Depuis fin janvier 2017, Jerry Sehgal reçoit 1000 euros chaque mois, sans condition. L’apprenti menuisier de 23 ans a participé à une loterie un peu particulière, où les gagnants font l’expérience du revenu universel pendant un an.
Pour ce Berlinois, c’est une nouvelle vie qui commence. « J’ai enfin pu m’inscrire au permis de conduire, j’ai commencé à prendre des leçons de piano, j’ai envie de voyager en Asie, et je peux aussi tout simplement inviter mes proches », s’enthousiasme-t-il.
Surtout, il compte profiter de sa chance pour se payer une formation de travailleur acrobatique, développer sa polyvalence pour accéder à de meilleurs postes. « Sans cet argent, cette formation aurait été inaccessible, à moins d’épargner longtemps ». En tant qu’apprenti, il gagne environ 900 euros par mois.
« Les gens continuent de travailler »
Comme lui, 80 personnes bénéficient ou ont bénéficié du dispositif depuis 2014. Tous les deux mois environ, un tirage au sort est organisé par Mein Grundeinkommen — « mon revenu de base », en français — et diffusé en direct sur Internet. Tout le monde peut y participer gratuitement.
L’expérimentation a été lancée par Michael Bohmeyer, un jeune entrepreneur berlinois. Selon lui, « il ne s’agit pas de convaincre que le revenu universel est une bonne idée, mais plutôt de poser la question et de raconter l’histoire de ceux qui ont fait l’expérience ».
Et les histoires qu’ils racontent sont toutes positives. « Nous avons des retours très variés, mais tous disent d’une seule voix qu’ils dorment mieux ! sourit-il. Plusieurs se sont mis à leur compte, un chômeur de longue durée a retrouvé du travail, un malade chronique a pu stopper la progression de sa maladie. Mais la plupart vivent comme avant, avec moins de stress simplement ».
Les bénéficiaires ne seraient donc pas devenus fainéants ? « Bien sûr que non, les gens continuent de travailler. Le travail, ce n’est pas seulement gagner sa croûte, c’est faire partie d’une société », estime-t-il.
« Faire plus confiance aux gens au lieu de les contrôler »
Pour l’entrepreneur, qui se voit comme un pionnier, il s’agit « de faire plus confiance aux gens au lieu de les contrôler ».
L’association, devenue entreprise à but non lucratif, emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes et fait appel au financement participatif pour payer les bénéficiaires. C’est l’originalité de l’expérience allemande, par rapport au cas finlandais, par exemple : elle émane de la société civile. 50 000 donateurs ont déjà apporté un million d’euros. Parmi les soutiens, des citoyens ordinaires, mais aussi des chefs de grandes entreprises et un milliardaire.
Cet engouement trouve pour l’instant peu d’écho sur la scène politique allemande. « Les gens travailleraient moins, on créerait moins de richesses et donc on ne pourrait plus financer la mesure. Ce n’est pas viable », estime Klaus Ernst, député du parti de gauche Die Linke qui poursuit : « Une politique sociale doit cibler ceux qui en ont besoin, ce n’est pas le cas du revenu universel ».
Des critiques que réfute Michael Bohmeyer : « C’est aussi une mesure sociale, parce que les gens reçoivent tous quelque chose de façon égalitaire. Je n’ai pas à aller quémander de l’argent à l’État. Je reçois de l’argent comme les autres, tout simplement parce que je suis un être humain. Il s’agit de justice sociale et d’un nouveau contrat social, qui peut effacer les divisions et recréer de la cohésion entre les couches de la société ».
C’est en tout cas ce que tenteront de défendre des militants pro-revenu universel lors des élections législatives allemandes, en septembre prochain. Le Parti du revenu de base vient de se créer à Munich et espère bien porter le débat jusqu’au Bundestag, le Parlement allemand.
Violette Bonnebas