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Capitalisme rattraperait-il aussi les réseaux d’approvisionnement alimentaire

A.Strid

Les circuits courts de proximité sont à la mode. De plus en plus d’AMAP et de groupements d’achats, créent des réseaux d’approvisionnements alimentaires un peu partout en zone urbaine ou rurale. Les créateurs et les créatrices de cet élan resteront-ils et elles acteurs et actrices de leurs choix ?

Producteurs et productrices, consommateurs et consommatrices, réuni-es en confiance pour court-circuiter les intermédiaires et la grande distribution, le tout en s’organisant de manière autonome. Dans le paysage de la consommation aveugle et sous tutelle de l’agro-alimentaire, il y a comme une bouffée d’air frais, des effluves de cuisine joyeuse, des sans-culottes sans caddy. Les circuits courts ont aussi un joli fumet de part de marché... Les créateurs et créatrices de ce changement culturel resteront-elles et ils acteurs et actrices de leurs choix ? Une intéressante illustration de ce questionnement nous est offert par l’entreprise de vente en ligne La Ruche Qui Dit Oui !.

Start-up sociale et solidaire

Créée fin 2010 par Equanum SAS, La Ruche Qui Dit Oui ! (LRQDO), "start-up sociale et solidaire" se présente comme la créatrice du "circuit court 2.0 : digital, local et participatif". Elle propose aux agricult-rices-product-rices-artisan-es une plate-forme internet de vente en circuit-court, adaptée aux mobiles, tablettes et ordinateurs. Vendeurs et vendeuses ainsi qu’acheteurs et acheteuses y sont mis en relation via un groupe appelé ruche. La ruche a une adresse physique et propose des livraisons venant de 250 km maximum. Via le site, le ou la productrice propose ses produits et ses prix, les consommateurs et consommatrices commandent et payent en ligne ce qui sera livré à l’adresse physique. Chaque ruche a un-e responsable qui réceptionne les commandes, prend en charge la distribution, prospecte les producteurs et prductrices, trouve les locaux et anime la « communauté ». L’entreprise prélève une commission de 16,7 %, en reverse la moitié à la personne responsable de ruche. Celles-ci doivent payer leur statut social sur cette rémunération. L’entreprise ne salarie que la centaine de personnes qui travaillent au développement de la plateforme internet, à la gestion du support technique et commercial et coordonnent le réseau. (1)

Stratégie commerciale à valeurs porteuses 

La stratégie commerciale met en avant des valeurs porteuses : "Manger mieux, manger juste", "Rassemblons-nous pour acheter les meilleurs produits aux agriculteurs et aux artisans de nos régions". L’un des fondateurs, David Choukroun, PDG de l’entreprise, déclare : "Cela va très vite, notre organisation est décentralisée et elle demande peu de moyens. Il suffit d’une personne qui a envie de s’investir dans le circuit-court". Plusieurs outils de type blog, magazine ou réseaux sociaux, ont été créés à des fins pédagogiques et relationnelles, ainsi qu’une application pour Iphone. En juin 2016 (2), ce réseau compte 850 ruches en France et en Europe (3), 135 000 client-es acti-ves, 5000 producteurs, productrices et artisan-es. Le volume d’affaires était de plus de 17 millions d’euros sur les 10 premiers mois de 2014 avec 627 ruches (4). Parmi les actionnaires, quelques géants du web, par ailleurs actionnaires de média (comme Xavier Niel), et quatre Fonds d’investissement (5).

Une réussite controversée

Le réseau des Amap (6) et certains observat-rices accusent la SAS de surfer sur la vague de l’économie collaborative tout comme Uber, Airbnb ou Blablacar et de s’enrichir du travail des responsables locaux. Tiffany Blandin souligne : "Sans salaire à leur verser, ni de locaux à payer, la maison mère peut ouvrir autant de ruches qu’elle le souhaite, sans avoir à remettre de l’argent sur la table" (7). LRQDO est accusée aussi de présenter comme "en direct", des ventes avec intermédiaires, pour des produits moins locaux qu’une AMAP, sans obligation d’agriculture bio, ni justification de la provenance des produits.

Des défenseurs motivés

Pour les fournisseu-ses satisfaits, LRQDO est un débouché complétant les réseaux plus impliquants des AMAP avec contrat et des groupements d’achat autogérés. L’image sociale et solidaire est relayée passionnément par les reines, souvent porteuses de valeurs altruistes et motivées pour changer les habitudes de consommation. Relayée aussi par certains acteurs du monde alternatif comme le gratuit gardois Greenouille : "L’argent est parfois au service de beaux projets" (8). Du côté des entrepreneurs, L’Observatoire du Management Alternatif salue : "le modèle économique de l’entreprise très intéressant" (9) et la revue LSA, destinée aux acteurs du commerce de la grande distribution célèbre "La start up qui cartonne chez les locavores" "la plus originale et la plus prometteuse de la distribution alimentaire" (10).

Un système marchand vertueux ?

Peut-on compter sur les actionnaires pour partager l’altruisme des reines ? LRQDO peut certes être un bon moyen d’initier la population à manger local et à sortir des supermarchés. En quelque sorte une prémisse pour aller ensemble localement vers une consommation plus responsable en étant épaulé-e par un réseau international. Le tout sans changer les habitudes d’achat rapide et peu impliquant. On peut s’interroger néanmoins sur le fait que l’outil de production appartient à des personnes qui ne sont ni les consommat-rices, ni les product-rices, ni les salarié-es, ainsi que sur l’utilisation que les actionnaires feront de ce fichier client en pleine expansion. Ce ne serait pas la première fois qu’un phénomène émergeant de la société civile serait mis au service de la vaste entreprise de recyclage des valeurs dont le système marchand a besoin pour perdurer (11). Nous aurions alors affaire à un Cheval de Troie, faisant adhérer au modèle en vogue, un risque de servir le système marchand en croyant s’en affranchir.

A. Strid

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