Article Politique Réflexions générales

Imaginer des utopies écologiques

Gaëlle Ronsin

Comment des étudiants se réapproprient-ils les idées issues de l’écologie sociale ? Quelques mois avant l’émergence de Nuit Debout, à partir de la lecture de Murray Bookchin et de textes sur l’écologie sociale, des étudiants en sciences politiques de l’université de Lyon II ont reçu comme consigne, dans le cours de Pinar Selek (1), de décrire leur propre utopie.

Tout d’abord, le fait même de concevoir une utopie ne semble pas si évident pour ces jeunes aujourd’hui. Lola commence ainsi : « En 2015, tout portait à croire que nous allions vers une société plus libéralisée et plus renfermée sur elle-même. » Mata’i confirme ce dur constat : « Nous vivons dans un monde social très hiérarchisé, traversé par de multiples dominations qui s’imbriquent et se renforcent. »
Un certain nombre d’étudiant-e-s, comme Neila, n’imaginent pas une utopie ex nihilo mais se basent sur de nombreuses alternatives déjà existantes — AMAP, covoiturage, maraîchage urbain, SEL, monnaies complémentaires… —, sur des mouvements comme celui de la transition, ou encore sur des mesures telles que la gratuité des transports en commun.

« Une société écologique serait une société sans inégalités sociales, économiques, intellectuelles » (Samihate)

Au niveau politique, la majorité des étudiants envisagent de créer des assemblées communales afin de restaurer la démocratie directe. Maxime imagine que « cette assemblée populaire débat des points soulevés par les citoyens à partir de cent citoyens pour un même sujet. Ceux qui y siègent sont tirés au sort pour une année. Ensuite, ils sont retirés du pot pour les prochains tirages au sort, jusqu’à ce que chacun ait participé ». Mata’i précise que « pour les choix relevant d’un échelon plus grand, comme la construction d’une ligne de chemin de fer, les communes enverraient des représentants tirés au sort dans l’assemblée décisionnelle départementale ou régionale compétente, qui, elle-même, pourrait désigner des représentants nationaux et internationaux ».
Selon Romain, la réappropriation de l’espace public passe par la suppression « des publicités des grandes entreprises et [l’attribution des] espaces publicitaires aux habitants, qui pourraient ainsi faire la promotion des événements qu’ils organisent ».

Des organisations sociales et spatiales réduites pour favoriser la proximité

Le sujet sur lequel les étudiants sont le plus bavards est l’organisation sociale de leur cité imaginaire. Ils imaginent, comme Félix, des communautés de taille réduite : « Politiquement et civiquement, la ville sera composée de cinq districts regroupant chacun 5000 habitants. Chacun de ces districts est composé de dix quartiers. Ces quartiers sont le centre de la vie locale : ils permettent une interconnaissance des habitants. » Pour Mathieu, « il n’y a pas de grands ensembles urbains, seulement des petits, étalés sur une zone assez vaste pour qu’il y ait des champs de culture, des jardins et des parcs à l’intérieur de la zone urbaine ».
Adrien s’attache à présenter l’organisation spatiale : « Au centre se trouve le forum, où sont discutées, par l’ensemble des habitants, toutes les questions touchant à l’administration de la ville et à l’activité législative. De grands axes partent de la place centrale. Autour de la place sont réparties des »zones d’habitations mixtes« , où se trouvent la plupart des habitations et des ateliers. Autour de la ville se trouvent les fermes biologiques assurant l’autosuffisance de la ville. »
Lola insiste sur l’importance des services de proximité : « Afin de réduire l’extension des villes mais aussi afin de revenir à des modes de vie plus doux et plus lents, les super- et hypermarchés ont été tout simplement interdits et détruits. L’espace libéré par ces grands hangars et les parkings (devenus inutiles du fait de la non-circulation des voitures en ville) a donné lieu à l’ouverture de petites épiceries, boulangeries, quincailleries, brasseries, etc., ainsi qu’à des espaces permettant de mettre en place des potagers cultivables par la communauté. » La relocalisation des productions occupe une place importante dans les réflexions des étudiants (2).

Se loger, travailler, échanger autrement pour repenser les rapports de domination

La cité s’accompagne de la mise en place de nouveaux modes d’échanges comme la gratuité, le don, le troc ou les échanges de services. Pour Léonie, « l’accumulation des biens devra être limitée par l’assemblée municipale ». Et Amélie supprime la « transmission de biens par la relation de parenté (pas d’héritage, donc), pour éviter de capitaliser les biens et de recréer une certaine hiérarchie destructrice ».
Le logement permet, pour certains, de repenser les rapports de domination entre l’humain et la nature. Selon Amélie, « les lieux de vie seront construits de telle façon que la nature puisse entrer au sein des maisons ». Mata’i pense ainsi qu’une « société écologique éviterait de détruire les écosystèmes. Il s’agirait de s’installer ’dedans’ plutôt qu’ ’à la place de’  ». Edith imagine que « les animaux seraient des cohabitants de la communauté ».
Léonie envisage d’instaurer « une limite de quatre heures de travail par jour, afin de permettre aux habitants de se rendre dans les ateliers et de profiter de la nature ». Lola explique que « plus personne n’est dépendant d’un emploi pour survivre, grâce à un salaire minimum distribué en tickets de rationnement pour se nourrir, se vêtir et avoir un logement ».
Félix prévoit que « la médecine est maintenant préventive. Les coûts sont ainsi diminués, et le traitement des soucis de santé est effectué en amont, avant que de réels problèmes apparaissent ».

Une nouvelle éducation avant tout

Les étudiants sont très prolixes sur la question de l’éducation. Pour Claire, « afin de supprimer les rapports de domination, les enfants auront des cours relevant d’une autre forme de pédagogie, non identique sur tout le territoire. Les enfants seront invités à comprendre le monde qui les entoure en fonction des animaux, des autres personnes ». Clara imagine une nouvelle pédagogie : « Il est essentiel que les professeurs et les éducateurs soient en priorité attentifs à l’enfant, afin que celui-ci puisse se doter d’une sérénité et d’une cohérence intérieure. » Amélie considère plutôt qu’il faut lutter contre « un savoir institutionnalisé, en créant des lieux d’éducation populaire où chacun peut apporter son savoir, et donc sa pierre à l’édifice, en produisant des connaissances à partir d’expériences ». Nicolas va plus loin en considérant qu’il faut « ne plus considérer seulement l’enfant comme un être en formation, mais l’inclure directement dans la vie de la collectivité ».
Seule Lola évoque la question des prisons dans son utopie, en imaginant que « des programmes de réinsertion viennent progressivement remplacer l’incarcération, entraînant un démantèlement rapide des prisons. Par exemple, un jeune condamné pour avoir braqué une épicerie suivra une formation de prévention à la délinquance et devra ensuite, pendant un temps donné, dispenser à son tour cette formation. La récidive deviendra ainsi quasiment inexistante grâce à la non-incarcération, à des peines tournées vers l’action ».

Et finalement, comment y arriver ?

Seuls deux étudiants ont réfléchi aux leviers politiques permettant l’avènement de leur utopie.
Yohan imagine que « c’est le 18 décembre 2100 que tout a véritablement commencé. Pour la première fois était élue présidente de la République une femme porteuse des principes de l’écologie sociale. Conformément à son programme, et en accord avec le slogan »On arrête tout et on réfléchit« (…), elle mit un terme, dès le premier jour de son mandat, aux affaires en cours dans la totalité des institutions de l’Etat, puis posa sa démission ».
Lola, elle, espère que c’est la victoire contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui lancera un grand changement dans le pays : « Le nihilisme désespéré des jeunes générations, pessimistes quant à la possibilité véritable de changer la société par une action politique, n’a plus lieu d’être. Cette première grande victoire permet de redonner espoir, mais ‘libère’ également les résistants implantés à Notre-Dame-des-Landes. Ces résistants vont (…) s’implanter localement pour faire naître des foyers de résistance, de luttes, en discutant des problèmes et des solutions avec les locaux, favorisant ainsi l’émergence d’animateurs politiques qui, à leur tour, s’implanteront dans d’autres localités. (…) De cette façon, peu à peu, les gens se sont mobilisés localement pour négocier des demandes, puis exiger plus de démocratie participative, ce qui a permis d’opposer un contre-pouvoir aux forces politiques institutionnelles. (…) C’est une phase de transition (puisque nous sommes en 2060) qui doit aller jusqu’au municipalisme libertaire total ».
Enfin, une bonne partie d’entre eux concluent, comme Edith et Thibaut, que « nous ne pouvons que constater l’immense écart qui nous sépare actuellement de ce modèle utopique ».

Gaëlle Ronsin

Réguler la technologie mais pas la supprimer

Dans les réflexions de ces étudiants, la technologie occupe une part importante. Lola imagine que « de nombreuses firmes ont été condamnées pour délit d’obsolescence programmée de leurs produits ». Mais la majorité reste attachée à ses bienfaits potentiels, comme le dit Guilhaume : « La technologie et l’informatique devront être régulés pour être utiles à la société et soulager la vie des travailleurs. C’est pourquoi elles ne doivent pas être supprimées. »

(1) Pinar Selek est une sociologue turque. Ses études sur les groupes opprimés (enfants de rues, féministes, homosexuels, objecteurs de conscience, kurdes…) lui valent des procès truqués de la part des autorités de son pays pour la faire taire. Elle enseigne maintenant en France où elle collabore à plusieurs revues dont Silence.
(2) On pourra relire le dossier du n°307 de février 2004 « Ecocités, vers des villes plus écologiques ».

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