Alternatives Initiatives autres

Vivre sur une petite surface avec une herberie

Michel Bernard

Vivre de manière simple, en cohérence avec ses idées : Sophie Creton et Xavier Decloux ont développé chacun leur activité. Sophie Creton exerce ses talents sur l’émail. Xavier Decloux produit et cueille des plantes aromatiques qu’il vend directement chez lui et sur les marchés locaux, le tout sur seulement un hectare.

En 2009, Xavier Decloux et Sophie Creton achètent une prairie de un hectare. Un tiers de la surface est défriché pour y construire une petite maison et y planter des plantes aromatiques. Le reste du terrain sert, dans un premier temps, à accueillir des ânes pour des balades. Depuis, ils ont été cédés au centre nature voisin, et la seule activité touristique qui reste est un tipi chambre d’hôte. Les ânes nécessitent des soins quotidiens et empêchent de partir en vacances. Ils ont été remplacés par des poules, plus faciles à confier à des amis quand on veut faire une pause. La prairie est fauchée un an sur deux, pour l’entretenir. C’est une réserve de plantes sauvages, tout comme la forêt environnante.
La maison, comme la boutique, a été autoconstruite. Les fondations ont été réalisées avec les pierres trouvées lors du défrichage. L’ossature bois est constituée de troncs débités localement. La paille de remplissage provient des champs voisins. Un poêle de masse assure le chauffage et complète le séchage des plantes. Des panneaux photovoltaïques offrent une puissance de 65 W en basse tension 12 volts, ce qui assure l’éclairage, la diffusion musicale et le fonctionnement de l’ordinateur. Un convertisseur 220 volts assure un complément de 200 W pour quelques appareils électroménagers.

Un jardin de plantes aromatiques

Le terrain, très drainant, est constitué d’un sol calcaire sur du sable argileux. Exposé à l’ouest, il bénéficie de plusieurs sources d’eau (nous sommes au bord du plateau de Langres, à l’extrême sud de la région). Le sol et l’orientation permettent de cultiver de nombreuses plantes méditerranéennes, alors que l’on se trouve à la limite nord.
Dans le jardin, aménagé en petites terrasses, sont cultivées 40 espèces, la plupart vivaces (qui durent plusieurs années). A l’origine, il s’agissait de plantes échangées avec d’autres jardins, notamment lors de la foire aux plantes de Bezouotte, près de Dijon, où l’on compte une centaine d’exposant-es.
Le jardin est enrichi par du fumier d’alpaga fourni par une amie éleveuse du voisinage (1). Les plantes se développent le plus naturellement possible. Le désherbage se fait à la main et les cultures sont organisées pour densifier le jardin et renouveler les plantes. Pour les visiteu-ses, un petit parcours fléché explique la démarche.
Xavier récolte environ 200 kg de plantes à l’année, qu’il complète par des cueillettes de plantes sauvages dans les prairies et les forêts des environs. Cela lui permet d’obtenir, après séchage, 20 kg de plantes sèches et de produire un millier de sachets à l’année.
Le séchage se fait dans la boutique ; sur des claies recouvertes de papier de soie.
Au départ, Xavier a bénéficié du revenu de solidarité active (RSA). En 2015, son activité lui a permis de dégager un demi-smic. Il est en train d’agrandir la boutique pour disposer de plus de séchoirs et vise, à terme, un doublement de son activité. Le séchage est entièrement naturel. Xavier ne pratique pas d’extraction comme pour les huiles essentielles. Selon lui, ces méthodes « très à la mode sont consommatrices d’énergie, nécessitent un plus haut niveau de technologie… et ne sont pas utiles ».
Avec le séchage et les infusions, dit-il, « j’ai l’impression de faire ce que l’on faisait depuis des siècles ». L’écologie n’est pas une chose nouvelle ! La permaculture ou l’agroécologie sont, pour lui, « des mots nouveaux pour faire comme avant ». Ce qui l’intéresse, c’est d’avoir le moins possible recours à des technologies qu’ils ne maîtrise pas, d’adopter une démarche de simplification.
Le terrain a été payé comptant, la maison réalisée sans aucun crédit. Il n’y a pas d’électricité ou d’eau à payer… donc on peut y vivre avec peu de recettes. Sophie, qui fait de l’artisanat d’art dans la commune — des plaques émaillées — a des revenus fluctants. Selon les conditions, ils recourent encore parfois au RSA.

Partage des savoirs et savoir-faire

Xavier complète son activité par des visites sur le terrain. Il fait de la « lecture de paysages » pour enseigner comment repèrer les sites favorables à telle ou telle plante sauvage. Il explique aussi, dans ces « lectures », comment prendre en compte les possibles pollutions de l’eau, éviter les champs pollués d’herbicides. Il montre que la diversité des plantes est maximale aux frontières : rives de ruisseaux, bords de forêts… « La diversité est dans les marges », ironise-t-il. Il organise des stages de formation en se faisant connaître sur les réseaux sociaux et via un site internet (2). Enfin, Xavier organise des conférences sur notre rapport avec les plantes. Il explique l’histoire de la réglementation sur l’usage des plantes : « Aujourd’hui, il y a encore 128 plantes libres ; toutes les autres sont encadrées par la loi. » Il fait partie des mouvements qui revendiquent le droit d’échanger librement des plantes.
Il utilise des simples pour vivre simplement (3).

M. B.

• Herberie de la Tille, Xavier Decloux, rue des Quatre-Noyers, 52160 Villemervry, tél : 06 80 38 93 51, herberiedelatille.fr
• Emaillerie Sophie Creton, tél : 06 23 32 24 94, https://sophiecreton.wordpress.com

(1) Les alpagas d’Orival, Lamargelle-aux-Bois, tél : 06 75 03 57 36, lesalpagasdorival.com
(2) Pour disposer d’internet, il doit se rendre au village, à un kilomètre, chez une personne connectée.
(3) Les « simples » sont un autre nom pour les plantes médicinales.

Dans le jardin

Quelques-unes des plantes cultivées :
• La sauge peut être utilisée dans les eaux de cuisson, les bouquets garnis, comme compresse (en désinfectant) ou en encens. Ce pro-œstrogène régule les règles et aide à la ménopause.
• L’Agastache mexicana a une odeur de menthe. Elle est utilisée dans les infusions, les desserts et les salades de fruits.
• La rue est une plante abortive, comme l’absinthe.
• L’ysope peut servir dans les infusions pulmonaires.
• La monarde est une plante d’Amérique du Nord qui sert dans les thés rouges.
• Le houblon est utilisé par les brasseries locales pour la bière. C’est un somnifère.
• La mélisse, ou citronnelle, est un digestif et un somnifère.

Le futur parc national

Le parc national des feuillus de plaine, sera à cheval sur la Champagne et la Bourgogne. Il protégera l’une des plus vastes forêts de feuillus en France. Il se situe sur la ligne de partage des eaux qui alimentent la Méditerranée (Saône), la mer du Nord (Marne) et la Manche (Seine). Il devrait voir le jour en 2017, avec, en son centre, 3000 ha de réserve intégrale. Cette réserve se fait sans aucune expulsion. Elle ne sera ouverte qu’aux scientifiques dans le cadre d’une étude à long terme sur le changement climatique.
Le parc se heurte pour le moment à des groupes de chasseurs, non pas locaux mais extérieurs, qui ont acheté des droits de chasse dans la région.

Un parcours atypique

Xavier Decloux est originaire de ce pays classé comme milieu ultra-rural avec seulement 4 habitant-es au km2 et une population en baisse. Après un lycée agricole, il est parti en voyage (Pologne, Inde, Madagascar, Roumanie) avec une première vie d’artiste-peintre. Il cherchait particulièrement le contact avec la nature. Son observation l’a conduit à étudier de plus en plus les plantes. Il a alors bénéficié de l’enseignement d’un ami botaniste et d’une vieille cueilleuse. Il a complété avec la lecture de livres. Ensuite, pour être dans le concret et par souci de vivre simplement, il s’est lancé dans les techniques d’autoconstruction. Après avoir habité en Provence puis à Toulouse, il est revenu dans ses paysages d’enfance pour y créer une activité en cohérence avec ses idées. Il n’est pas le seul : de nombreux autres natifs de la région reviennent ainsi pour se lancer dans des micro-initiatives.

La prairie du possible

Le 28 juin 2014, le festival « La Prairie du possible » a réuni sur le terrain 40 exposant-es (20 associations et 20 product-rices) provenant tou-tes du périmètre du futur parc national. Il était prévu que l’événement soit itinérant, avec une organisation horizontale. Sophie s’est beaucoup investie dans l’organisation mais malheureusement, il n’a pas encore eu de suite : la rotation n’a pas fonctionné.

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