Dossier Énergies Transition énergétique

Enercoop au sein d’un territoire en transition

Michel Bernard

Dans les Ardennes, les collectivités ont engagé une réflexion sur la gestion des énergies renouvelables, les économies d’énergie et l’après-pétrole. Des démarches engagées avec Enercoop, distributeur d’électricité et promoteur des économies d’énergie.

La communauté de communes des Crètes préardennaises, au sud de Charleville-Mézières, a à cœur de développer une démarche participative réelle. Elle a, à proximité, les exemples des coopératives belges et, au niveau national, le comité de liaison des énergies renovelables (1) qui fait la promotion des compagnies électriques municipales allemandes.
A la fin des années 1990, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (2) met en place, avec les collectivités, les espaces Info-énergie. L’Agence locale de l’énergie (ALE) de Charleville-Mézières a vu le jour à ce moment là. Elle a principalement un rôle de conseil.
Vers 2002-2003, quand arrivent des développeurs éoliens qui cherchent à s’implanter — avec le plus souvent comme seul critère de gagner de l’argent —, un débat s’engage entre l’ALE et les collectivités à propos de la maîtrise des ressources locales, du fait que le vent est un bien commun et que les collectivités ont leur mot à dire dans la gestion de cette ressource.

Des collectivités pour une démarche globale

Enercoop Champagne-Ardenne voit le jour en 2004, avec comme but initial d’assurer la distribution de l’électricité fournie par des producteurs exploitant des énergies renouvelables. C’est la première initiative en France. Un an après naît Enercoop sur le plan national.
Pour que les collectivités y trouvent leur place, l’idée est de créer une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui assure la production. Les SCIC, nées en 2001, ont une grande souplesse : elles permettent de s’ouvrir à différents collèges, dont les collectivités : cela permet d’encadrer l’usage des bénéfices (contrairement à ce qui se passe dans les sociétés), selon le principe coopératif qui veut qu’une personne égale une voix. La SCIC Energie voit le jour en 2009. Elle a adopté comme principe de départ de reprendre la démarche négaWatt : un tiers des investissements vise la production à partir de sources renouvelables, un tiers est consacré aux moyens de faire des économies d’énergie, un tiers vise à améliorer l’efficacité énergétique (3).
A l’usage, ce sont les économies d’énergie qui se sont développées le plus rapidement : elles correspondent maintenant aux trois quarts de l’activité. Il y a beaucoup d’accompagnement pour le développement de chaufferies muncipales au bois.
La communauté de communes s’avérant trop restreinte, la SCIC Energie s’est étendue à tout le département. Il y a de la demande pour s’étendre à la région, mais les Ardennes sont trop excentrées pour penser raisonnablement couvrir l’ensemble. Elle commence alors à intervenir dans le nord de la Lorraine, par manque d’autres initiatives.

Quel développement pour les énergies renouvelables ?

De même que la SCIC s’est développée du local vers le régional, il a été décidé que le développement des énergies renouvelables devait partir de ceux et celles qui sont déjà là, donc les agricul-trices chez qui on va installer différentes structures ou utiliser le bois. Ils et elles sont des prestataires : coupes de bois, broyage, séchage…
La SCIC a un fonctionnement ouvert où il faut prendre le temps de bien se comprendre. Lors d’une ou deux réunions annuelles, agricul-trices et élu-es viennent partager leurs questionnements et résoudre ensemble les problèmes.
Lorsqu’il s’agit d’investir, la loi Hamon permet aux collectivités de détenir jusqu’à 50 % du capital. La SCIC a donc dû faire des montages financiers pour que les collectivités, les agriculteur-trices et les industriel-les s’y retrouvent.
En 2010, la communauté de communes des Crètes préardennaises a ainsi fait le projet de restaurer le toit de l’église de Renneville avec des panneaux photovoltaïques. L’église étant classée, il fallait que cela soit bien intégré dans la toiture. L’architecte des bâtiments de France a imposé des panneaux noirs mats. Les banquiers n’ont pas suivi et il a fallu trouver une solution d’autofinancement pour un budget de 225 000 euros. Un appel a été lancé à la population et, en trois semaines, la somme a été collectée. Alors que les banques auraient prêté à 4 %, l’emprunt public a été lancé à 2,5 % sur 1 à 12 ans. Il a été choisi d’utiliser des panneaux construits en Europe, même s’ils étaient un peu plus chers.

Des éoliennes citoyennes

En 2015, la SCIC a lancé un projet d’installation d’éoliennes. Elle a choisi de limiter la hauteur des pales à 100 m, ce qui correspond à des éoliennes de 0,8 MW (4). Le prix de revient de l’électricité a été estimé à 72 euros le MWh. EDF a l’obligation d’acheter le courant éolien à 82 euros le MWh et bénéficie, pour payer la différence avec le prix du marché, des apports de la contribution aux services publics de l’électricité (CSPE), taxe prélevée sur les factures. Enercoop, qui voulait acheter cette électricité, ne bénéficiait pas de cette taxe et ne pouvait donc proposer un prix d’achat aussi élevé, se limitant à une offre d’environ 60 euros le MWh (5). Pour équilibrer les comptes, il a été décidé de faire deux contrats : deux éoliennes vendent leur électricité à EDF (donc avec 10 euros le MWh de marge), et la troisième la vend à Enercoop (avec 12 euros le MWh de perte). La combinaison des deux formules doit permettre de rester légèrement bénéficiaire.
Le budget est conséquent. Bernard Delville, militant belge, est venu expliquer à Enercoop la procédure qu’il a suivie à Arguillon, en Belgique : mettre l’une des trois éoliennes au nom de mineur-es. Le principe est le suivant : les parents ou grands-parents achètent des parts au nom de leurs enfants ou petits-enfants et ceux-ci, à leur majorité, deviennent les propriétaires des parts. C’est un moyen de transmettre un capital.
Selon Christelle Sauvage, d’Enercoop, que nous avons rencontrée, cette solution séduisante a été extrêmement difficile à mettre en place juridiquement. Les mineur-es ne pouvant pas toucher de rémunérations, les bénéfices de leur éolienne doivent être réinvestis dans l’animation pédagogique et dans des rencontres des enfants.
Les enfants sont représentés par leurs tuteurs au sein d’un collège de la SCIC. Ils récupèrent leurs droits à la majorité et peuvent alors revendre leurs parts… sous contrôle de la SCIC.
Enercoop a collecté des parts de particulier à hauteur de 100 euros avec un taux de rémunération modeste de 1,18 % (on investit pour le projet, pas pour gagner de l’argent). Il était aussi possible d’entrer dans le capital directement (avec des parts à 5000 euros). 550 personnes ont souscrit (70 % étant des habitants du département). Ces parts ont permis de collecter 1,8 million d’euros, soit un tiers du budget. Le reste provient des collectivités, qui ont souscrit à hauteur de 300 000 euros, et d’un emprunt bancaire à la Caisse d’épargne pour 1,7 million d’euros. Budget total : 3,8 millions d’euros.

Economiser l’énergie

Le fonds d’investissement Energie partagée (6) collecte de l’argent au niveau national pour financer des projets dans le sens d’une évolution négaWatt… mais, concrètement, la majorité de ces fonds finance de la production d’électricité (éolienne, photovoltaïque). Cela interroge sur la démarche à adopter pour promouvoir la baisse des consommations.
La SCIC Energie a engagé une réflexion sur le couplage possible, en cas de réfection de toitures, de la pose de panneaux solaires et d’une isolation préfabriquée : l’idée serait de mettre 40 cm d’ouate de cellulose sous chaque panneau. Enercoop achèterait alors le courant produit par les panneaux, ce qui ferait baisser le prix de l’isolation.
La communauté de communes des Crètes préardennaises a aussi engagé une réflexion sur l’après-pétrole. Comment, en milieu rural, se déplacer sans recourir à des carburants en voie d’épuisement ? Des études sont engagées pour la production de biogaz agricole, les possibilités de favoriser le covoiturage… Actuellement, il existe des expériences de méthanisation à la ferme, et cela sert déjà à faire fonctionner des tracteurs et d’autres engins agricoles. Le bilan est meilleur que le recours aux appareils électriques (au rendement très faible), et cette méthode permet surtout d’alimenter les véhicules existants (en remplacement du diesel).
Même si le département des Ardennes est peu peuplé, son niveau de réflexion sur la transition énergétique présente une certaine avance.

M. B.

• Enercoop Ardennes-Champagne, 17, rue Iréné-Carré, 08000 Charleville-Mézières, tél : 03 24 32 12 29, www.enercoop-ardennes-champagne.fr
• Les Ailes des crètes, éoliennes installées à Chagny, Bouvellemont, ingrid.julien@ailesdescretes.com, tél : 06 30 58 52 43 ou 03 24 32 12 29

(1) Comité de liaison des énergies renouvelables, 2 bis rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil, tél : 01 55 86 80 00, www.cler.org
(2) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, agence gouvernementale, www.ademe.fr
(3) Association négaWatt, boîte postale 16280, Alixan, 26958 Valence Cedex 9, tél : 06 64 52 63 42, www.negawatt.org
(4) Donc plus petites que celles développées actuellement : entre 2 et 5 MW, ce qui est un handicap pour le coût de production.
(5) La situation a changé le 29 septembre 2016 : Enercoop est devenu le premier opérateur à obtenir l’agrément nécessaire pour bénéficier des mêmes financement que EDF.
(6) Energie partagée, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél : 01 80 18 92 21, https://energie-partagee.org

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