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Centrales villageoises, des alternatives à petite échelle

Thomas Brugnot

Comment s’approprier les enjeux énergétiques sur un territoire ? Les centrales villageoises, sociétés locales coopératives de production d’énergie photovoltaïque, sont encore peu connues mais tracent une voie intéressante pour un modèle énergétique à échelle plus humaine.

Des sociétés locales de production d’électricité photovoltaïque voient le jour en Rhône-Alpes suivant un modèle de société coopérative promu initialement par Rhône-Alpes Énergie Environnement (RAEE) dans des parcs régionaux sous l’appellation « centrale villageoise ». Suivant ce modèle, des habitant-es et des collectivités locales s’associent pour créer une société de type SAS ou SCIC (1). Ils et elles organisent une levée de fonds en communiquant sur la légitimité politique et technique de leur projet et démarchent les particuliers, entreprises et institutions publiques du territoire en vue de constituer un panel de toitures suffisamment bien exposées pour y installer des panneaux solaires. (2)

Des projets d’énergie renouvelable participatifs

Une demi-douzaine de ces centrales villageoises fonctionnent aujourd’hui en région Rhône-Alpes et un nombre à peu près équivalent de projets sont en cours d’élaboration. Ces petits projets (3) font partie de la catégorie des projets d’énergie renouvelable participatifs (4), que l’on trouve essentiellement dans les secteurs de l’éolien et du solaire. L’Ademe a recensé 157 projets dont 36 % en service et les autres en cours de création. Trois régions se détachent : la Bretagne, PACA et Rhône-Alpes.
Ces projets représentent 3 % de la production nationale d’électricité éolienne et 0,7 % de la production d’électricité solaire hors chauffage et production d’eau chaude, soit une part très minoritaire d’une production qui joue un rôle encore limité dans la couverture de besoins en énergie électrique du pays. (5)
S’ils restent marginaux au regard des enjeux énergétiques du pays, ces projets retiennent l’attention des pouvoirs publics pour les effets d’entraînement qu’ils peuvent exercer dans des territoires. Les pouvoirs publics sont en effet attentifs aux dynamiques citoyennes sous-jacentes. La solidité du groupe moteur, une démarche collective d’auto-formation et de montée en compétence au sein de ce groupe, le travail de communication réalisé auprès de la population et des pouvoirs publics sont clairement identifiés par l’Ademe comme des dimensions stratégiques des projets.

Des projets très contraints par l’économie et la réglementation du marché de l’énergie

Ces initiatives sont fortement tributaires de la réglementation et de ses évolutions. Le cas des centrales villageoises illustre bien ces contraintes. Elles doivent trouver la bonne échelle pour assurer la rentabilité des installations en fonction du tarif de rachat de l’électricité par EDF. Or, ce tarif fixé trimestriellement par la Commission de Régulation de l’Énergie diminue fortement et oblige les acteurs à augmenter la taille de leur projet. En 2014, la centrale villageoise des Haies, près de Condrieu (Isère), a été lancée avec huit toitures pour une surface cumulée de 500 m² alors que le tarif de rachat était de 30 centimes le KWc. Fin 2016, le tarif de rachat (6) est descendu à 23,9 centimes pour les installations inférieures à 9 KWc (sous condition d’intégration au bâti) au 4e trimestre 2016 et devrait continuer à descendre jusqu’à 16 centimes en 2018 selon Thomas Le Bris, de l’association Coopawatt. Ainsi, la centrale villageoise du Pays Mornantais (CVPM), dans le Rhône, a déposé fin décembre 2016 sa demande de raccordement pour 27 toitures qui seront équipées de panneaux de 60 m² de manière à bénéficier du tarif d’achat du 4e trimestre dans le contrat à signer avec ENEDIS (ex ERDF). Un autre projet de centrale villageoise, porté par des habitants des Vallons du Lyonnais (ouest lyonnais), devrait être déposé avant mars 2017 pour bénéficier du tarif de rachat du premier trimestre 2017 qui sera inférieur. À l’instar du projet de Mornant, les porteurs de ce projet de centrale jugent que le seuil de rentabilité s’établit aujourd’hui autour de 20 à 30 toitures de bâtiments privés ou publics d’environ 50-60 m² chacune. Leur recherche est en cours.

Des projets centrés sur l’appropriation des enjeux énergétiques dans le territoire

Si la libéralisation du marché de l’électricité n’augure rien de bon, l’assouplissement du monopole d’EDF devrait permettre l’essor de ces sociétés locales de production même si la question de leur rentabilité restera entière. Aujourd’hui, faute d’autonomie de production et de distribution, les sociétés locales raisonnent en puissance développée et en équivalence de consommation (production équivalent à la consommation d’électricité de x foyers).

L’absence d’autonomie de ces projets par rapport au marché de l’énergie constitue un paradoxe. Ils expriment d’un côté une ambition politique et pédagogique de relocalisation des enjeux de l’énergie et se heurtent de l’autre à l’impossibilité pratique de relier production et consommation sur un territoire donné. Ils se caractérisent par une dépendance forte à un marché encore national, monopolistique et très réglementé, et leur équilibre économique est tributaire des tarifs de rachat fixés à un niveau national. Ainsi, si les collectifs d’habitants et d’élus qui les portent peuvent faire progresser les territoires en termes d’appropriation et de montée en compétence sur les enjeux d’énergie, le sens de leur action s’inscrit nécessairement dans l’horizon d’une politique nationale de l’énergie, et ces projets ne peuvent être considérés comme étant porteurs du principe d’autonomie locale auxquels aspirent nombre de mouvements citoyens.

Thomas Brugnot

L’impossibilité pratique de l’auto-consommation

Le marché national de l’énergie, encore fortement monopolistique et très réglementé, bride fortement les projets. L’autoconsommation est notamment exclue. Comme le souligne Thomas Le Bris, de l’association Coopawatt qui accompagne des projets dans l’Ouest lyonnais : « Le stockage coûte très cher et l’auto-consommation n’a de sens que pour des entreprises ou des supermarchés qui ont de gros besoins en journée, lorsque l’électricité est produite. Il est donc plus intéressant de réinjecter la production ». Or, la difficulté voire l’impossibilité pratique d’auto-consommer la production, fût-ce à l’échelle du territoire, limite de fait la référence au principe d’autonomie énergétique des territoires dans le projet politique porté par les collectifs porteurs de projet. TB.

(1) SAS : Société par actions simplifiée. SCIC : Société coopérative d’intérêt collectif.
(2) Le capital de la société est constitué grâce à un appel à souscription auprès des habitant-es et collectivités avec une promesse de rentabilité minimale d’environ 3 % et des baux de location sont signés avec les propriétaires volontaires pour recevoir des installations sur leur toiture moyennent un bail et un prix (modique) de location. Une fois que le parc de toitures est constitué, la centrale villageoise mandate un Bureau d’Études Techniques qui réalise le montage technique et financier et se charge de constituer le dossier de demande de raccordement auprès d’EDF.
(3) Leur puissance cumulée atteint au maximum quelques centaines de KWc (Kilowatt crête).
(4) ENRp, catégorie définie et documentée dans un rapport de l’ADEME.
(5) À l’avenir, l’intégration du coût d’amortissement de la rénovation du parc de centrales nucléaires dans le prix d’électricité vendu par EDF pourrait cependant jouer en faveur de l’éolien et du solaire et favoriser ces projets.
(6) Ce tarif de rachat est fixé pour toute la durée du contrat de rachat d’électricité signé avec ENEDIS, qui est de vingt ans.

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