Article France Paix et non-violence

Quand l’armée distribue des bonbons à l’école

Guillaume Gamblin

Silence s’est intéressé à ces classes qui ont pour objectif affiché d’opérer le rapprochement entre les élèves et l’armée.

Les enfants de la « classe défense, citoyenneté et sécurité » du collège Jean Brunet, à Avignon, garderont un bon souvenir de leur sortie sur la base aérienne d’Orange ! Beaucoup avouent avoir été « impressionnés » par le Mirage 2000 qu’on leur a présenté. Et que dire de leur visite de la base navale de Toulon, où ils ont tous dû enfiler des casques pour visiter un sous-marin nucléaire d’attaque ! Nul doute que ces visites leur laisseront une marque positive qui ressortira lorsqu’ils entendront parler plus tard de missiles tirés par les sous-marins ou les avions militaires français.

« Un partenariat fort entre une unité militaire et une classe »

Les « classes de Défense globale » sont « un partenariat fort entre une unité militaire et une classe » de collège… voire d’école élémentaire [1]. On en comptait, à la rentrée 2014, plus de 80. Elles constituent depuis 2011 la formule la plus courante du partenariat entre l’armée et l’éducation nationale.
Ces classes mobilisent spécifiquement les élèves durant deux à trois heures par semaine. Le dispositif se traduit concrètement par « une correspondance régulière sous forme électronique qui se poursuit même lorsque l’unité militaire est en opération ; une visite annuelle de la classe au sein de l’unité militaire ; le déplacement ponctuel de personnels de l’unité militaire au sein de la classe, pour témoigner de leur expérience ».

Encadrer, recruter, séduire

Le ministère de l’éducation nationale explique que ce dispositif s’adresse « dans la plupart des cas, à un public en difficulté » (1). C’est en effet parmi ce dernier que le recrutement des jeunes pour s’engager à l’armée est le plus fructueux… Le Val-de-Marne compte à lui seul six collèges et deux écoles primaires touchés. Le site de l’académie de Créteil précise, parmi les objectifs de ces partenariats : « réduire d’éventuels problèmes d’incivilité » et « faire découvrir les métiers de la défense globale ». Encadrer et recruter.

Une classe de 4e d’un collège d’Arcis-sur-Aube, dans l’académie de Reims, est ainsi passée du statut de « classe Egalité des chances » à celui de « classe défense ».
Parfois, le rapprochement avec un régiment prend des tournures amusantes ! Ainsi, du 8 au 10 février 2016, pour les élèves de la classe 1re Défense en CAP vente du lycée Japy, à Lyon, la rencontre avec les militaires a pris les apparences d’un jeu de pistes géant. Lors d’une course d’orientation au camp de La Valbonne, encadrés par des militaires, ils ont ainsi pu découvrir « le leadership et la prise de décision en situation de crise » en « faisant face à des situations insurmontables ». [2]

Bientôt des écoliers jumelés avec des CRS ?

Comment se profile l’avenir ? La réforme du collège, à compter de la rentrée scolaire 2016, ne devrait en rien entamer ces partenariats mais au contraire les étendre, notamment à des compagnies républicaines de sécurité (CRS) (1) !
Le candidat Hollande avait bien précisé en 2012 que le partenariat militaro-scolaire serait « revivifié » sous son mandat. Il semble avoir été pris au mot par deux député-es, Marianne Dubois (LR) et Joaquim Pueyo (PS), qui dans un rapport déposé en décembre 2015 devant l’Assemblée nationale, proposent de remplacer la journée défense et citoyenneté (JDC) obligatoire pour tous les jeunes de 18 ans, par « un programme de cadets de la défense pour les 12-18 ans ».
Les Cadets de la Défense est un dispositif mis en place en 2009. Il touche actuellement 300 jeunes en France, âgés de 14 à 16 ans en classe de 3e. Son programme comporte sur l’année scolaire environ 12 demi-journées, 2 à 3 journées complètes et un camp de cohésion de 4 à 5 jours sur une base militaire.
Le projet de ces députés serait de l’étendre à… 100 000 jeunes. [3] Selon leur rapport, « il s’agit d’offrir aux jeunes de douze à dix-huit ans une expérience de vie collective grâce au savoir-faire et aux valeurs incarnées par les armées », avec bien sûr « une découverte des armées et de leurs métiers ». « Le programme comprendrait plusieurs demi-journées par mois au sein d’une formation militaire ainsi qu’un camp d’été de quelques semaines ». [4]

Les enseignant-es aussi

Et côté enseignant-es ? « Nos stagiaires auront une formation obligatoire à la défense nationale. On n’a absolument pas la possibilité de la refuser, s’étonne une enseignante du Rhône. Je suis assez frappée par la façon dont l’armée est imposée à notre formation ». En effet, les Espe (ex-Iufm) multiplient les formations sur la défense et la sécurité nationale auprès des futur-es enseignant-es [5]. Au menu notamment : le témoignage d’un militaire rentrant d’opération. De quoi enrichir les cours d’histoire-géo, assurément… mais pas seulement, puisque l’objectif affiché est de toucher maintenant l’ensemble des matières. Quant aux syndicats d’enseignants, les réactions se font toujours attendre.

Et si on essayait la non-violence ?

Les « valeurs républicaines » et la « citoyenneté » sont-elles bien servies par cette militarisation des écoles ? Au contraire, n’y a-t-il pas une contradiction entre idéologie militaire et sécuritaire, et valeurs démocratiques et éthiques ? Avec ce type de dispositif, « les mentalités - notamment des plus jeunes – sont aujourd’hui pénétrées d’une culture de guerre, qui interdit de considérer cette dernière pour ce qu’elle est vraiment : une corruption de l’action politique, un dérèglement de l’esprit humain », dénonce B. Girard sur Mediapart (4).
La chercheuse états-unienne Cynthia Enloe montre en quoi penser le débat sur la sécurité en termes militaires est un véritable choix qui n’a rien de naturel. Il serait sans doute plus efficace pour notre sécurité de concentrer les efforts sur des actions contre le changement climatique, pour l’accès universel à l’eau potable, que de développer des avions de combat. [6]
De nombreuses associations prônant la paix et la non-violence, interviennent dans les écoles pour favoriser les apprentissages relationnels tels que la coopération, la communication non-violente, la médiation par les pairs, l’empathie et l’estime de soi. Autant de savoir-faire et de savoir-être qui œuvrent de manière plus cohérente à la construction d’une société démocratique et solidaire. Voir le travail de la Coordination pour l’éducation à la non-violence et à la paix, http://education-nvp.org. Voir aussi l’article « Des ateliers pour prévenir les violences à l’école, dans les familles… », Silence n°445 p. 29.

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