjà 47 %, le vélo 3 %, les transports en commun 33 % et la voiture plus que 17 % (et 11 % à Londres). Bien sûr, en milieu rural, ce n’est pas aussi favorable pour la marche… mais les vélos électriques s’y multiplient aussi à grande vitesse (2).
Les limites dans l’extraction de matériaux (comme les terres rares) peuvent aussi arriver à bloquer la production des énergies renouvelables (éoliennes, photovoltaïque). Même avec un recyclage vertueux, il n’est pas exclu de voir des blocages apparaître.

Prudence sur l’exploitation de la biomasse

Le scénario prévoit une hausse importante de l’utilisation de la biomasse. Les grandes centrales thermiques actuelles montrent déjà des limites vis-à-vis du renouvellement des forêts (3). Celles-ci ne sont pas que des réserves de bois, mais aussi de biosphère et il est urgent d’en préserver un certain volume. Même avec la promotion de l’agroforesterie mise en avant par NégaWatt, est-il raisonnable d’augmenter ce secteur ?
Concernant le chauffage, le scénario prévoit une plus grande électrification, non pas avec des convecteurs comme actuellement, mais avec le recours à des pompes à chaleur. Certes ces dernières peuvent avoir de bons rendements, mais comme toute technologie peuvent tomber en panne. Il semblerait plus pertinent de promouvoir d’abord des normes « passives » où il n’y a plus de besoins en appareils de chauffage : l’activité des occupants des lieux suffit à provoquer le faible échauffement nécessaire, comme cela se pratique déjà dans des logements expérimentaux (4).
Concernant notre imaginaire sur les économies d’énergie, il y a cependant de nombreux obstacles à franchir. Ceux-ci ne sont pas seulement techniques, mais également sociaux, idéologiques, culturels, économiques et politiques. Si le scénario ouvre la voie à un futur possible, la marche pour l’atteindre semble encore longue et complexe.

Michel Bernard

Découvrir le scénario : https://negawatt.org/

(1) Un vélo électrique consomme environ 80 fois moins de matériaux et 80 fois moins d’énergie qu’une voiture électrique.
(2) Mais là aussi une politique de sentiers réservés aux marcheurs et de véloroutes peut changer la donne. Lire l’article sur les voies cyclables rapides interurbaines, Silence n°453, février 2017.
(3) voir le dossier « La forêt brûle », Silence n°428.
(4) Certains logements du quartier Vauban à Fribourg (Allemagne) fonctionnent sans chauffage depuis déjà plusieurs années, sans surcoût de construction. Toutefois, le logement se renouvelle lentement : 2 % par an, ce qui limite l’impact des nouvelles pratiques économes.

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