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Retour en Algérie : 60 ans après, des voyages fraternels

Monique Douillet

Lorsque l’Etat annonce à d’anciens appelés en Algérie arrivés à l’âge de la retraite, qu’ils vont toucher une pension de combattants, ils sont saisis d’un haut le cœur. Nous sommes en 2005. Cinquante ans de silence les séparent des faits. Trop de douleur et de honte et le poids d’une culpabilité personnelle les ont rendus muets. Mais pour ce qui est de toucher une pension de guerre, ça non !

Rémy, éleveur dans le Tarn, témoin dans le film Retour en Algérie, d’Emmanuel Audrain, avouera que sans le questionnement insistant de son fils qui était devenu objecteur de conscience et insoumis, il n’aurait jamais parlé de ce qu’il avait vécu là-bas, ni en famille, ni avec ses collègues.

Une histoire qui démarre avec quatre éleveurs de brebis du Tarn

Quatre éleveurs de brebis du Tarn discutent de leur refus, et de là naît l’idée de collecter leurs pensions, au départ symboliques (moins de 700 € par an chacun), pour les redistribuer à des associations algériennes, comme une sorte de réparation, afin de soutenir des projets. Ils créent une association “4ACG” (Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre) qui va gérer ce pécule. De 4 ils montent à 10, 20, 100, 150 cotisants… auxquels s’ajoutent des adhérents de tous âges et de la France entière.
Chemin faisant, leur association va rencontrer d’autres acteurs et personnalités engagés de l’époque (entre 1955 et 1962), dont Simone de Bollardière, épouse du Général Jacques de Bollardière (mort en 1986) qui s’est opposé à la torture en pleine guerre d’Algérie et a présenté sa démission, faute d’avoir réussi à se faire entendre de l’Autorité. Simone de Bollardière, connue comme militante active de la non-violence, répond tout de suite à l’invitation du mouvement et chemine à son côté. Le rôle le plus important qu’elle y joue ? Elle les déculpabilise ! Elle sait leur faire comprendre qu’eux aussi ont été victimes, réquisitionnés, bon gré mal gré, pour un drôle de service militaire obligatoire (on taisait le mot guerre) qui entre 1954 et 1962 a été imposé à tous les jeunes Français sur une durée de 27 mois. Que c’est l’Etat qui les a contraints de cautionner la torture sous peine de la subir en cas de refus, alors qu’ils n’étaient pas majeurs et, pour une majorité d’entre eux, ignorants de la cause du conflit. Que s’ouvrir, parler de ce qu’ils avaient vécu et subi leur est indispensable, à eux pour retrouver une sérénité, et à leur entourage.

"Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils parlent"

Le réalisateur Emmanuel Audrain témoigne de sa rencontre avec l’association : "En 2008, quand l’idée d’un voyage en Algérie est née, Simone de Bollardière m’a invité à l’assemblée générale de cette association, dit-il. Ce qui m’a marqué dans cette rencontre, c’est ce moment où les nouveaux adhérents se levaient et se présentaient, évoquant chacun leur parcours algérien. Un grand costaud dit ne pas avoir besoin du micro, mais il n’arrive pas à achever son récit, la voix brisée. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils parlent. Certains ont les larmes aux yeux, d’autres doivent se rasseoir prestement, submergés par l’émotion. Ce moment de vérité – exceptionnel – m’a rendu ces hommes très attachants. Le projet de film naîtra un peu plus tard. Sa réalisation s’étalera sur trois années. En 2013, notre équipe a accompagné les trois voyages de l’association. 35 jours en Algérie, pour moi. Avec un matériel très discret, nous avons filmé du mieux que nous avons pu… Pour nous rendre compte, au stade du montage, que le vrai voyage de ces hommes était leur voyage intérieur : celui, qui va de leurs 20 ans à aujourd’hui. Ce long chemin, où avec cœur et intelligence, ils ont su retrouver l’estime d’eux-mêmes".

"Soyez les bienvenus"

Quand on lui fait remarquer que cela doit être quand même une aventure risquée que de rencontrer ceux qu’on avait persécutés, Emmanuel Audrain répond : "Non, ce retour en Algérie a été exceptionnel. Nos hôtes nous ont réservé un accueil qui était une belle leçon pour nous ! Soyez les bienvenus, nous ont-ils dit. Nous n’avons pas fait la guerre au peuple français, mais au colonialisme".
Les anciens appelés ont fait le voyage avec leur femme, parfois leurs enfants, des échanges d’invitations chaleureuses ont suivi. Grâce à cette rencontre et au dialogue qu’elle a permis, ces hommes et ces femmes, unis par ce passé commun qui a bouleversé leurs vies, se sont liés d’amitié. "On a pu évoquer ensemble les souffrances de la guerre". Georges commente à la caméra : " Deux millions de personnes déplacées, sur une population de huit millions, ce n’est pas rien. Des femmes, des enfants, des vieillards… Avec la sous-nutrition et les maladies… On ne peut pas dire que le pays des droits de l’Homme, se soit très bien comporté, à ce moment-là". Stanislas, un ancien instituteur, recherche et retrouve un adolescent qui a été passé à la magnéto en sa présence. Il avait conservé la photo de ses 14 ans.

Aujourd’hui, ceux qui ont eu "vingt ans dans les Aurès" (1) écrivent une autre page…

Solidaire et fraternelle, celle-là. Educative aussi, en France, en allant apporter leur témoignage dans les collèges et lycées et mettre en garde les jeunes. “Méfiez-vous de l’obéissance, lance Simone de Bollardière (2). Ce n’est pas une vertu. Si ce qu’on vous demande ne vous semble pas correct, il faut réagir, désobéir parfois… oser dire non ! ”

Monique Douillet

(1) On la retrouve dans le film, toujours aussi vive et déterminée à 94 ans. Silence avait publié un entretien avec elle en 2000, dans le numéro 259 sur la Bretagne. 
(2) Référence au film Avoir 20 ans dans les Aurès, de René Vautier, sorti en 1972, film de fiction à base de témoignage d’appelés et qui dénonce la torture en Algérie, censuré à sa sortie.

Retour en arrière

En juin 2000, la journaliste Florence Beaugé publie dans Le Monde un entretien avec une résistante algérienne, Louisette Ighilahriz, torturée pendant trois mois dans une unité parachutiste. Elle veut retrouver — et remercier — le médecin militaire qui lui a sauvé la vie. Son témoignage met en cause les généraux Massu et Bigeard… Il va soulever la chape de plomb qui pesait sur la Guerre d’Algérie. Le général Bigeard menace le journal d’un procès tonitruant. Le général Massu — à la surprise de tous — répond que ces faits sont plausibles. Il ajoute : “Quand je repense à l’Algérie, ça me désole. On aurait pu faire les choses différemment…” Trois mois plus tard, à 92 ans, donnant sa dernière interview à Florence Beaugé, il ajoutera : “ On aurait dû, faire autrement.”

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