Dossier Environnement Flore Forêts

Paysans forestiers de Treynas

Pascale Laussel

Treynas. C’est un petit hameau de la commune de Chanéac, perché en haute Ardèche. C’est aussi le nom pour désigner la vingtaine d’adultes et d’enfants qui vivent là une aventure collective, en cultivant le lien avec la forêt.

Isolé en haut d’une montagne, le hameau de Treynas abrite l’une des communautés de Longo Maï. (1) Celle-ci a fait le choix d’expérimenter, depuis la fin des années 80, une existence fondée sur le respect de la vie et la résistance à une société individualiste et capitaliste. La volonté première de ses membres : acquérir une indépendance matérielle. Etre autonomes pour la nourriture, le logement, le chauffage. La ferme a la priorité. Elle rythme les activités au fil des saisons.
Parallèlement à leur production de légumes, céréales, volailles, brebis et autres fromages, confitures et coulis, ses membres ont voulu satisfaire eux-mêmes leur besoin en bois de chauffage et de construction. Aujourd’hui entourés de 100 ha de forêt productive sur leur montagne, ils se sont formés au fil des années et des rencontres, et ont intégré les savoir-faire de l’ensemble de la filière forêt-bois.
En forêt, l’activité est d’abord limitée aux besoins en bois de chauffage. En 1990, Pascal Menon, un ami bûcheron, initie Lolo à un bûcheronnage intelligent mêlant observation, connaissance des dynamiques forestières et respect du milieu.
En 1994, le collectif décide de reconstruire des bâtiments. Via le réseau Longo Maï, il sollicite l’appui d’un menuisier-charpentier, Christophe Défoffé, qui les accompagne pendant plusieurs années. En parallèle, Paco débute la menuiserie. Portes et fenêtres des bâtiments sont ainsi réalisées avec les bois de la forêt de Treynas.
L’équipe commence à récolter, dans les forêts qui entourent la ferme, les arbres nécessaires à ses travaux. Pour les sciages, elle fait appel à un scieur mobile local. L’activité bois se déploie. Il faut satisfaire les besoins du collectif et les commandes extérieures. La nécessité de rationaliser les opérations de sciage se fait sentir. Alors, en 2000, Treynas s’équipe d’une scie à ruban, et Lolo se forme avec Etienne Lescure, scieur mobile du Tarn.
Tous les maillons de la filière sont désormais intégrés. Grâce à une bonne production alimentaire et à son autonomie en bois, le collectif vit avec très peu de moyens. La vente de produits de la ferme, de prestations en forêt et en construction apporte un revenu modeste mais suffisant.

Le lien et l’humain comme moteur des activités

En 2004, Emmanuelle et Sabine, qui travaillent aux champs avec des chevaux, commencent à participer à l’activité en forêt avec les bêtes. « Nous avions envie de lier ce qui se passait en agriculture et ce qui se passait en forêt, de faire cohérence. » Deux ans plus tard, la rencontre avec Florent Dalloz, débardeur à cheval professionnel, est décisive. « Il nous a montré le niveau technique et professionnel qu’il était possible d’atteindre en la matière. »
Rassembleur, le débardage à cheval oblige à un travail de proximité entre bûcherons et débardeurs. « Nous décidons ensemble, avec les bûcherons, comment nous allons sortir les bois », explique Emmanuelle. Et le cheval impose un rythme différent. « On apprend à économiser les chevaux… et à nous économiser nous-mêmes. »

Une éthique de la forêt et du travail

A Treynas, la forêt est partout autour de la ferme. Les membres du collectif l’abordent comme un élément à part entière de leur territoire, et comme un objet de passion. Pour Lolo, « la forêt est avant tout une entité vivante. Le plus important, c’est la transmission de l’imaginaire. Vient ensuite celle de la technique ». Tous les hommes sont formés au bûcheronnage. « C’est la base, poursuit-il. Le bûcheron est au centre de toute intervention. Il doit être capable de comprendre le fonctionnement de la forêt, de regarder les arbres, de choisir celui à récolter, de privilégier la régénération naturelle de telle ou telle essence, d’anticiper la lumière qui passera après qu’il a fait tomber tel ou tel arbre. »
Pour hâter le travail de la nature en revenant vers des forêts diversifiées, et obtenir une bonne qualité des bois pour les besoins humains à venir, l’équipe de Treynas est prête à des sacrifices économiques. Elle souhaite réintroduire de la vie en forêt, particulièrement dans les plantations de résineux récemment acquises. Car « dans une vraie forêt, tu croises plus d’écureuils que de sapins douglas », explique malicieusement Sabine. Treynas investit donc pour l’avenir en effectuant des travaux d’éclaircie et d’amélioration dans ses forêts, parfois à perte. Les bois récoltés sont transformés pour la construction de bâtiments agricoles ou de maisons d’habitation, utilisés ou vendus en bois de chauffage, ou encore cédés à une coopérative locale, lorsqu’aucune autre valorisation n’est possible.
Des principes éthiques forts guident toutes les interventions : aucune coupe rase n’est effectuée sauf en cas de nécessité sanitaire grave ; en construction, aucune résidence secondaire n’est réalisée…

Un choix politique d’action et de dialogue : acquisition et transmission des savoir-faire

Quel que soit le domaine, l’équipe de Treynas développe des savoir-faire qu’elle cherche à partager entre tous les membres du collectif. La polyvalence des individus prime sur l’expertise.
Cependant, pour certaines tâches très techniques ou dangereuses (scierie, gestion forestière, menuiserie), une spécialisation temporaire est nécessaire. Une fois les compétences bien assimilées, elles sont transmises au sein du collectif et à l’extérieur.
Treynas accueille régulièrement des personnes très motivées par la menuiserie, le bûcheronnage, le débardage à cheval et la charpente. Mais, au-delà de l’apprentissage de telle ou telle activité, les stagiaires découvrent aussi une autre organisation sociale.

Pascale Laussel

(1) Depuis 2002, la communauté de Treynas est officiellement l’association loi 1901 Longo Maï Ardèche, inscrite à la MSA, et ses membres sont tous bénévoles. Elle loue 52 ha de terres agricoles et 100 ha de forêt productive à Fonds de Terre, fondation du réseau international Longo Maï, propriétaire des lieux. Elle finance les frais nécessaires aux besoins fondamentaux de ses membres (nourriture, travaux des maisons, etc.) et vend les produits de la ferme (aliments et bois transformé), ainsi que des prestations en forêt et en construction.

Contacts et liens : Rhône Alpes Traction Animal, tél : 04 75 30 45 85 rhonesalpesta@laposte.net, www.tractionanimale.fr

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