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Accueillir des réfugié-es renforce notre société

Guillaume Gamblin

Accueillir des personnes migrantes, demandeuses d’asile ou réfugiées, est à la portée de tout le monde, sans besoin d’être expert-es en la matière. L’association Singa met en lien des Français-es et des migrant-es autour de centres d’intérêt ou de métiers partagés, ou encore d’activités artistiques et sportives. Et ça marche !

Nadjib est Algérien. Il est venu aider Silence à plier la revue pour l’envoi aux abonné-es, et aimerait participer à la rédaction. De même que Zayane, d’origine somalienne, et Apkar, originaire de Russie (1). Tous trois discutent de tout et de rien avec les autres bénévoles présent-es sur place.

Quand les réfugié-es aident les associations

La plupart vivent dans des centres d’accueil des demandeurs d’asile et réfugié-es aux abords de Lyon, et leur quotidien est fait d’attente face à l’administration. Beaucoup aimeraient apporter leur contribution à la société française en s’impliquant bénévolement dans des associations. C’est pourquoi la branche lyonnaise de l’association Singa en partenariat avec l’association Anciela (2) a organisé fin octobre 2016 un premier forum de rencontres entre une vingtaine d’associations locales et près de 170 personnes migrantes désireuses de s’engager. Associations de réparation de vélos, de couture, de cuisine, de jardinage, émission de radio, sont pris-es d’assaut par les participant-es qui souhaitent leur apporter leur aide. « Nous avons tellement l’habitude de penser que nos associations françaises ne peuvent qu’ »aider les réfugié-es« qu’il nous est difficile de penser l’inverse : les réfugié-es peuvent aussi aider nos associations ! », explique Fanny Auber, coordinatrice régionale Rhône-Alpes-Auvergne de Singa. Ce projet n’est qu’un des nombreux programmes mis en place par l’association depuis 2011, avec un succès croissant.

La rencontre, élixir pour dépasser les barrières à l’intégration ?

A l’origine de l’aventure Singa, il y a trois jeunes qui partagent le constat du cloisonnement entre la société civile et les réfugié-es en France. Plusieurs barrières empêchent la plupart de vivre une intégration correcte dans la société : la méconnaissance des codes socio-culturels, de la langue, des rouages de l’administration française, et le manque de réseaux sociaux et professionnels. Pourquoi ces barrières sont-elles vécues comme infranchissables ? La réponse est peut-être dans ce rapport du HCR (3) qui, en 2013, expliquait que seules 12% des personnes réfugié-es en France connaissaient un-e Français-e ! La réponse semble donc en découler : c’est en rencontrant des Français-es que les personnes pourront, à leur contact, mieux connaître les codes culturels et les fonctionnements administratifs, apprendre la langue, et se créer des réseaux socio-professionnels. C’est portés par ce constat que ces jeunes créent, en 2011, au départ en région parisienne, l’association Singa (4).

Favoriser l’entreprenariat et miser sur le numérique

Au départ, le projet tournait beaucoup autour de l’intégration professionnelle des personnes arrivant en France. Il s’agissait de favoriser l’entreprenariat, pour des personnes dont certaines étaient dans leur pays responsables d’entreprise, propriétaires de boutiques ou vendeu-ses sur les marchés. A leur arrivée, personne ne leur a dit que cela était possible aussi ici. C’est pourquoi Singa souhaite créer autour d’elles et eux un « écosystème » fait de graphistes, webmasters, entrepreneurs, etc., qui les accompagnent dans leurs projets. (5)
Parallèlement, un autre constat a été fait : plus de 80% des personnes demandeuses d’asile et réfugiées sont « connectées » aux NTIC (6) lorsqu’elles arrivent. Il s’agissait donc d’être en phase avec les moyens de communication utilisés par les réfugié-es. C’est le sens de l’application Waya, qui a pour but de répondre en de nombreuses langues aux questions pratiques (repas, hébergement) ou administratives que peuvent se poser des migrant-es arrivant sur le territoire français, ou encore d’espaces de travail partagé ouverts à des réfugié-es à Paris.
En 2015 a été organisé un « Hackathon », journée réunissant réfugié-es et développeus-es web, designers, graphistes, associations, pour partir de problèmes rencontrés et voir comment le numérique peut y répondre. C’est de là qu’est sortie la plateforme CALM (Comme A La Maison).

L’accueil au CALM : Comme A La Maison

L’idée est la suivante : de la même manière que nous envoyons nos jeunes en séjours d’immersion linguistique en Grande-Bretagne, de même de telles expériences d’immersion peuvent aider une personne arrivant en France à s’emparer des codes socio-culturels de la société d’accueil, à se familiariser avec sa langue, son fonctionnement administratif, etc. (7)
Au départ en juillet 2015, une vingtaine de familles s’étaient proposées pour de l’hébergement. Puis avec la diffusion massive de la photo du petit Aylan échoué sur une plage, les médias se sont emparés de l’initiative, et en septembre 2015, Singa faisait face à 8000 propositions d’hébergement ! Cet afflux n’a pas été gérable sur le moment. De fait également, la plateforme n’a pas pu fonctionner de manière autogérée par les utilisateurs et utilisatrices, du fait de la complexité des paramètres à prendre en compte. Aujourd’hui c’est Singa qui met en relation chaque foyer (8) avec un-e réfugié-e, avec plusieurs étapes : première rencontre dans un lieu neutre, signature d’une convention, projet de vie, suivi de la cohabitation, service d’interprétariat si besoin. (9)
Dans la plupart des cas, l’expérience se passe très bien, elle est vécue comme un fort enrichissement mutuel et débouche sur des amitiés qui perdurent. Il n’est pas rare que, pour la personne réfugiée, le foyer d’accueil devienne comme un pilier, un lieu chaleureux où il ou elle se sent en famille. Pour les accueillant-es, l’expérience rime souvent avec confrontation, questionnements, enrichissement. Il arrive qu’il y ait des tensions d’ordre culturel, dans ce cas Singa peut faire intervenir des médiateurs ou médiatrices interculturel-les.

Des binômes, des ateliers, des concerts…

Le projet est loin de se limiter à l’accueil à domicile. La connexion entre Français-es et réfugié-es se fait également par la création de binômes par passions, métiers ou intérêts partagés, ainsi que par groupes pratiquant ensemble des activités sportives, culturelles ou artistiques. A Lyon il existe le Singa blabla, temps de discussion en français, ainsi que des activités partagées de natation, football, Qi Gong,… Chaque lundi, un Erythréen emmène qui veut le suivre faire de la course à pied dans les rues de la ville. A Montpellier, des ateliers réunissent les personnes autour de la naturopathie ou encore de l’écriture. A Lille, le projet Talents est axé sur les débouchés professionnels. Mais à chaque fois, le but n’est pas l’activité en elle-même : celle-ci reste fondamentalement un motif pour se rencontrer.
L’association organise également des événements plus larges, comme la Singa night à Paris qui a réuni des concerts d’artistes réfugié-es et français-es, ou la scène ouverte à Lyon (10).
Dans cette même ville, les soirées Inspire réunissent Français-es et réfugié-es autour des histoires, des témoignages, des projets que ces dernier-es ont envie de partager, à l’image de Rina, Albanaise, qui a témoigné par son écriture d’un livre sur les proverbes albanais pour mieux faire connaître sa culture. Et les Singa tour sont des visites de Lyon guidées par des réfugié-es, qui racontent leurs histoires de la ville, en faisant des liens avec leurs pays, leurs religions, etc.

Recréer un mouvement social d’accueil des réfugié-es

Forte d’une dizaine de salarié-es, la plupart en Ile-de-France, et d’autant de personnes en stages ou service civique, Singa arrive à avancer en partie par l’autofinancement (11). Le reste est assuré par des dons, ainsi que par des subventions publiques (12), des fondations privées d’entreprise et du mécénat.
Comment une association s’organise-t-elle pour mener autant de projets en même temps ? C’est là tout l’enjeu et la difficulté. N’y a-t-il pas un risque d’éparpillement à vouloir mener autant de projets de front ? Cette multiplicité permet-elle de conserver la qualité de chaque projet et de réaliser un suivi suffisamment solide de chacun d’entre eux ?
Autre obstacle, l’association a eu du mal à se faire reconnaître comme un interlocuteur crédible dans l’aide aux personnes migrantes. Les associations plus anciennes se sont évertuées à se professionnaliser, ce qui est compréhensible face à la complexité de l’accompagnement administratif en particulier. Mais cela a aussi cloisonné, de sorte que l’accueil des demandeu-ses d’asile semble ne plus être accessible à tout-un-chacun. Jeune association sans une grande expérience, Singa a cherché au contraire à rapprocher l’accueil des réfugié-es de la société civile, d’en faire un mouvement social. Elle prône également une approche véritablement horizontale : on ne parle plus ici de parrains ou marraines, mais de binômes, à égalité. « On est complémentaires », estime Fanny Auber, qui résume la démarche de l’association : « Nous considérons qu’accueillir les personnes réfugiées renforce notre société ».

Guillaume Gamblin

Singa France, 50, rue de Montreuil, 75011 Paris, tél : 01 40 61 06 24, https://singa.fr.

(1) Leurs prénoms ont été modifiés.
(2) L’association Anciela, basée à Lyon, accompagne les engagements et les initiatives des citoyen-nes en faveur d’une société écologique et solidaire. Anciela, 110, Grande rue de la Guillotière, 69007 Lyon, entrée au 1 rue Claude Boyer, tél : 09 72 38 60 50, www.anciela.info.
(3) Haut Commissariat aux Réfugié-es, lié à l’ONU.
(4) Terme qui signifie « prêter » en bambara.
(5) L’idée initiale était de mettre en place une plateforme de microcrédit, mais le projet a vite été abandonné faute de moyens financiers.
(6) Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
(7) L’idée était que cela ne réponde pas à un besoin d’hébergement d’urgence mais dans le fait, c’est souvent aussi le cas.
(8) Famille, couple, personne seule ou colocation.
(9) Aujourd’hui, l’ensemble des propositions n’a toujours pas pu être traité. Depuis septembre 2015, il y a eu environ 250 expériences d’hébergement en Ile-de-France. A Lyon, 200 foyers se sont proposés mais seuls 35 ont déjà pu passer à la pratique. L’hébergement peut durer entre trois et douze mois selon les cas.
(10) Sur laquelle 12 groupes ou artistes se sont succédé-es, avec trois jours d’ateliers cuisine avant l’événement qui ont été aussi riches en rencontres que la soirée elle-même.
(11) Formations à l’interculturel, prestations auprès d’entreprises,…
(12) Telles que le fonds « La France s’engage » et des aides de la mairie de Paris.

Accueillir des personnes réfugiées dans une association

Quelques conseils donnés par Singa pour l’accueil de personnes réfugiées dans nos associations.
Les réfugié-es sont souvent vus à travers le filtre de leur statut ou de leur passé, ce qui peut être limitant voire douloureux pour elles et eux. Il est donc recommandé d’éviter la question : pourquoi avez-vous quitté votre pays ? Eviter également les séries de questions, qui pourraient rappeler un interrogatoire : où habitez-vous ? avez-vous des enfants ? combien ? etc.
Ce qui peut aider au contraire : plutôt parler de soi pour commencer, ou bien de notre société : y a-t-il des choses qui vous choquent ici ? Et privilégier une approche par compétences, envies, projets.

Témoignages d’accueil à la maison

Nils et sa compagne Aurore ont accueilli un réfugié de Syrie pendant 3 mois. Malgré les cours intensifs de français qu’il suivait -et ses progrès notables !-, la barrière de la langue est restée une contrainte non négligeable dans la communication au quotidien et dans le tissage des liens. Nils et Aurore ont trouvé l’expérience enrichissante humainement et prévoient de la renouveler.
« Ça m’a apporté un regard différent », témoigne quant à lui Daniel, qui accueille chez lui un réfugié politique originaire du Darfour (Soudan). « Au fur et à mesure des liens se tissent, à travers des conversations ; préparer le repas ensemble c’est très sympa », témoigne-t-il.

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