Artieda est un petit village de quelques centaines d’habitants situé sur l’ancienne ligne de chemin de fer entre Pampelune et Lumbier (1). Il se trouve au pied des Pyrénées espagnoles, au centre d’une vaste zone agricole. Dans les années 1920, un collège religieux y est construit avec un pensionnat pour y accueillir les enfants des agriculteurs. Celui-ci va fonctionner jusque dans les années 1970. Après des années de déshérence, il va être repris à la fin des années 1990 et transformé en hôtel de luxe : piscines intérieure et extérieure, jacuzzi, golf… En 2006, avec l’amplification de la crise économique, le palace fait faillite. Le propriétaire essaie alors de le reconvertir en le transformant en appartements à louer. Les suites sont transformées pour obtenir 64 petits appartements. Malgré un prix plus bas que le marché, seuls huit appartements sont occupés. Faute de revenus, le bâtiment se dégrade peu à peu.
En 2013, Mauge Cañada (2), qui a déjà fréquenté plusieurs écovillages, dont un assez proche dans les Pyrénées (3), rencontre le propriétaire. Elle est originaire de la région et voit rapidement l’opportunité d’utiliser l’ancien palace comme un immense lieu alternatif.
Elle passe un accord avec le propriétaire : pendant les cinq premières années le bâtiment est loué avec option d’achat. Une partie du loyer est échangé contre une convention d’entretien des bâtiments.
Un projet qui se fait en avançant
Mauge fait alors une présentation des lieux par écrit et lance l’information à Pampelune. Le projet regroupe un habitat groupé avec des parties communes et une université de la transition où sont accueillies des personnes qui viennent en formation. Les réunions attirent rapidement beaucoup de monde, mais comme toujours, le cercle des intéressé-es diminue quand il faut passer à la pratique. Finalement 24 adultes, avec une quinzaine d’enfants, investissent les lieux. Beaucoup viennent de Pampelune, d’autres des communes voisines.
Le bâtiment comprend deux corps principaux reliés entre eux. Le rez-de-chaussée est entièrement consacré aux activités communes avec de multiples salles de réunion (la plus grande, dans l’ancienne piscine couverte reconvertie, peut accueillir 200 personnes), une immense salle de bricolage, un espace de jeux pour les enfants, un jardin d’enfants, une salle à manger commune avec des cuisines géantes (reprises de l’hôtel), une salle de concert…
Les étages du premier corps de bâtiment accueillent les appartements des membres permanents, les étages de l’autre, des chambres pour les stagiaires et des bureaux pour les activités administratives. Mauge reconnaît qu’elle ne sait pas combien il y a de toilettes au total, mais sans doute pas loin d’une centaine ! A l’extérieur, la question de la suppression de la (grande) piscine reste en suspens : c’est un luxe agréable, mais ce n’est pas vraiment compatible avec une transition vers une société écologique. Le golf, qui bénéficiait d’un système complexe d’irrigation a lui été reconverti en zone de cultures maraîchères, la distribution d’eau étant un avantage certain.
Chaque famille doit être autonome financièrement et participe à raison de 250 à 300 euros par mois au loyer, aux charges et aux investissements. Chaque personne doit en plus donner 60 euros par mois pour la nourriture, les repas de midi se prenant en commun. Enfin, chacun-e doit s’investir 30 heures par mois dans les activités communes.
La charte de départ était très restreinte (elle tenait sur une feuille recto). Au fil des réunions et des questions qui surgissent, des débats enrichissent une « constitution » du lieu. Le bail a été passé par une association, les discussions actuelles portent sur le passage en coopérative.
L’Université de la transition a pour rôle d’accueillir des porteu-ses de projets. Pour Mauge « on vient ici pour concrétiser des rêves et ce n’est pas toujours facile ». Depuis le début, il y a beaucoup de mouvements et il faut veiller à écarter « ceux et celles qui viennent à la recherche de papa collectif et de maman communauté ».
Rendre le lieu plus écologique
Le bâtiment étant très loin des critères écologiques, les investissements sont faits pour aller vers un habitat sain, un jardin biologique et une faible consommation énergétique. Au niveau des modes de décision, ils expérimentent la sociocratie : cela ne fonctionne ni à la majorité, ni au consensus, mais au consentement. Pour chaque problème, un cercle restreint de décision est mis en place avec les personnes les plus concernées, groupe qui va chercher la meilleure solution pour tous. Cela donne des responsabilités aux personnes désignées pour en faire partie, cela suppose de la confiance de la part des autres, cela évite les personnes qui ne participent pas en se cachant dans un grand groupe.
Depuis trois ans, le rythme imposé est intensif : une grosse partie des gens ont un travail à l’extérieur (souvent à Pampelune, ce qui nécessite une demi-heure en voiture), quelques un-es travaillent sur place (métiers créatifs en free-lance, maraîchage, élevage, formations, travail local). En plus de leur métier, les habitant-es doivent participer à la préparation des repas communs, aux travaux d’entretien, aux récoltes… De fait, cela n’attire pas les retraités ! Les adultes présents sont tous actifs et ont entre 23 et 55 ans.
Ils débattent de la relocalisation de leurs activités pour éviter les transports. Le maraîchage leur permet déjà d’assurer 35 à 40 % de leur nourriture et il reste des terrains à mettre en culture. Progressivement, les arbres d’ornement du golf sont remplacés par des arbres fruitiers. Des accords ont été passés avec des voisins pour exploiter d’autres fruitiers (mûriers, figues et mûres sauvages). Un poulailler a vu le jour pour la production des œufs mais aussi pour un ambitieux programme de recyclage des déchets organiques au niveau du village. Ils essaient de compléter en achetant local. Des coupes de bois sur les communaux permettent d’alimenter la chaudière au bois qui chauffe surtout le bâtiment des permanents, le bâtiment « stagiaires » étant peu occupé en hiver. Un bâtiment municipal et des champs communaux leur ont été loués à très bas prix et cela va permettre à deux personnes de lancer une activité d’élevage de vaches (4). Une production de biogaz a fonctionné avec succès pendant huit mois en 2015 et il est envisagé de pérenniser cette pratique. Elles et ils sont en contact avec une coopérative d’énergie pour pouvoir s’y connecter et la pose de capteurs solaires en toiture est envisagée pour être quasi-autonome en électricité. Toutes les fenêtres au nord ont été remplacées par des doubles vitrages. Un plan pour faire l’isolation progressive de l’ensemble des bâtiments soit 8000 m2 habitables est à l’étude.
La place disponible attire peu à peu de nombreuses activités. Pour Mauge « l’art vient nous chercher » avec des stages de danse (dans l’ancienne église), un espace pour le son en construction (doublage d’une salle en bottes de paille en chantier lors de notre passage), stages de peinture…
Parmi les projets en démarrage : la création d’un four à pain pour assurer la boulangerie du lieu et une production de bières locales.
Une monnaie interne calculée sur le temps, les « terrones » (« morceaux ») est à l’étude pour les échanges internes de plus en plus importants au fur et à mesure qu’augmentent les activités du groupe.
Leur arrivée dans l’ancien palace a d’abord un peu effrayé les habitant-es du village, mais plusieurs personnes qui vivent dans l’écovillage sont des locaux et cela a permis de tisser de bonnes relations rapidement. Les voisin-es viennent participer aux fêtes et à certaines activités, il y a des prêts de matériel… En 2015, il y a eu des élections municipales. La commune est composée de onze petits villages pour un total de moins de 1000 habitants. Ils ont voté (30 voix) et cela a permis l’élection de plusieurs femmes, une nouveauté ici.
Animer le réseau européen des écovillages
Lors de notre passage — à vélo ! — en juillet 2016, le groupe sortait d’une quinzaine de jours de rencontres de la branche européenne du GEN, Global ecovillage network, réseau global des écovillages. Ils ont accueilli 400 personnes venant de toute l’Europe et même de plus loin.
L’année précédente, ils avaient déjà organisé une rencontre du réseau ibérique des écovillages (5). Selon Mauge, il y a, en Espagne, une douzaine de grands écovillages et quinze à vingt petits projets. C’est dans les Pyrénées qu’il y en a le plus car il y a de nombreux villages à l’abandon et peu de pollutions industrielles. En Catalogne, il y a des expériences plus communautaires. Le mouvement était en expansion lente, mais depuis la crise de 2008, ces lieux se sont trouvés face à une forte demande qu’il a fallu canaliser. Dans l’idéal, quand il y a trop de monde sur un lieu, il faut essaimer, mais trouver un nouveau lieu n’est pas toujours facile, notamment pour bénéficier de terres cultivables.
Les rencontres permettent d’aider à développer des projets collectifs, on y fait beaucoup d’échanges d’expériences que ce soit dans le domaine des techniques écologiques ou sur les questions sociales (vivre ensemble, prendre des décisions, résoudre un conflit, relations avec le voisinage, ce qui appartient au collectif et à chacun-e…).
Cet été, cinq jours d’ateliers ont permis d’aborder de nombreuses questions, puis cinq jours ont été consacrés à mettre en place un programme commun pour aider à faire émerger de nouveaux écovillages. Enfin deux jours ont été consacrés aux questions administratives.
Pour la France étaient présent-es Sophie Rabhi pour le mouvement Colibri et des membres des Communautés de l’Arche (6). Il manquait des réseaux comme Longo Maï (7) qu’ils fréquentent par ailleurs.
Il y a eu une discussion très intéressante avec des Africain-es qui sont venu-es expliquer que pour le moment la plupart des villages en Afrique sont encore écologiques, mais qu’ils sont menacés par les projets de développement.
Ces rencontres permettent de se rendre compte qu’il y a tout un mouvement en route.
Le GEN est né en Allemagne il y a déjà une trentaine d’années. Son président, suédois, est venu il y a un an habiter sur place, initialement pour aider à la préparation des rencontres. Et puis, il a décidé de rester et la réunion de cet été a adopté le transfert du secrétariat du GEN à Arterra. Celui-ci est assuré par quatre personnes : Mauge, un Suédois, une Italienne et une Hollandaise qui vivent sur place. 55 grands projets d’écovillages sont adhérents dont certains atteignent le millier d’habitants. Il y a des réseaux par pays en Italie, Allemagne et Espagne.
Les prochaines rencontres se tiendront en Suède puis en Estonie.
Michel Bernard
• Arterra Bizimodu Ecoaldea, NA 2455, 31480 Artièda, Navarre, Espagne, tél : 0034 948 92 59 56, amauge@gmail.com, http://arterrabizimodu.org/
• GEN, réseau global des écovillages, http://gen.ecovillage.org/
• RIE, Red Iberica de Ecoaldeas, réseau ibérique des écovillages, http://rie.ecovillage.org/
(1) Arterra participe avec d’autres groupes locaux au projet de transformer cette ancienne voie ferrée en véloroute, sur une cinquantaine de kilomètres.
(2) Se prononce Maouré en espagnol.
(3) Mauge a habité une vingtaine d’années — en trois périodes — dans l’écovillage voisin de Lakabe, un projet né en 1980 à l’initiative de personnes de Bilbao. Il s’est installé dans un village abandonné. De nombreux autres projets en Navarre sont nés à l’initiative de personnes passées à Lakabe. Comunidad de Lakabe, Lakabe s/n, 31439 Arce, Nafarroa, Espagne, lakabeko@gmail.com
(4) En Espagne, il reste beaucoup plus de terrains et bâtiments communaux qu’en France.
(5) Ibérique et non pas espagnol car de nombreuses régions ne se reconnaissent pas dans le pouvoir central de Madrid. Arterra est situé en territoire basque.
(6) Mouvement Colibris, 95, rue du Faubourg-Saint-antoine, 75011 Paris, tél : 01 42 15 50 17, www.colibris-lemouvement.org et Communautés de l’Arche, www.arche-nonviolence.eu
(7) Longo Maï, voir http://www.prolongomaif.ch/les-cooperatives/
