Dossier Alternatives Initiatives autres

Quand médecins et malades chantent ensemble

Michel Bernard

Après dix ans d’interventions, la compagnie Solentiname vient de décider d’arrêter ses activités, conséquence de la baisse des aides publiques. Va-t-on abandonner ce travail remarquable ?

En 2006, trois metteurs en scène de la région de Troyes décident de mettre en commun leur travail et choisissent le statut de coopérative. Gaëlle, amie de l’un d’entre eux, rejoint l’aventure pour assurer la partie administrative de la SCOP Solentiname. Un des metteurs en scène a beaucoup pratiqué le théâtre-forum (1). Ils désirent travailler en parallèle de leurs créations artistiques, dans le domaine de la santé et vont notamment s’investir dans le service des soins palliatifs de l’hôpital de Troyes. Outre le milieu hospitalier, ils interviennent aussi dans des collèges, lycées et foyers de jeunes travailleurs, autour de la question de la prévention dans le domaine de la santé.

Le théâtre pour apprendre à gérer ses émotions

Dès le début, le projet est soutenu par la région et par la Direction régionale des arts et de la culture (2). Pour disposer d’une partie d’auto-financement, les fondateurs développent des stages sur le travail du corps et de la voix pour les particuliers et les professionnels (enseignants, soignants, cadres, etc.) ce qui les entraîne aussi bien en région parisienne qu’à Lyon ou ailleurs.
La coopérative mène des actions avec les équipes de soins palliatifs pour apprendre à mieux vivre et exprimer leurs émotions.
Le théâtre-forum met en scène des situations vécues : un médecin joue le malade ou l’aide-soignant, par exemple. Cela permet d’étudier la façon dont on écoute l’autre alors que l’on est allongé-e. Des scènes se jouent aussi avec les malades, les familles. Souvent, il n’y a pas de scénario préalable : on commence à partir d’une question posée par les participant-es. Cela prend différentes formes : théâtre, mais aussi beaucoup de chants, de musique, de danse. Il y a des croisements avec d’autres actions du personnel comme de la relaxation, du massage…

« Quand on chante, on chante ! »

Ces interventions font sauter les barrières : « Quand on chante, on chante ! On n’est plus malade ou soignant. Cela brise la hiérarchie hospitalière. »
Le chant semble être un moyen efficace de lutter contre les baisses de moral : « La voix reflète tout, au niveau des émotions. » Deux artistes se relaient tous les vendredis… mais les chants sont repris aussi les autres jours de la semaine. Gaëlle raconte que parfois, quand ils arrivent, ils retrouvent « médecins et malades en train de chanter ».
La réaction des patients diffère : certains commandent des chansons, d’autres ferment la porte de leur chambre, d’autres invitent leur famille le vendredi ou font connaissance entre eux… « C’est un moment de vie et de joie, la vie continue même en soins palliatifs. » Certaines familles demandent même des interventions au moment du décès.
Comme c’est éprouvant, les artistes changent régulièrement : un-e artiste fait deux vendredis de suite, à cheval avec deux autres. Un retour avec tout le groupe sert à raconter comment cela s’est passé et permet d’assurer la continuité, malgré le renouvellement des artistes. Un suivi est également assuré avec la psychologue du service.
Au fil du temps, la situation a évolué : le service de pédiatrie a demandé des interventions. Le collectif a proposé en 2012 d’utiliser un ancien bâtiment comme résidence d’artistes sur le principe « un-e artiste, un projet, un service ». Ce projet est toujours en cours, mais peine à trouver des financements. Une liaison a été faite entre l’hôpital et la médiathèque de la ville pour ouvrir le travail artistique au plus grand nombre.
Un protocole précis est présenté à chaque nouvel-le artiste : l’artiste n’est pas un-e soignant-e (3), le travail se fait toujours en binôme avec une autre personne qui a déjà fait une intervention, les artistes sont tous des professionnel-les.

Travailler avec les réfugiés

Récemment, de nombreu-ses réfugié-es (Europe de l’Est, Syrie) sont arrivé-es dans la ville et certain-es hôspitalisé-es sont souvent très isolé-es par le barrage de la langue. Un guitariste syrien a rejoint la SCOP : cela a été une richesse supplémentaire pour chanter dans de nouvelles langues. Dans les binômes, il y a presque toujours un musicien, car la musique est compréhensible par tous, sans problème de langue. D’autres arts passent par-dessus les langues : magie, cirque…
Avec une bibliothèque et plusieurs associations, la SCOP a travaillé sur un projet d’alphabétisation intégrant la chanson et la poésie : « Un texte en rime se retient mieux. Récité par un-e clown avec la gestuelle, il permet de mieux mémoriser les mots. » Des spectacles ont été mis en place avec les réfugié-es pour qu’ils et elles racontent leur histoire : la mise en scène leur permet de mettre une distance avec des moments difficiles.

Blocage financier

La fusion des régions et les élections régionales ont provoqué un brouillage des financements : les interlocuteurs dans le domaine de la culture et de la santé ont changé. Les restrictions sont aussi venues, du côté de l’Etat. A partir de 2014, l’argent a commencé à manquer.
Les aides pour la prévention ont fortement baissé et celles de la culture se sont effondrées. La Scop a également subi le décès d’un de ces pianistes, pilier des interventions à l’hôpital et des stages. La compagnie s’est alors rendu compte qu’à partir de mi-2016, elle serait déficitaire. Elle emploie 4,5 équivalents temps plein à l’année. Un plan de sauvegarde a été mis en place en juin 2016 et la liquidation prononcée en août 2016.
Le milieu culturel de Troyes souffre énormément car d’autres éléments s’ajoutent au manque de subventions : manque de liaisons ferroviaires avec la capitale, département pauvre et sinistré.
Du côté de l’hôpital, l’annonce de l’arrêt des interventions a été perçu comme catastrophique. La création d’une association est à l’étude pour reprendre les interventions, à condition de trouver de nouvelles méthodes de financement.

M. B.

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer