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Du Congo à la France, parcours d’une migrante

Denise (pseudonyme) a dû fuir la République Démocratique du Congo traversée par le chaos politique et les massacres. Pour cette mère de famille de 45 ans, l’enfer a continué jusqu’en France. Récit d’un parcours mondialisé.

Denise est mariée et mère de 6 enfants dont le dernier a 6 ans. D’une famille aisée, elle a fait de bonnes études à l’école privée Sainte-Marguerite (Luisha à Lubumbashi). Après le secondaire, elle a reçu une formation de 3 ans en Science infirmière à l’ISTM. Son mari de mère congolaise et de père camerounais est un homme d’affaires.
Dans les années 1980-1990, Béni, située dans le Nord-Kivu, était une ville prospère avec l’avantage, pour les relations économiques et commerciales, d’être frontalière avec l’Ouganda et le Kenya. Cette ville est située dans la seule région d’Afrique où l’on peut cultiver du café, aussi bien de l’Arabica que du Robusta. Son sol regorge de minerais dont le coltan (60 % de la production mondiale), minerai rare, indispensable dans la production de multiples appareils électroniques.
De plus, la région jouit d’un climat agréable, tempéré grâce aux montagnes. Sur ce continent immense, on ne souffre pas partout de la chaleur excessive comme nous avons tendance à le croire !

Quand la violence fait tout exploser

Suite à plusieurs graves crises politiques et socio-économiques, à d’incessants pillages par des militaires depuis 1991, le tissu économique s’est délabré et Béni a été envahie par des groupes armés venus de l’Ouganda et du Rwanda ainsi que par des rebelles congolais dont le Maï-Maï et le M23.
Le chaos politique et les massacres, dont on parle très peu et occasionnellement, se poursuivent.
Le 14 août 2016, il y a eu un sujet sur Arte et France 2 aux informations : 52 personnes ont été tuées, des maisons incendiées et des gens brûlés vifs. Les massacres à la hache et à la machette, les viols, la destruction délibérée des organes génitaux des femmes continuent à Béni malgré la présence des Casques bleus et des soldats congolais. (Actuellement le plus important contingent de Casques bleus du monde est en RDC.) Denise est très inquiète pour sa famille et ses amis qui peuvent être victimes à tout moment de ces bandes composées de très jeunes garçons drogués et manipulés.
Elle-même a été victime de cette barbarie lors de son enlèvement et de son « séjour » forcé dans la forêt pour soigner les jeunes blessés. Suite à cela, elle est partie régulièrement aider et soigner des femmes violées et mutilées avec l’aide de la communauté Nandé et surtout du Père Vincent Machozi, président de la communauté Yira-Nandé, assassiné le 21 mars 2016.
Elle faisait partie des personnes qui dénoncent ce crime et réclament une enquête internationale sur cette situation intolérable qui perdure depuis des années dans la grande indifférence de la communauté internationale. Elle a été menacée de mort, son mari également, d’où leur décision de fuir avant qu’il ne soit trop tard. Elle est arrivée en France le 4 juillet 2016, son mari et ses enfants se trouvent dans un autre pays africain.

Dans les mains des passeurs

Elle a écrit le récit de son périple commencé début avril avec un groupe d’une quinzaine d’hommes et femmes comme elle, obligés de s’enfuir de leur pays, aux mains de divers passeurs qui leur ont pris bien sûr tout leur argent et leurs papiers, jusqu’à son arrivée dans une ville française du sud où elle a passé sa première nuit en centre d’accueil de nuit (HAS), complètement perdue et épuisée, sans pouvoir dormir dans une pièce où elle était la seule femme au milieu d’hommes plus ou moins inquiétants (certains vraiment en mauvais état, voire alcoolisés).
Là, elle a été agressée par le gardien de nuit au petit matin, lui a résisté et s’est enfuie. Elle n’était pas sûre de se trouver en France, les passeurs ne leur ayant jamais donné aucune indication sur leurs trajets (en bateaux, en cars, en train), voyageant toujours de nuit et faisant étape dans des lieux très « neutres » avec interdiction d’ouvrir les volets et de sortir. Heureusement, dès le lendemain, elle a été accueillie et hébergée par des bénévoles d’une structure caritative.

Arrivée en France

Ses démarches en France ont donc commencé avec un dépôt de plainte contre son agresseur puis la constitution d’un dossier de demandeur d’asile. Il a fallu qu’elle passe à plusieurs reprises de nombreuses heures dans les divers bureaux à Marseille (préfecture, OFII) où elle a chaque fois été reçue avec bienveillance et professionnalisme. On lui a expliqué qu’elle serait envoyée dans un CADA (centre d’accueil de demandeurs d’asile), n’importe où en France, selon les places disponibles. En cas de refus de sa part, son dossier aurait fort peu de chance d’aboutir et l’allocation prévue ne serait pas accordée.

Les dernières nouvelles sont plus rassurantes, elle a réussi à joindre son mari et sa sœur au téléphone et le 22 août elle a été admise dans un CADA non loin des amis qui l’ont accueillie et « adoptée ».
Dans son centre d’accueil, elle dispose d’une chambre individuelle, au milieu d’autres demandeurs d’asile, pour la plupart installés depuis de nombreux mois. Ils ont une cuisine commune et sont suivis par des assistantes sociales très compétentes et à l’écoute.
Son dossier est en cours d’instruction à l’OFPRA à Paris où elle sera convoquée dans un délai non défini pour être auditionnée sur son parcours et les raisons de sa demande d’asile, cela peut prendre plusieurs mois. L’attente indéterminée est le plus dur à supporter ! Elle s’ajoute à la peine d’être séparée de sa famille, ses amis et ses collègues. Elle reçoit très peu de nouvelles, car les communications sont difficiles et chères.

Regards de Denise sur la société

Elle apprécie en France les systèmes d’aide (inexistants au Congo) et l’organisation du pays, elle est émerveillée
— qu’une ambulance puisse arriver en quelques minutes sur le lieu d’un accident (à Béni, dit-elle, ville importante, il y a en tout 3 ambulances, presque tout le temps en panne, ce sont les voisins qui ramassent les blessés et les emmènent à l’hôpital).
— que des lieux facilement accessibles existent où l’on peut se nourrir et se vêtir pour des prix très modiques, voire gratuitement ; les exemples sont nombreux.

Elle est en même temps choquée par la pauvreté de certains en face de l’aisance d’autres et choquée par le comportement de personnes que la France accueille et aide, et qui se permettent de critiquer et récriminer.
Elle a la nostalgie de la solidarité familiale africaine...
Son avenir est un grand point d’interrogation, obtiendra-t-elle le statut de réfugiée ? Et quand ?
Si oui, il lui faudra trouver et financer un logement, chercher du travail pour pouvoir subsister et faire venir au moins son dernier fils qui lui manque terriblement.
Après...

« Le Congo est en lambeaux »

Si un jour son pays retrouvait la paix, elle voudrait y retourner et reprendre ses engagements pour lutter contre les inégalités criantes, la corruption généralisée, le pillage des immenses ressources minières du Congo (or, diamants, minerais rares...) par les pouvoirs en place, bien soutenus par des étrangers (y compris européens) qui ont tout intérêt à faire perdurer le chaos.
Elle est désolée que son pays si riche de ressources soit dans un tel état de délabrement dans tous les domaines : rien ne fonctionne, ni l’eau, ni l’électricité, ni l’éducation, ni la santé, ni les voies de communication, ni les trains, ni rien.
« Le Congo est en lambeaux », constate-t-elle avec une immense tristesse.

Propos recueillis par R. K.
le 17 octobre 2016

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