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Mineurs isolés étrangers : une discrimination institutionnalisée ?

Guinéens, congolais, afghans... Ils sont des milliers de mineurs à partir, seuls, vers la France, pour accéder aux études ou fuir des situations désastreuses. Alors que les départements doivent les prendre en charge, une partie d’entre eux sont délibérément jetés à la rue. Une rude bataille administrative s’engage alors pour ces jeunes qui souhaitent rester sur le territoire.

Voilà trois ans qu’il lutte pour prouver son identité. Trois ans que l’administration le considère comme un fraudeur, comme un menteur. Kevin (*) a 18 ans. Congolais, il est arrivé en France, dans les Côtes-d’Armor, en 2013, afin d’accéder aux études et à un avenir meilleur. Seul, il était ce qu’on appelle un mineur isolé étranger (MIE). Comme tout mineur isolé (1), le département d’accueil devait le prendre en charge au sein du dispositif d’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Mais il est accusé d’avoir menti sur son âge dans le but de bénéficier du dispositif. Il en est alors exclu, livré à lui-même et donc à la précarité. Aujourd’hui, bien qu’ayant les documents officiels prouvant sa bonne foi, il est toujours sous la menace de l’obligation de quitter le territoire français ordonnée par la préfecture.
Comme lui, dans les Côtes-d’Armor, ils sont une quinzaine de jeunes étrangers sortis de l’ASE à se heurter aux méandres d’une administration intangible. En France, environ 8000 MIE étaient pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance en 2013... mais impossible d’avoir le nombre précis des jeunes qui en sont exclus.

Une évaluation très subjective

En entrant sur le territoire français, tous les mineurs isolés étrangers sont d’abord systématiquement mis à l’abri par le conseil départemental. Pendant cette phase, ils subissent une évaluation, sensée confirmer leur âge réel. Sauf que cette évaluation est souvent imprécise, voire incohérente, et certains départements n’hésitent pas à utiliser systématiquement les très contestés tests osseux (2). Un simple doute suffit à exclure ces adolescents. Généralement, les préfectures emboîtent le pas en leur imposant une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
« Ils n’étudient pas les papiers comme il le faut », déplore Moussa. Il est Guinéen, et du haut de ses 19 ans, vit une situation similaire à celle de Kevin. « Ils nous disent que ce ne sont pas les bons papiers, poursuit-il. L’ambassade les a attestés mais ils continuent de nous dire ça. On ne comprend pas... Pourquoi c’est comme ça ? (…) Ma carte consulaire [attestant de sa minorité à son arrivée en France] a été authentifiée par la police, mais ils ont dit que ce n’était pas valable. Si on nous dit que ce ne sont pas des vrais papiers, alors nos états ne sont pas de vrais états ?! »

Construire un avenir viable ? Impossible

La situation est dramatique pour ces adolescents, pourtant en grande majorité scolarisés. Moussa a pu obtenir haut la main un CAP de maçonnerie dans un lycée de Saint-Brieuc, à l’instar de plusieurs de ses camarades qui sont également titulaires d’un CAP. Pourtant, l’accès à l’emploi leur est impossible. « On a eu de la chance d’avoir des entreprises qui étaient prêtes à nous prendre, explique-t-il. Des patrons savent que ce qu’on dit est vrai ». Malheureusement ces entreprises ne peuvent les embaucher tant qu’ils sont sous le coup d’une OQTF.
Alors, en attendant un dénouement, Kevin, Moussa et les autres survivent tant bien que mal. Un collectif citoyen s’est monté pour les soutenir. Il les aide tant dans les démarches administratives et judiciaires que dans la gestion du quotidien. Accéder à un logement et à une nourriture sans revenu ou aide financière est une tâche ardue. C’est donc le collectif, parfois soutenu par la mairie, qui s’en charge. Et malgré les mobilisations des lycéens et d’enseignants de Saint-Brieuc, la Préfecture et le Conseil départemental demeurent inflexibles.

Un problème national

Le souci est que chaque département fait ses démarches à sa sauce. L’afflux de réfugiés depuis 2013, combiné à des manques de moyens, a développé la tendance qu’ont certains conseils départementaux à exclure systématiquement une part des MIE de l’ASE. La circulaire Taubira, déposée en mai 2013 (3), qui était sensée harmoniser les pratiques, ne change pas grand chose. La France vient d’ailleurs d’être sérieusement réprimandée par l’Europe concernant ses procédures d’accueil des jeunes étrangers (4).

Gwenvaël Delanoë

(1) art. 2 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée en 1990.
(2) L’Ordre des médecins a notamment pointé leur absence de fiabilité. Ils sont aussi souvent appliqués sans le consentement du jeune, pourtant obligatoire.
(3) Partiellement annulée en 2013. La loi du 25 novembre 2015 n’abolira pas les tests osseux.
(4) Les 13 et 14 janvier 2016 la France a été auditionnée par les Nations Unies pour vérifier le respect de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle a notamment été rappelée à l’ordre pour sa pratique du test osseux « indigne » et de ses manquements quant à la prise en charge des mineurs étrangers.

(*) les prénoms ont été changés.

Des tests osseux imprécis

La circulaire Taubira prévoyait l’usage des tests osseux en dernier recours lors de l’enquête chargée de vérifier l’âge du jeune prétendant au droit à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Or il apparaît que certains départements y ont recours systématiquement.
Pourtant, leur valeur scientifique est fortement contestable... et contestée : le Haut conseil de la santé publique (HCSP) affirme que « la détermination d’un âge osseux ne permet pas de déterminer l’âge exact du jeune lorsqu’il est proche de la majorité légale » (1). L’Ordre des médecins s’est également montré défavorable à cette pratique.
En effet, le HCSP explique : « les âges osseux ont été déterminés le plus souvent à partir de populations d’origine caucasienne, et pour celui qui constitue la norme de référence, l’atlas de Greulich et Pyle, une population américaine issue de classes sociales moyennes ou élevées, recrutée dans les années 1930 ». Or « la maturation d’un individu a des variations physiologiques en fonction du sexe, de l’origine ethnique ou géographique, de l’état nutritionnel ou du statut socio-économique. Il existe aussi des variations pathologiques en cas de maladie chronique par exemple ». À cela s’ajoute l’écart-type d’un à deux ans de ces tests, qui complexifie l’évaluation de l’âge d’un jeune après ses quinze ans.
D’autres examens médicaux sont parfois pratiqués, comme la radiographie dentaire ou l’observation des caractères sexuels, mais leur précision n’est pas non-plus garantie. Malgré tout, leurs résultats suffisent à exclure de nombreux jeunes en situation déjà fragile.

(1) Avis relatif à l’évaluation de l’âge d’un jeune étranger isolé, 23 janvier 2014

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