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32 heures, c’est possible et ça se fait même déjà

Nils Svanström

Les 32 heures, notamment sous la forme d’une semaine de quatre jours, peuvent apparaître comme une innovation sociale allant plus loin que les 35 heures, pourtant largement remises en question. En réalité, elles ont déjà fait l’objet d’une loi par le passé, et de grandes entreprises les ont adoptées.

La semaine de 32 heures, ou quatre jours de travail, est une idée qui fait son chemin dans le débat public. Plusieurs rapports et études en démontrent la faisabilité, sur un plan économique et organisationnel. Un nombre croissant d’acteurs et d’actrices politiques et économiques — et pas uniquement hétérodoxes — sont convaincu-es de ses vertus en matière de lutte contre le chômage et appellent désormais à aller dans ce sens. Organisation de poids s’il en est, la CGT prône cette réforme depuis le printemps 2016.
En 1996, avant même la promulgation des lois Aubry sur les 35 heures, une autre loi, dite loi De Robien, permettait déjà aux entreprises d’expérimenter, sur la base du volontariat, le passage aux 32 heures sur le même principe d’exonération de charges strictement conditionnée à l’embauche de salariés.

De grandes entreprises ont déjà adopté les 32 heures

Plus de 400 entreprises ont fait usage de la loi De Robien, représentant des secteurs très divers : agroalimentaire, BTP, informatique, publicité, laboratoires, assurances (MACIF), presse (Télérama). Bien sûr, certaines d’entre elles n’ont pas trouvé l’expérience concluante et en sont revenues, d’autant plus que la loi De Robien a été abrogée par la loi Aubry. D’autres, en revanche, se sont bien accommodées de cette réorganisation du travail et ont gardé ce fonctionnement depuis. On compte parmi elles de grosses entreprises actives dans des secteurs très concurrentiels. Ainsi, Fleury-Michon est devenue leader sur son marché, non pas malgré, mais avec les 32 heures, ce qui prouve bien que ce système n’a pas entravé la compétitivité de l’entreprise. Entreprises pionnières, Mamie Nova et Blédina sont passées aux 32 heures pendant la première moitié des années 1990, avant même l’arrivée de la loi De Robien (2).
Une étude conduite par le ministère du Travail à la fin des années 1990, étudiant le nombre d’emplois créés au sein des 400 entreprises ayant bénéficié de la loi De Robien, en a déduit que le passage aux 32 heures était susceptible de créer 1, 5 million d’emplois.

Vers un vrai changement organisationnel

Si, pour la plupart des salarié-es, les 35 heures ne se sont finalement traduites que par un léger raccourcissement de leur durée de travail journalière ou par le nombre de congés auxquels ils ont droit, l’intérêt de la semaine de quatre jours est précisément de leur donner une journée de temps libre supplémentaire par semaine. Repos, temps consacré à la famille ou aux ami-es, engagement associatif, loisirs... les usages possibles de ce temps libéré ne manquent pas.
Sur le plan organisationnel, le passage à la semaine de quatre jours permet aussi d’enrichir le travail. Une réduction du temps de travail journalier n’induit pas de réflexion particulière sur le redéploiement des postes et des fonctions, alors que si chacun travaille un jour de moins dans la semaine, cela amène à étudier les questions d’organisation, de partage des tâches et des responsabilités. Car lorsque même le ou la chef-fe d’équipe, lorsque le ou la responsable de site passe à quatre jours, il y a nécessairement des choses qu’il ou elle ne fait plus, et qui sont par conséquent confiées à son ou sa numéro 2, qui passe aussi à quatre jours, et ainsi de suite.
Cela étant, les 32 heures arriveront d’autant mieux à s’imposer au plus grand nombre qu’elles éviteront l’écueil souvent reproché aux 35 heures : ne pas avoir été assez souples dans les modalités de leur mise en œuvre. Les 32 heures ne réussiront donc qu’au prix de leur adaptabilité aux particularités et contraintes de chaque branche, et du temps et de l’accompagnement dont les entreprises disposeront pour accomplir ce changement.

Nils Svanström

(1) Mathématiquement, une baisse de 9, 1 % des charges permet de ne pas augmenter la masse salariale d’une entreprise qui embauche 10 % de personnel en plus à salaire identique. Par ailleurs, les salarié-es nouvellement embauché-es, dépourvu-es d’ancienneté dans l’entreprise, seront payé-es un peu moins cher. Ce qui permet d’arrondir à 9 % la baisse de cotisations nécessaires pour maintenir constante la masse salariale d’une entreprise qui embauche 10 % de salariés supplémentaires.
(2) Chez Blédina, ils étaient déjà aux 37 heures. La durée du temps de travail de leurs salarié-es a été ramenée à 32 heures payées 32/37. Leur effectif est passé de 1285 à 1500 salariés, soit une augmentation de près de 17 %. Si un bon tiers de ces créations d’emplois sont liées à la croissance organique de l’entreprise, presque un autre tiers est imputable à la réduction du temps de travail.

Le passage aux 32 heures, mode d’emploi

Un enjeu crucial de la diminution de la durée légale du temps de travail est que cela ne coûte rien ni à l’Etat, ni aux entreprises, tout en garantissant aux salarié-es le même niveau de salaire. Si une entreprise diminue la durée du travail de ses salariés de 35 à 32 heures hebdomadaires, soit une diminution de 10 %, elle doit embaucher 10% de personnel en plus pour assurer un niveau de production constant. Pour que cela ne lui coûte pas plus cher, tout en garantissant aux salarié-es le même salaire, le coût total pour l’employeur de chaque salaire doit être diminué de 9 % (1). En 1993 déjà, Patrick Artus, alors directeur des études économiques à la Caisse des dépôts, avait validé le bouclage macroéconomique d’une telle réforme. Dans son modèle, la baisse du coût total pour l’employeur est rendue possible par la suppression des cotisations chômage, une baisse de 9 % des autres charges patronales (qui représentent 33 % du coût total pour l’employeur), ainsi que par des subventions publiques en complément. Du côté du budget de l’Etat, cette diminution des cotisations sociales est compensée par les économies réalisées sur les indemnités de chômage qui ne sont plus à verser, celles réalisées sur les autres coûts du chômage (formation, gratuité ou réductions tarifaires sur certains services publics tels que les transports), et par les cotisations des salariés nouvellement embauchés.

Le temps des femmes

Difficile de parler du temps du travail sans rappeler les inégalités sociales entre hommes et femmes : depuis 30 ans en France, le taux d’emploi à temps partiel des hommes plafonne bien en dessous de la barre des 10 %, tandis que le temps partiel des femmes a fortement augmenté, jusqu’à dépasser les 30 %. Pourtant, en termes de temps libre, les hommes sont bien mieux lotis que les femmes. Les tâches ménagères représentent 3 heures par jour pour les femmes contre 1 h 30 pour les hommes. Le développement du temps partiel pour les hommes serait-il une piste pour un meilleur partage des tâches ? LT

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