Dans les années 1960, le mouvement ouvrier anglais connait une augmentation du nombre de conflits sociaux. Si les femmes y participent, les grèves composées exclusivement de femmes sont encore rares jusqu’à la fin de la décennie. En juin 1968, dans un des ateliers de l’usine Ford à Dagenham, les femmes vont pourtant à l’unanimité décider de cesser le travail. Elles sont machinistes-couturières et fabriquent les housses de sièges de voitures. Bien qu’étant seulement 183 sur les milliers de salariés que compte l’usine, ces ouvrières sont indispensables à la fabrication des Corona qui sortent de la plus grosse usine Ford du pays. La grève est déclenchée après que les ouvrières ont été reclassées de la catégorie C (production qualifiée) à la catégorie B (moins qualifiée) avec la perte de salaire afférente. Dans l’atelier Ford, les femmes sont syndiquées, ce qui est alors assez rare, et la centrale syndicale est obligée de suivre malgré son peu d’enthousiasme pour une lutte dont les représentants syndicaux craignent qu’elle ne bénéficie pas aux ouvriers hommes. Mais ces femmes de milieu populaire sont décidées. Souvent anciennes couturières reconverties dans l’industrie, elles travaillent dans des conditions pénibles pour un salaire inférieur à celui des hommes des mêmes catégories.
We want sex equality
Alors qu’en France le mouvement social de mai se termine, le gouvernement anglais travailliste craint que cet esprit de révolte traverse la Manche. Il regarde avec inquiétude ce groupe de femmes qui reconduisent leur grève pendant 3 semaines et force Ford à cesser la production faute de housses. Contrairement à l’image qu’en donne Nigel Cole dans le film qu’il a consacré à cette lutte, We want sex equality, ces ouvrières sont rarement de jeunes pin-ups qui travaillent en soutien-gorge dans la chaleur de leurs ateliers. Sheila Douglass a expliqué qu’elles étaient bien trop prudes pour faire une chose pareille, mais elles font par contre des manifestations dans Londres avec force banderoles réclamant la reconnaissance de leurs qualifications et la fin des discriminations sexuelles. Barbara Castle, ministre travailliste, se voit dans l’obligation de recevoir autour d’un thé les représentantes de cette « armée en jupons » comme les qualifie alors la presse misogyne. Elles sortent de cette entrevue avec une revalorisation salariale et la promesse d’une mise à l’agenda de la question des salaires des femmes. Ce sera chose faite en 1970 avec l’Equal Pay Act suivi par le Sex Discrimination Act en 1975. Les ouvrières de Ford auront cependant à retourner dans la rue quelques années plus tard pour obtenir enfin le salaire égal. Quant à l’Equal Pay Act, il n’a pas produit l’effet escompté et les Anglaises, comme les Françaises, gagnent toujours un salaire de 20 % inférieur à celui des hommes. C’est qu’en matière de lutte sociale et féministe, l’obtention de lois et de droits n’est jamais suffisant, encore faut-il qu’ils soient appliqués et rendus effectifs pour toutes. Et pour cela, les tea parties dans les ministères souvent ne suffisent pas.
Isabelle Cambourakis
En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée "100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui". Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.