Brève Chronique Catastrophe de Fukushima Fukushima Nucléaire

Voix silencieuses

Monique Douillet

Chiho Sato vit en France depuis 2010. Elle est née à Fukushima. Ses parents et grands-parents, ainsi que l’ensemble des membres de sa famille vit encore à 60 km de la centrale de Fukushima DaiiChi dans ce que l’on appelle « la zone d’évacuation volontaire ». Plus de cinq ans après la catastrophe, la radioactivité, invisible mais omniprésente, a peu à peu disparu des esprits des habitants.

Silence : Votre film se présente comme un document ethnographique sur le quotidien d’une famille au sein de laquelle les liens sont à la fois très affectueux et empreints d’un grand respect de l’un pour l’autre. Vos grands-parents de 90 ans cultivent encore leurs terres comme avant, juste gênés par ces contrôles d’État sur les légumes qu’ils produisent, « inutiles puisque tout va bien ! »

C.T. J’ai voulu montrer aux Français le quotidien d’une famille de Fukushima, loin des images dramatiques et anxiogènes montrées fréquemment en Europe. En premier lieu on constate qu’à Fukushima-city la plupart des gens n’ont pas peur de vivre, de respirer, ou de manger dans un environnement pourtant contaminé. Il est très difficile de se protéger contre quelque chose qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas et qui ne nous fait pas souffrir dans l’instant.

Dans le documentaire, vous êtes l’enquêtrice qui pose les questions et en même temps la petite-fille, la fille, la sœur, la nièce et vous vous comportez en toute intimité avec chacun. J’ai été très touchée par cette double position que vous assumez avec un parfait naturel.

C.T. Mon objectif est effectivement de rouvrir le débat sur la situation en incluant la voix de ces habitants qui font face au danger avec une tranquillité apparente, encouragée par le discours gouvernemental.

Et vous-même, au cours de la réalisation de ce film, considérez-vous que vos points de vue ont été modifiés ?

C.T. Au fil de mes recherches et des discussions, la mauvaise gestion de la crise par les autorités japonaises et TEPCO m’ont rendue beaucoup plus critique vis-à-vis de certains aspects de la culture japonaise.

Il y a quand même un personnage dans une réunion publique qui s’exprime avec une franchise crue qui tranche.

C.T. Vous voulez parler de la jeune fille qui dit que sa vie est déjà compromise par le risque d’avoir des enfants malades ? Elle interpelle l’assemblée par ces mots : « Et pourquoi continuerais-je à me protéger puisque mes parents et l’État ne s’en préoccupent pas ? »

J’ai eu l’impression que certains membres de votre famille sont passés d’une position de refus : « nous ne voulons plus entendre parler de cet accident », à l’aveu de leurs peurs. Avez-vous ressenti cette évolution ?

C.T. Oui, particulièrement chez ma mère. Elle a rejoint des groupes de réflexion qui s’interrogent sur les répercussions de la catastrophe ! Et dans le cercle familial, elle exprime désormais son opinion comme jamais je ne l’avais entendue le faire. J’en suis à la fois surprise et très heureuse ! Mais j’ai l’impression que cette nouvelle énergie effraie un peu mon père…

Pensez-vous que les Français ont des positions très différentes des Japonais sur ce sujet ?

C.T. Je pense que la parole française est beaucoup plus libre. L’éducation pousse les enfants à réagir, à donner leurs opinions sur tous les sujets. Contrairement au Japon où les voix sont presque imperceptibles. Mais en France les militants deviennent peut-être inaudibles du fait du nombre de causes soutenues et de la vigueur avec laquelle elles le sont... Que faire lorsque l’idéalisme de nos convictions rencontre la réalité de ce que certains appellent « la post-démocratie » ou « la démocratie molle » ? Je n’ai pas de réponse. La parole militante va peut-être évoluer de la contestation vers l’éducation afin de nous éclairer, non pas à la bougie, mais à la lumière de toutes les autres énergies alternatives et propres.

Propos recueillis par Monique Douillet

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