Article Énergies Politiques énergétiques

Transition énergétique : comment fait l’Allemagne ?

Michel Bernard

Vincent Boulanger, journaliste spécialisé dans l’énergie, a publié fin 2015, un livre extrêmement bien documenté sur les débats politiques allemands autour des scénarios énergétiques, montrant qu’un fort consensus s’est fait pour sortir du nucléaire et maintenant des énergies fossiles. Nous l’avons interrogé sur quelques points abordés dans le livre.

Silence : Comment les experts allemands en énergie voient-ils la situation en France ?

Vincent Boulanger  : Les pessimistes pensent que la fascination de la France pour le nucléaire est un cas désespéré, mais qu’elle sera obligée de changer devant les contraintes économiques et technologiques actuelles. Économiques car maintenant les renouvelables coûtent le plus souvent moins cher que le nucléaire. Technologiques car les renouvelables vont mettre fin pour une grande part à la centralisation. Les optimistes notent que la loi de transition énergétique prévoit de baisser l’électricité nucléaire de 75 à 50 % d’ici 2025, ce qui suppose un nombre de fermetures de réacteurs sensiblement du même niveau qu’en Allemagne. Concernant le climat, ils constatent que la France et l’Allemagne se sont fixé le même objectif : une tonne de CO2 émise par habitant en 2050. Il y a donc matière à coopérer entre les deux pays.

Y a-t-il en Allemagne, comme en France, une opposition aux éoliennes, aux parcs photovoltaïques, aux agrocarburants ?

L’opposition aux éoliennes n’est pas aussi virulente qu’en France. En Bavière, très traditionaliste, il y a une revendication vis-à-vis du paysage. En mer du Nord, il y a une vigilance des associations pour la protection des zones naturelles. Mais tout le monde est plus ou moins pour le développement des éoliennes. Du fait de la montée en puissance des installations, les premières éoliennes sont peu à peu remplacées par des modèles plus puissants… ce qui fait que si la production augmente rapidement, cela se traduit par une faible augmentation du nombre d’éoliennes.
Pour le photovoltaïque, il n’y a plus de développement sur des surfaces agricoles depuis 2010. Une loi précise que seul-e-s sont aménageables les terrains délaissés (friches industrielles, militaires, etc.) et les toitures.
Pour les agrocarburants et le biogaz, l’opposition a été vive car, au départ, une prime a provoqué un changement d’utilisation des terres agricoles. Depuis, les primes ont été supprimées et les surfaces de cultures énergétiques ont baissé. Maintenant, la priorité va à l’usage des déchets alimentaires et végétaux dans le cadre d’une réflexion liée au recyclage des déchets. La biomasse n’a pas connu de baisse de ses coûts de production, ce qui la rend moins attractive que le solaire ou le vent.

En Allemagne, les coopératives citoyennes et les remunicipalisations des réseaux se sont fortement développées dans le domaine de l’énergie. Cela serait-il possible en France ?

Les lois ont favorisé le développement des coopératives citoyennes (près d’un millier) et l’importante tendance actuelle à la remunicipalisation des réseaux d’énergie. Cela est soutenu par une forte conscience citoyenne née de la lutte antinucléaire. En France, les antinucléaires n’ont pas pu faire de même, à cause du monopole public.
En Allemagne, la loi autorise des levées de fonds de manière plus simple qu’en France. Le temps de réalisation d’un projet éolien (7 ans en moyenne en France, contre 3-4 ans en Allemagne) est aussi un frein pour l’investissement dans une coopérative. Les banques allemandes ont un réseau local plus décentralisé, ce qui permet un meilleur lien avec les citoyens et les collectivités.
Toutefois, le développement rapide, en France comme en Allemagne, de « territoires à énergie positive » va dans le bon sens.

Le 100 % renouvelable semble facile à atteindre dans le domaine de l’électricité, plus lent dans le domaine de la chaleur, et difficile à atteindre dans le domaine des transports. Peut-on envisager de tels objectifs sans avoir une remise en cause de nos modes de consommation ?

La production d’électricité renouvelable progresse rapidement. Entre 2014 et 2015, en Allemagne, les renouvelables sont passées de 27 % à 32 %. À ce rythme, le 100 % renouvelable est pour avant 2040. Il y a deux freins : le développement de nouveaux réseaux électriques (1) et de stockage pour gérer la variabilité de la production.
Concernant la chaleur, cela demande une multitude de micro-actions. Il y a des engagements pour la rénovation du bâti. C’est plus long à mettre en place, mais les solutions sont connues.
Pour les transports, l’avantage est que le matériel se renouvelle vite et quand une innovation est disponible, elle est rapidement utilisée. Mais pour le moment, les résultats sont modestes (2). Le gouvernement a conscience qu’on ne peut, seulement, améliorer la voiture. Il a voté une loi qui prévoit à partir de 2018, un fort développement des investissements dans le domaine du rail et du transport fluvial (3). La volonté de réduire la place de la voiture est encore faible. Toutefois, comme en France, on constate une baisse des permis de conduire dans la population la plus jeune, signe d’une autre vision des transports.

Quelques conseils pour sortir du nucléaire puis des fossiles en France ?

En Allemagne, la sortie du nucléaire a été possible parce qu’il y a eu une volonté politique d’en sortir et d’aller vers un consensus avec tous les acteurs. Celui-ci a été obtenu en 2000, même s’il a été ensuite contesté. Après Fukushima, cela a été réactivé un peu brutalement, mais maintenant c’est efficace. En France, il faudrait que le gouvernement entame sans délai un débat, notamment avec les syndicats, pour prendre conscience que sortir du nucléaire ne pose pas de problème d’emplois : au contraire ! Il faudrait aussi, comme cela se fait en Allemagne, que les Ministères commandent des scénarios à des organismes de recherche indépendants. Ces scénarios permettraient d’enrichir les débats politiques. Recherche de consensus et capacité de projection devraient conduire à programmer la fermeture des réacteurs nucléaires.

Propos recueillis par
Michel Bernard.


(1) L’Allemagne construit actuellement 23 lignes haute tension prioritaires, totalisant 1876 km. D’ici 2024, elle doit construire 2750 km lignes supplémentaires et en renforcer 3050 km.
(2) Il y a de nombreuses recherches en cours : voitures électriques, production de carburants (gaz ou liquides) à partir d’électricité renouvelable, etc.
(3) Déjà beaucoup plus développé qu’en France.

Transition énergétique
Comment fait l’Allemagne

Vincent Boulanger
Ed. Les Petits matins / Institut Veblen
2015, 180 p. 14 €

Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement français, la consommation de charbon est en baisse en Allemagne malgré la fermeture des centrales nucléaires. Le gouvernement allemand a su convaincre compagnies d’électricité, patronat, syndicats, de l’utilité d’un grand virage énergétique. L’avenir de l’énergie est à la décentralisation (ce qui va être compliqué pour le système français). Le rôle des citoyens est essentiel pour accélérer les choses. Le plus dur sera dans le domaine des transports de se passer du pétrole… Un niveau de lecture relativement facile avec des données provenant essentiellement des Ministères… qui nous fait réaliser que la France est en train de prendre un retard considérable du fait de son aveuglement nucléaire.
MB.

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer