Les femmes sont présentes pendant toute la Révolution française, qu’elles jouent le rôle traditionnel d’émeutière ou qu’elles rejoignent la sans-culotterie parisienne. Toujours visibles en tant qu’agitatrices, on leur refuse pourtant une place dans les organisations révolutionnaires. Qu’à cela ne tienne, elles créent des clubs où elles discutent des événements politiques. À Paris à partir de 1791, deux clubs composés exclusivement de femmes se font connaître. La Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité se constitue autour d’Etta Palm D’Aelders ; le 1er avril 1792 à l’Assemblée, cette dernière réclame la majorité pour les femmes à 21 ans et le droit au divorce mais aussi que les femmes soient admises aux fonctions civiles et militaires et que l’éducation des filles soit fondée sur les mêmes principes que celle des garçons. Quant à Pauline Léon, chocolatière, et Claire Lacombe, comédienne, qui désirent « fonder une société où les femmes seules pourront être admises », elles créent en mai 1793 la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires, composée de militantes des milieux populaires et de la petite bourgeoisie. 170 femmes adhéreront à ce club très proche des Enragés. Cette immixtion des femmes dans la politique sera très vite sanctionnée : le 30 octobre 1793, la Convention interdit tous les clubs de femmes.
Naissance d’un mythe
Mais les femmes ne désertent pas pour autant l’espace révolutionnaire et politique. À partir de 1795, on appelle "Tricoteuses" les femmes présentes dans les tribunes des assemblées révolutionnaires auxquelles elles ne peuvent participer. Si on les appelle ainsi, c’est que nombre d’entre elles viennent l’ouvrage à la main. On les dit "postées dans les tribunes, influençant de leurs voix enrouées les législateurs assemblés", "devisant gaiement ou férocement". Les milieux révolutionnaires et contre-révolutionnaires ne tardent pas à les caricaturer en véritables harpies : sans-jupons, agitatrices, mégères, furies de la guillotine, aboyeuses femelles, tricoteuses donc... On insiste alors sur leur présence aux pieds de la « Veuve noire » (la guillotine) et on crée une imagerie appelée sans cesse à se renouveler : celle de la femme du peuple ivre de sang, aux aiguilles ambiguës pouvant à tout moment se transformer en armes. Dickens en fera d’ailleurs un personnage de roman : sa Thérèse Defarge dans Un Conte de deux villes est à la tête d’une confrérie de tricoteuses qui, ayant osé franchir la barrière entre les occupations privées des femmes et celles de la sphère publique, se retrouvent du mauvais côté, assistant la Terreur les aiguilles à la main.
Les "citoyennes tricoteuses" furent renvoyées dans le privé où la couture et la broderie se faisaient en silence. La participation des femmes à la politique ne leur fut accordée qu’à la fin de la guerre de 1939-1945. Dans l’après-mai 68, à la faveur d’un éphémère renouveau des travaux d’aiguilles, quelques femmes tricotèrent lors de réunions politiques, rejouant sans le savoir le mythe révolutionnaire. Cette fois-ci pourtant, aucune Convention ne put interdire aux femmes de se réunir entre elles... Que ceux qui voudraient s’en prendre aux droits des femmes le sachent : méfiez vous des tricoteuses !
Isabelle Cambourakis
En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée "100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui". Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.