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Combatucada : les rythmes de l’insurrection

La Combatucada est une batucada militante grenobloise, née il y a une dizaine d’années à l’initiative d’un petit groupe de personnes engagées localement, qui désiraient avoir “un autre rôle” dans les manifestations et ainsi participer différemment aux mouvements sociaux. Silence leur passe ici la parole.

La "batucada", signifiant "battements" en brésilien, est un genre de musique rythmée à base de percussions, proche de la samba.
Concrètement, un groupe de batucada se compose en général de gros tambours "graves", appelés les "surdos", ainsi que d’un ensemble de "petits instruments" plus aigus (agogo ou cloche, shookai, repenique, tamborim, caixa ou caisse claire ...) qui permettent d’assurer la rythmique et de créer des dialogues sous forme de question/réponse. Enfin l’apito, un sifflet à trois trous, est utilisé pour attirer l’attention et diriger.

Un réseau international de batucadas militantes

Tous les mercredis soirs, jusqu’à 20 personnes se réunissent pour répéter et discuter de nos engagements. "Les causes pour lesquelles nous militons à la combatucada sont très variées : luttes liées au logement, ou contre la précarité, le racisme, le sexisme, l’homo et transphobie, causes environnementales ; lutte contre le système capitaliste et néolibéral et tous les dégâts qu’il provoque… Il n’y a pas vraiment une cause unique qui nous rassemble, mais plutôt un ensemble de valeurs et un besoin de résister à la pensée unique et à toutes formes d’oppression." témoigne Baptiste, une mailloche (1) à la main.
Musicalement, la Combatucada s’inspire des morceaux du réseau Rythm Of Resistance (2) (ROR), un réseau international dématérialisé de batucadas militantes qui a été créé à Londres en 2000. ROR possède un répertoire commun en libre accès de rythmes, danses et lexiques gestuelles associées. Ainsi, nous apprenons les mêmes morceaux que d’autres batucadas militantes en France ou dans d’autres pays, ce qui nous permet de jouer ensemble lors de manifestations internationales. Le réseau nous permet d’être autonomes dans notre apprentissage de la batucada, et dans la l’autoconstruction de nos instruments.
Un des principes essentiel de ROR est la non-violence par l’utilisation de la "tactical frivolity" (3) : c’est à dire faire usage de l’humour et de l’autodérision comme manière de s’exprimer et de s’opposer politiquement. Se déguiser en rose et noir apporte un coté frivole et décalé tout en étant un bon moyen de s’entraider quand la manifestation se durcit. Nous ne sommes pas directement affiliés à ROR car nous n’avons aucune étiquette, mais nous nous inspirons de leurs principes de résistance.

Accompagner le mouvement social et donner de l’élan à l’opposition

Le rôle prépondérant de la Combatucada est de jouer au cours de manifestations afin d’accompagner les mouvements sociaux, en animant la marche, et pour augmenter la visibilité du mouvement. Un militant nous a confié : "Je trouve que les manifs perdent de plus en plus en dynamisme : globalement les gens sont plutôt résignés, même s’ils sont dans la rue. Du coup la Combatuc’ redynamise la présence collective. Les rythmes joués redonnent l’élan, l’envie et l’énergie de s’opposer et de manifester !"
La Combatucada joue de manière spontanée, nous n’avons pas d’enchaînements de morceaux appris par cœur, mais un fonctionnement en “tournes” et en “breaks”. Les tournes et les breaks sont des refrains et des interruptions rythmées, agencés de façon improvisée par un.e chef d’orchestre, pouvant être n’importe laquel d’entre nous, afin de coller au mieux à l’ambiance mouvante d’une manifestation. Nous avons la possibilité d’adapter nos morceaux aux slogans de la manif, et ainsi d’être plus ouvert.es aux autres. Cet hiver 2016 lors d’une manifestation contre les usines d’armements à Saint Étienne, un excellent trompettiste s’est greffé à notre formation de percussionnistes pour le défilé... Rencontre improbable mais inoubliable !

S’interposer entre CRS et manifestant.es

On observe souvent que la Combatucada, de manière non intentionnelle, joue un rôle essentiel dans la coordination des mouvements de foule, avec le pouvoir de lancer une marche, d’apaiser les tensions, de temporiser. Dans les cas où il y a des conflits avec les forces de l’ordre au sein de la manif, ce à quoi nous avons régulièrement assisté lors du mouvement contre la Loi Travail du printemps 2016, il nous est arrivé de nous interposer entre CRS et manifestant.es. Nous avons dédramatisé la situation en bloquant l’affrontement par la musique.
Ce positionnement entre non-violence et occupation sonore de l’espace public permet à tous de s’exprimer. Ainsi, Laura témoigne : "C’est plus facile pour moi qui suis un peu timide pour prendre la parole de jouer dans la Combatucada, c’est une façon pour moi de m’exprimer et de militer qui me correspond mieux". Nous choisissons de participer aux différents événements de manière spontanée et volontaire, refusant toute rétribution ou affiliation, comme n’importe qui en manifestation... Sauf que nous faisons un peu plus de bruit ! "Il ne faudrait pas que le son de nos instruments couvre trop les slogans et prises de parole du cortège" rappelle Lucie.

Une veille citoyenne

La Combatucada joue ce rôle majeur en manifestation, mais son fonctionnement « interne » constitue aussi un lieu de partage et d’apprentissage collectif. Nous venons de déposer notre nouveau statut pour passer en association de type collégiale. Nous fonctionnons en auto-gestion, sans hiérarchie et prenons nos décisions de manière collective. La Combatucada est ouverte à toutes et à tous, débutantes ou confirmées, du moment que les valeurs sont partagées. L’engagement personnel dans la Combatucada se situe entre musique et politique.
Les répétitions sont essentielles à la dynamique de groupe, elles constituent des temps festifs de discussions, de rencontres, d’échanges. Cette dynamique permet de créer du lien, une sorte d’effervescence où chacun.e apporte, partage et relaie les infos des différents réseaux. La Combatucada fonctionne aussi comme une sorte de "veille citoyenne". "A la Combatucada nous venons de tous horizons, de plusieurs générations, de différents réseaux militants. Nous avons des codes et des référentiels qui diffèrent selon les milieux militants habituellement fréquentés. C’est une espèce de convergence qui nous oblige sans cesse à débattre, discuter, argumenter nos positions et notre langage. Tout est mis en discussion, rien n’est banalisé : un slogan, un mot, une action, un symbole, une coiffure, une insulte... La Combatucada est pour moi un lieu de discussion où l’on sort sans cesse de notre zone de confort pour affronter le débat, se positionner, et ce quels que soient finalement les positionnements individuels qui sont choisis in fine. Absolument tout est objet de questionnements individuels et collectifs, avec la liberté de chacun de penser ce qu’il veut", estime Stéphane.

Individuel ou collectif ?
Le collectif est au centre du projet de la Combatucada, car il existe une volonté individuelle de faire partie d’un groupe et d’assurer son fonctionnement, dans le respect des convictions de chaque membre. En ce sens, nous nous inscrivons dans un système de fonctionnement horizontal où tout le monde est écouté et entendu, et non pas dans un système vertical où une seule voix déciderait pour tout le monde.

La Combatucada est en mouvement permanent : elle accueille régulièrement de nouveaux membres, l’engagement est libre, chacun.e choisit son mode de participation et d’investissement, certain.es s’absentent pendant de longues périodes et reviennent. De cette manière, elle vit de la liberté individuelle, ce qui est primordial à son fonctionnement. Nous sommes très heureu-ses d’affirmer pouvoir accueillir toutes personnes voulant jouer avec nous, et ça fonctionne ! Tout en sachant que cela apporte de nouvelles impulsions et de nouvelles façons de réfléchir mais peut également ralentir la progression technique du groupe et nous amène aussi à débattre perpétuellement de : qui est la Combatucada et quel est son engagement ?
Pour décider d’une sortie en manifestation, l’un.e de nous fait une proposition au groupe et ce n’est que si nous ateignons un nombre suffisant à vouloir participer que nous pouvons techniquement contribuer à l’événement.

Faire corps avec la musique

Les morceaux de musique que nous jouons sont toujours portés par un esprit de militantisme et d’humour. Une forme d’énergie collective se dégage, nous faisons corps avec les vibrations, avec la musique. Nous avons la capacité de monter à un volume sonore très important, et les rythmes entraînant parviennent à mettre les gens et nous même en état de "transe" ce qui permet une cohésion, une communion et un bouillon d’énergie en manifestation.
La Combatucada est pour nous un outil qui permet de militer en musique et cela demande beaucoup d’énergie de jouer en manifestation. Mais, réciproquement, cela nous apporte aussi beaucoup d’énergie et de plaisir : c’est notre motivation !

Réunis quelques camarades avec des casseroles ou des percussions, dans ta ville, ton village ou ton quartier, apprends leur les rythmes de la résistance ; faites du bruit ensemble pour éveiller les consciences autour de vous et n’hésitez pas à nous convier à la fête.
Allez, viens faire POUM !

Des membres de la Combatucada

• La Combatucada, répétition les mercredis à 19h à la salle de répétition, rue des Trembles à Grenoble.

(1) Maillet utilisé pour frapper certains instruments de percussion.
(2) Plus d’information sur le site de ROR : https://www.rhythms-of-resistance.org et http://lacombatucada.free.fr/
(3) la frivolité tactique

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