Article France Paix et non-violence

Civiliser la Défense plutôt que militariser les civils

Alain Refalo

Militant actif de la non-violence, écrivain, initiateur du mouvement des enseignant-es désobéisseur-ses de l’école primaire, Alain Refalo présente ici des stratégies non-violentes peu connues pour défendre la démocratie face aux dangers qui la guettent.

Les mouvements non-violents ont élaboré à partir des années 1970-80 le concept de « Défense civile » comme alternative à la défense armée en cas d’invasion militaire étrangère ou encore de coup d’État. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette stratégie peu connue ?
Les réflexions autour de cette stratégie de défense civile non-violente s’inspirent surtout des résistances civiles en Europe pendant l’occupation nazie. Ces résistances non armées ont montré qu’une population pouvait se protéger et se défendre par des actions de non-collaboration avec l’ennemi. Et il est vrai que de nombreuses résistances populaires ont considérablement enrayé la machine à dominer et à réprimer pendant la Seconde Guerre mondiale. L’étude de ces exemples a permis aux chercheurs et aux chercheuses de penser que ces méthodes pouvaient avoir leur place dans la défense d’un pays en cas d’invasion ou de coup d’État, aux côtés ou à la place des moyens militaires. On peut définir la défense civile comme une défense collective non-violente qui vise à résister à toute tentative de domination ou de destabilisation politique, d’influence idéologique ou d’exploitation économique de la société. Cette défense, ne peut être improvisée ; elle nécessite une préparation et une organisation dès le temps de paix.

En quoi consiste cette stratégie concrètement ?
Il s’agit de se préparer à une non-coopération de masse et à une désobéissance civile généralisée face à des directives qui émaneraient d’un gouvernement illégitime par exemple. Cette non-coopération dans les administrations, les entreprises, les médias ou encore les associations permettrait de garder un contrôle populaire sur les services du transport ou encore de l’énergie, de sauvegarder une indépendance des médias et des activités économiques et sociales face à une tentative possible de mainmise du pouvoir en place. Il s’agit donc de donner à la société civile les moyens de se défendre contre une agression anti-démocratique, en privant le pouvoir des moyens de mettre en place sa politique. [1]

En quoi une défense civile peut-elle avoir du sens aujourd’hui alors que la France n’est pas menacée aux frontières par une puissance étrangère ?
Effectivement, il s’agit d’envisager d’autres menaces que la menace militaire. Que ce soient les idéologies aux antipodes du respect et de la dignité de l’humain qui prospèrent ou le terrorisme, c’est d’abord notre démocratie qui est menacée de l’intérieur. Ce ne sont pas tant les frontières de notre territoire que les frontières de la démocratie qu’il faut défendre. Dans cette perspective, les moyens militaires s’avèrent largement inopérants. Il appartient à la société civile et aux citoyen-nes de défendre les valeurs et les institutions de la démocratie avec des moyens qui sont en cohérence avec l’esprit et les finalités de la démocratie. En somme, il s’agit de se défendre sans se renier, et surtout sans se détruire. Car cette réflexion sur la défense civile fait aussi le constat de l’impasse de la dissuasion nucléaire qui ne nous protège pas contre ces menaces et qui fait peser sur notre futur une menace mortelle. A l’heure où beaucoup considèrent que les citoyennes doivent jouer un rôle plus important dans la vie démocratique, il apparaît essentiel que les citoyen-nes aient une place plus importante dans la défense de la démocratie qui ne saurait reposer sur les seuls outils militaires. C’est pourquoi je pense que le concept de « défense civile non-violente », élaboré il y a plus de trente ans, demeure toujours pertinent dans la situation actuelle.

Quel est le rôle respectif des autorités d’une part, et de la de société civile et des associations d’autre part, dans cette défense de la démocratie ?
Les associations ont un rôle central à jouer dans la défense civile. Actrices majeures de la vie démocratique, elles doivent être des actrices essentielles de la défense de la démocratie.
Les associations qui développent de nombreux réseaux d’entraide et de solidarité dans les luttes contre les exclusions et les discriminations participent à la cohésion du tissu social, indispensable en cas de menace sérieuse sur la démocratie. Or, nous savons que plus une société est atomisée et fracturée, plus elle aura des difficultés à faire front pour se défendre en cas de menace sérieuse sur son existence. Les associations peuvent être un vecteur central de la mobilisation civile, de la circulation de l’information, de la diffusion des consignes de résistance, et l’organisation d’actions de masse. Elles peuvent contribuer efficacement à enrayer les tentatives de déstabililation ou de mises au pas de la société et contraindre un éventuel agresseur ou usurpateur à renoncer à son entreprise de contrôle ou d’influence de la société démocratique.

Quels seraient les effets positifs sur la société française de l’impulsion d’un tel type de défense ?
Cette défense civile que nous préconisons est une défense sociale, en ce sens qu’il existe un lien fondamental entre les luttes sociales pour la préservation et la promotion des droits et des libertés en temps de paix et la défense par la société civile de ces mêmes droits et libertés en temps de crise. Nous pouvons d’ailleurs postuler que plus les citoyen-nes d’un pays participent à la vie démocratique de leur pays, plus ils et elles seront motivé-es et préparé-es à défendre la démocratie si celle-ci était menacée, y compris par un coup d’Etat ou une agression extérieure. Investir dans la défense civile, c’est donc faire le choix de civiliser la défense au lieu de militariser les civils. Ainsi, la défense civile, non hiérarchisée et décentralisée, est une défense populaire de la société civile. Elle donne au peuple les moyens de se défendre y compris contre les abus de l’Etat et éventuellement contre les excès de l’armée. Il est probable que l’Etat regardera avec méfiance cette alternative à la défense militaire... Sûrement qu’une telle défense civile n’est concevable que dans une société démocratique avancée où le rôle de l’Etat est réduit au strict minimum.

Pour aller plus loin
■■ En conscience je refuse d’obéir. Résistance pédagogique pour l’avenir de l’école, Alain Refalo, 2010, éd. Des îlots de résistance.
■■ La dissuasion civile, JM Muller, Jacques Sémein, Christian Mellon, 1985,
Fondation pour les études de défense nationale.
■■ Les stratégies civiles de défense, IRNC, 1985.

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Notes

[1Note de la rédaction : Certains exemples historiques sont des sources d’inspiration convaincantes pour de telles stratégies. Ainsi la résistance de la société allemande au putsch de Kapp en 1920, qui a pris les commandes du pouvoir mais s’est heurté à la désobéissance généralisée de l’ensemble de l’administration et des services de l’Etat, réduisant ses ordres à néant. Citons aussi le printemps de Prague en 1968 où la société civile a réussi à désorienter le pouvoir militaire de l’envahisseur soviétique en lui faisant perdre ses repères (inversion des panneaux de signalisation, des noms sur les portes, etc.). Ou encore, aux Philippines, la destitution du dictateur Marcos en 1986 dont les tanks ont été noyés dans une foule de plus d’un million de personnes descendues dans la rue, puis le mouvement People Power 2 en 2001 qui a destitué le président Estrada par des coupures de courant dans tout le pays entre autres.

[2Note de la rédaction : Certains exemples historiques sont des sources d’inspiration convaincantes pour de telles stratégies. Ainsi la résistance de la société allemande au putsch de Kapp en 1920, qui a pris les commandes du pouvoir mais s’est heurté à la désobéissance généralisée de l’ensemble de l’administration et des services de l’Etat, réduisant ses ordres à néant. Citons aussi le printemps de Prague en 1968 où la société civile a réussi à désorienter le pouvoir militaire de l’envahisseur soviétique en lui faisant perdre ses repères (inversion des panneaux de signalisation, des noms sur les portes, etc.). Ou encore, aux Philippines, la destitution du dictateur Marcos en 1986 dont les tanks ont été noyés dans une foule de plus d’un million de personnes descendues dans la rue, puis le mouvement People Power 2 en 2001 qui a destitué le président Estrada par des coupures de courant dans tout le pays entre autres.

[3Note de la rédaction : Certains exemples historiques sont des sources d’inspiration convaincantes pour de telles stratégies. Ainsi la résistance de la société allemande au putsch de Kapp en 1920, qui a pris les commandes du pouvoir mais s’est heurté à la désobéissance généralisée de l’ensemble de l’administration et des services de l’Etat, réduisant ses ordres à néant. Citons aussi le printemps de Prague en 1968 où la société civile a réussi à désorienter le pouvoir militaire de l’envahisseur soviétique en lui faisant perdre ses repères (inversion des panneaux de signalisation, des noms sur les portes, etc.). Ou encore, aux Philippines, la destitution du dictateur Marcos en 1986 dont les tanks ont été noyés dans une foule de plus d’un million de personnes descendues dans la rue, puis le mouvement People Power 2 en 2001 qui a destitué le président Estrada par des coupures de courant dans tout le pays entre autres.