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Quand les jeunes de banlieue prennent la parole

Guillaume Gamblin

Quand les jeunes de banlieue prennent la parole, c’est d’abord qu’on veut bien la leur donner. Ce n’est pas sur les plateaux de télévision ou sur les ondes que l’on fera cette expérience… L’occasion était d’autant plus précieuse d’écouter onze jeunes âgés de 16 à 26 ans, venus échanger sur la scène du cinéma Les Amphis, à Vaulx-en-Velin, avec Rokhaya Diallo, journaliste, chroniqueuse et militante antiraciste.

Karim Mahmoud-Vintam, fondateur de l’association d’éducation populaire Les Cités d’or, qui organise l’événement, explique la démarche de ce cycle « Semeurs d’avenir » : « Aujourd’hui, il n’y a aucun espace d’expression pour les jeunes, surtout quand ils sont issus de nos banlieues. Nous avons voulu créer un espace pour qu’ils puissent dire ce qui leur semble juste ou injuste, et partager leurs idées pour une société plus libre, plus égale, plus fraternelle. »
C’est Ilyas qui ouvre le bal : « J’en ai marre qu’on mette tous les jeunes des cités dans le même sac. Quand je dis que je suis de Vaulx, on ne voit que le négatif », regrette ce lycéen de 17 ans. Rokhaya Diallo acquiesce : « Les médias dominants ne voient pas la vie très banale de l’immense majorité des gens qui vivent en banlieue, poursuit-elle. Les choses changeront quand ils viendront faire des micros-trottoirs ici pour interroger les gens sur d’autres sujets que la délinquance, sur la loi travail par exemple, ou quand il y aura des séries télévisées qui se passeront à Vaulx-en-Velin. »

« Je me faisais contrôler tous les jours par la même patrouille »

Yassin, 17 ans lui aussi, renchérit : « On est catalogués par rapport à notre apparence. Moi par exemple, parce que j’aime bien être en survêtement, on m’accoste souvent en croyant que je suis un dealer. La police me contrôle parce que je suis en survêtement à capuche. » « Les jeunes qui portent un survêtement et une capuche ont onze fois plus de risques de se faire contrôler par la police que la moyenne de la population, explique Rokhaya Diallo. Ça demande de la force, de continuer à porter les vêtements de son choix. »

Abdel, 19 ans, témoigne du fait qu’il s’est fait « tabasser » par la police suite à une interpellation. « A une époque, je me faisais contrôler tous les jours par la même patrouille. Ils aiment taquiner, provoquer, parfois ils poussent à la violence. Quand ils partent ils nous lancent des ’à bientôt’, ’on va se revoir’. »On a malheureusement peu de recours, réagit Rokhaya Diallo. car ces comportements sont peu sanctionnés.« »Les personnes d’origine maghrébine ont huit fois plus de risques de se faire contrôler que la moyenne des gens, six fois plus pour les noirs", précise-t-elle.
Et de citer l’association Stop le contrôle au faciès, à laquelle il est possible d’envoyer un SMS quand on s’estime victime d’un contrôle arbitraire lié au racisme (1). Quant aux provocations de la police, c’est, selon elle, un fait avéré : en témoigne l’étude publiée par Didier Fassin, La Force de l’ordre (2). Ce dernier a réalisé une enquête participante au sein d’une unité de la BAC (3). Il a constaté qu’elle restait longtemps à s’ennuyer et organisait des patrouilles pour trouver de l’activité, n’hésitant pas à aller insulter des jeunes pour provoquer des « outrages aux forces de l’ordre »…

Les femmes voilées, à la fois invisibles et omniprésentes dans le discours… des autres

Amina, 20 ans, est étudiante. Elle dénonce le fait qu’ « aujourd’hui, les Françaises de confession musulmane qui ont choisi de porter le voile sont confrontées à des discriminations à l’emploi, à la formation, etc., jusqu’aux agressions physiques. Soixante-quatorze pour cent des actes antimusulmans visent des femmes ! poursuit-elle. En France, les femmes se sont longtemps battues pour disposer de leur corps, et certaines viennent nous parler du voile en discutant de notre dignité. Mais moi, quand je parle de dignité humaine bafouée, c’est quand je vois des gens qui sont obligés de dormir dans la rue ». La journaliste acquiesce : « Aujourd’hui, il y a à la fois une invisibilité des femmes voilées, car on ne les voit et les entend nulle part, et une omniprésence dans le discours, mais ce sont toujours d’autres femmes qui parlent d’elles. On ne leur donne pas la parole, on les considère comme des enfants. Il est difficile de les faire apparaître dans un média pour les faire parler d’autre chose que de leur voile : de leurs goûts musicaux, de la loi travail,… »
Safae, 17 ans, a longtemps vécu en Italie. Elle témoigne : « Ici, au lycée, je dois enlever le voile au portail. Un jour, j’ai oublié de l’enlever (car en Italie, on pouvait le garder), et j’ai vu trois surveillants courir vers moi. Je me disais : ’Mais qu’est ce que j’ai fait ?’ Il y a une pression sur les femmes voilées. On nous dit qu’on gâche notre avenir, que nous n’aurons pas d’activité professionnelle. »

« Je n’ai pas toujours envie de raconter l’histoire de ma famille à des gens que je viens de rencontrer »

« On me traite, moi qui suis française, comme une Marocaine, regrette quant à elle Ilham, 16 ans. En France, on me dit que je suis marocaine, et au Maroc, on me dit que je suis française ». La journaliste témoigne : « On me demande souvent : ‘D’où tu viens ?’ Derrière cette question il y a : ’Pourquoi t’es noire ?’. Je réponds souvent que je suis de Paris. Je n’ai pas toujours envie de raconter l’histoire de ma famille à des gens que je viens de rencontrer ! »

Après elles, Fatima, Naïm, Lydia, Wafa et Kevin expriment aussi leur indignation sur le traitement de l’esclavage dans le cursus scolaire, ou encore sur le conflit en Israël-Palestine. Des voix habituellement inaudibles dans l’espace public, et qui pourtant ont des paroles d’or à offrir à la société, à l’image de ces personnalités dont ils et elles avaient choisi le portrait pour illustrer leur débat : Martin Luther King et Malcolm X, Malala, Coluche, l’abbé Pierre, Gandhi, Toussaint-Louverture…

G. G.

(1) Le Collectif contre le contrôle au faciès a déposé 13 plaintes contre l’Etat, a gagné en appel, l’affaire étant actuellement en cassation. Il réalise également une campagne pour demander que la police produise un récépissé à chaque contrôle, pour justifier de sa cause, comme dans de nombreux autres pays. Mais le gouvernement socialiste actuel refuse d’avancer sur le sujet. Contact : http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/
(2) Didier Fassin, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, 2011, 392 pp.
(3) Brigade anti-criminalité.

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