Dossier Elections Politique

Primaire.org, vers une citoyenneté numérique ?

Nils Svanström

S’il y a un phénomène qui aura marqué l’édition 2017 de l’élection du président de la République, « reine » du système politique français, c’est bien la multiplication des primaires. L’une d’entre elles, revendiquant être la seule primaire 100 % citoyenne, a fait émerger une candidate issue de la société civile.

Tout part de deux anonymes. Un avocat, David Guez, et un ingénieur, Thibault Favre, font comme beaucoup d’entre nous le constat des failles de notre système démocratique, son manque de représentativité, de légitimité, de renouvellement. Ils co-fondent l’association Democratech et se lancent dans l’organisation d’une primaire en ligne visant à faire émerger une candidature issue de, et portée par la société civile. "Laprimaire.org" a ainsi vu le jour en octobre 2015. Au moment de la tenue de la primaire, au second semestre 2016, la plateforme comptait 120 000 soutiens, soit bien en deçà de son objectif initial de 500 000, mais c’était un résultat néanmoins remarquable compte tenu de la structure et de l’ingénierie mobilisées.

Tout le monde peut se proposer ou être proposé

Plus de 500 candidats ont présenté leur candidature, dont de très fantaisistes évidemment, y compris parmi les 200 qui ont réellement déposé un quelconque programme. La barre requise des 500 soutiens, parmi les inscrits, a été atteinte par 16 d’entre eux. Les 15 candidats ayant maintenu leur candidature ont été soumis à un premier tour à la suite duquel il ne devait en rester plus que cinq.
En plus de pouvoir voter pour autant de candidats qu’ils le souhaitent, les inscrits avaient également la possibilité soit de plébisciter un candidat, soit de proposer de leur propre initiative le nom d’une personne qu’ils souhaiteraient voir concourir. Des centaines de noms ont ainsi été proposés, parmi lesquels une écrasante majorité de personnalités connues, médiatisées (2). Seules 5 personnalités ont dépassé, à leur corps défendant donc, la barre des 500 soutiens, et ont par conséquent été approchées par l’équipe de la primaire.org qui les a invitées à concourir pour le premier tour (3).

Un dispositif vraiment pour tous ?

A ce stade, la primaire.org pouvait au moins se targuer d’avoir proposé un témoignage des aspirations politiques des citoyens français, lequel ne saurait être statistiquement représentatif de la population. Mais il est néanmoins instructif : la diversité des candidats auto-déclarés, le profil et le programme de ceux qui recueillent le plus de soutiens, la nature et la personnalité des individus plébiscités disent quelque chose des aspirations politiques de citoyens français anonymes tels que nous en côtoyons tous les jours. Il ne saurait être totalement représentatif, car on y parle de « civic tech », de numérique, d’application mobile, de sites internet, un langage qui ne s’adresse pas à tout le monde. David Guez estime que la fracture numérique est désormais moins dans l’accès à internet (4) que dans l’usage, la facilité à s’approprier l’outil. D’où l’importance pour l’équipe de la primaire.org de sensibiliser les gens ailleurs que sur la toile. Avec des moyens économiques et humains forcément limités (5), les deux organisateurs n’ont pas compté les heures passées derrière un écran, mais également sur le terrain.

Le plus dur reste encore à faire

Cinq candidat-es se sont qualifié-e-s pour le second tour, dont une metteur en scène, une formatrice dans le domaine de la santé, deux médecins et un avocat. A ce stade, leur campagne avait pris une tournure aboutie et assez professionnelle (chapitres de programme, billets de blog et vidéos, couverture média — certes timide) compte tenu là encore des moyens à leurs dispositions (budget de la plateforme, fonds propres, bénévoles de laprimaire.org et réseau personnel). Une tournée-débats a été organisée dans dix grandes villes françaises.

La formatrice Charlotte Marchandise a remporté laprimaire.org fin décembre 2016 en étant gratifiée par près de 36 000 votants au second tour, avec un score sans appel de 50,6 % de « Très bien » (la mention maximale).
La campagne présidentielle a donc commencé pour elle en vraie grandeur. Pour l’occasion, l’équipe de la primaire.org s’est mue en équipe de campagne, et l’association est devenue un parti politique à vocation éphémère avec pour seul programme de porter cette candidature et de faciliter l’émergence de candidatures citoyennes aux élections législatives. Charlotte Marchandise doit maintenant relever le défi de concilier sa campagne avec son activité professionnelle, car elle n’est pas une professionnelle de la politique, bien qu’adjointe au maire de Rennes. Il lui faut se faire connaître du grand public, exister dans un débat trusté par les appareils partisans et arbitré par les médias de masse, enfin et surtout surmonter l’épreuve décisive du recueil des 500 soutiens, cette fois de « grands » électeurs. Entre le bouclage de ce dossier et sa parution, elle se sera probablement heurtée à ce filtrage éminemment discutable dans son principe comme dans son application.
A l’heure où, au-delà de la légitimité de la fonction présidentielle et des institutions de la Ve République, c’est le fondamentalisme électoral qui doit être remis en cause pour qui aspire à une vraie démocratie, on peut s’interroger sur le sens d’une telle candidature. En attendant l’adoption de nouvelles pratiques démocratiques, dans lesquelles les élections ne sont plus le seul mode de désignation, elle a au moins le mérite d’apporter sa pierre à l’édifice de la réappropriation de la vie politique par les citoyens.

Charlotte Marchandise, une voix citoyenne à la présidentielle ?
Forte d’un parcours diversifié (dans l’associatif, le numérique, la santé) Charlotte Marchandise a remporté la primaire citoyenne laprimaire.org sur un programme donnant la priorité à la mise en place d’une constituante, le revenu de base universel et la transition écologique.

Peut-on changer la donne politique, tout en se pliant au jeu que l’on décrie ?

Je vois ma candidature comme un témoignage de la manière de rapprocher la politique de tout un chacun. Pour beaucoup, la politique est quelque chose de très lointain qui ne nous appartient plus. Comment se la réapproprier, c’est notre histoire à tous. Je suis profondément pacifiste et je pense qu’il faut faire la révolution dans les urnes. Ma candidature permet aux gens de se dire « pourquoi pas moi ? » Ce que j’ai envie de dire, c’est que tout le monde est légitime. Tout l’objet de notre campagne va aussi être de faire émerger des candidats aux législatives, aux municipales et aux Européennes qui ne soient pas les candidats habituels. Les sujets de société, de la vie quotidienne des gens ne sont pas les plus clivants. C’est là où l’intelligence collective peut rassembler.

La candidate citoyenne est finalement une adjointe au maire d’une grande ville

On m’a beaucoup reproché ce rôle parmi les soutiens de mes concurrents. J’ai toujours expliqué que j’étais élue de la société civile, qu’effectivement je siégeais au sein du groupe écologiste d’une mairie de gauche, mais que ça n’affectait pas ma liberté. Cela m’a donné une expérience qui clairement a convaincu les gens. Il est compliqué de se lancer dans la présidentielle en ignorant tout de la politique.

Quels sont les courants de pensée qui vous inspirent ?

Je travaille avec le Mouvement français pour un Revenu de Base, qui s’est réjoui de ma victoire. J’ai aussi travaillé avec des porteurs du Projet de Décroissance et du Manifeste pour la dotation inconditionnelle d’autonomie, comme Vincent Liegey. Sur le logement, on s’appuie sur la Fondation Abbé Pierre, et le programme "Toits d’abord" qui montrent que donner un toit à quelqu’un sans contrepartie est ce qui marche le mieux en matière de réinsertion et qui coûte le moins cher. Sur la démocratie, je me réfère beaucoup à Loïc Blondiaux. En matière de société et d’économie, je me réfère à Patrick Viveret, que j’ai rencontré plusieurs fois, à Pablo Servigne, qui est intervenu dans un atelier sur la question de l’effondrement pendant la campagne. Et à Edgar Morin et Gaël Giraud que j’aimerais beaucoup rencontrer. Je me réfère aussi aux "Convivialistes". Alain Caillé a participé à l’élaboration du programme. Je travaille également avec Julien Letailleur, le candidat virtuel à l’élection présidentielle. Il vient du monde des start-ups, du numérique. Le terme de décroissance ne va pas fédérer ces gens-là, alors que l’on partage fondamentalement les mêmes idées. C’est intéressant d’avoir un pied dans différents mondes, et c’est ce que m’apporte mon parcours. J’ai eu plusieurs vies.

(1) Les inscrits se voyaient proposer une combinaison de 3 candidats seulement, à évaluer selon la méthode du jugement majoritaire (voir l’article sur les modes de scrutin). Cela pour éviter que chacun ait à étudier les 16 programmes avant de pouvoir se prononcer, puisque cette méthode requiert de formuler un avis sur tous les candidats.

(2) On a bien sûr pu trouver entre autres, dans le florilège de « célébrités », la plupart des principaux professionnels de la politique français, mais avec un nombre de soutiens ridiculement bas.

(3) Etienne Chouard, Pierre Rabhi et Nicolas Hulot ont salué la démarche, mais n’ont pas souhaité donner suite. Pierre Asselineau s’est montré intéressé, mais ne s’est pas retrouvé dans les termes qui lui étaient proposés. Franck Lepage ne les a jamais recontactés.
(4) En 2014, plus de 4 foyers sur 5 avaient accès à internet, et la moitié de la population détenait un smartphone. Source : ARCEP, Baromètre du Numérique 2015.
(5) Fin janvier 2017, les dons récoltés s’élevaient à près de 70 000 euros. Leur utilisation est détaillée en toute transparence sur le site.

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