Dossier Environnement Pollutions industrielles

Attention, mines !

Depuis 2013, les demandes de permis miniers fleurissent en France métropolitaine, poussées par une demande sans cesse accrue de métaux rares. Alors que les industriels et Emmanuel Macron vantent le concept hypothétique d’une « mine responsable », les populations se mobilisent sur le terrain pour empêcher les désastres environnementaux et sociaux que provoquerait ce retour à l’exploitation minière.

Au cœur de la forêt de Coat-an-Noz, dans le Trégor (pays des Côtes-d’Armor), le Guic s’écoule paisiblement dans le creux d’un vallon parsemé de fougères et de mousse. En contrebas, le couvert des arbres s’estompe ; la rivière chemine alors à travers le bocage avant de traverser le petit bourg de Belle-Isle-en-Terre et ses vieilles maisons de granit. Laissons ses eaux poursuivre leur cours vers Lannion et la mer, et attardons-nous quelques instants sur ses berges, dans le café du centre du village...
« Quatre fleuves bretons prennent leur source ici. La forêt de Coat-an-Noz, c’est le château d’eau du Trégor ». A l’intérieur, Jean Le Bacquer, veste en cuir et casquette en toile vissée sur ses cheveux blanchis, étale ses dossiers et ses cartes topographiques sur une table en bois. Retraité, il n’en est pas moins actif : la menace minière pèse sur sa campagne, qu’il est bien décidé à défendre. Depuis janvier 2015, il milite au sein du collectif Douar Didoull Une terre sans trou », en breton), qui tient tête à la société Variscan Mines et aux onze millions d’euros qu’elle s’apprête à investir. Basée à Orléans, financée par des fonds australiens, elle convoite depuis 2013 les métaux rares disséminés dans le massif armoricain. En septembre 2015, elle s’est vu accorder un permis exclusif de recherche minière (PERM) qui lui permet d’explorer les sous-sols d’une zone couvrant vingt-cinq communes autour du village de Loc-Envel, soit 336 km2. Objectif : déceler des stocks importants de tungstène mais aussi d’or, d’étain, de cuivre, de plomb et de substances connexes. S’il y a un filon important, les foreuses risquent bien de débarquer et de percer des galeries dans la forêt et sur les parcelles agricoles de la région.
Mais à quel prix ? Jean Le Bacquer, à l’instar d’élus locaux et de la majorité des habitants, s’oppose à cette industrie et aux conséquences environnementales qu’elle laisserait dans son sillon : « Une mine durable ? Ça n’existe pas. Et même quand elle ferme, c’est des pollutions qui restent pendant des décennies. »

« Mine responsable » ou « label blague » ?

Les conséquences environnementales inquiètent fortement les riverains. En France, les sites miniers sont l’objet de pollutions à très long terme ; parfois, ils ne sont même pas remis en état. Les exemples sont innombrables. L’un des plus extrêmes est le désastre de la mine d’or de Salsigne, dans l’Aude : on estime à plusieurs milliers d’années le temps nécessaire pour en finir avec la pollution engendrée par les résidus d’arsenic (1).
Aujourd’hui, en Bretagne, Variscan Mines se veut rassurant. Son PDG, Michel Bonnemaison, rappelle que seule la phase exploratoire a été lancée : « Ces inquiétudes, c’est la charrue avant les bœufs. Il y a des études d’impacts à chaque étape. » Les explorations s’effectueront grâce à des analyses aéroportées, des échantillonnages à la tarière (manuels et en surface), puis des sondages. Et, pour les habitants qui s’enquièrent des risques dus à ces carottages, l’entrepreneur rétorque : « Les sondages, c’est comme ceux que l’on peut faire pour trouver des sources d’eau minérale. Le trou est recimenté et la roche redevient aussi imperméable qu’avant. Donc c’est une fausse inquiétude. »
Mais alors, tout va bien ? « Si on veut faire propre, on peut, certifie-t-il. Une mine moderne, c’est l’emprise d’un supermarché. » Reste que son discours ne convainc pas tout le monde (voir encart).
Dominique William, de l’association Eau et rivières de Bretagne, n’est pas de l’avis de Michel Bonnemaison. Si elle concède que les impacts des explorations sont « sans commune mesure » avec ceux qu’induit une exploitation, elle relativise le fait que les forages employés pour les recherches de minerais sont comparables à ce qui se fait pour trouver des sources d’eau minérale. Dans ce dernier cas, les forages ne dépassent pas une centaine de mètres de profondeur, alors que ceux prévus par Variscan atteindraient, pour certains, 1500 mètres de profondeur !
« Variscan n’est pas rassurant car les responsables nous disent qu’ils ne peuvent pas nous décrire une mine qui n’existe pas encore », déplore-t-elle (2). Les risques ne sont pourtant pas à sous-estimer : un puits a de fortes chances de fracturer des poches d’eau ; or, « tous les métaux recherchés, à part l’or, relèvent de la famille des sulfures. Quand ils sont exposés à l’air et à l’eau, ils s’oxydent et produisent de l’acide sulfurique. L’eau ruisselle sur la roche et se charge alors en acide sulfurique, sans compter les produits chimiques utilisés par l’exploitant. Ces volumes considérables seront pompés et rejetés en eau de surface, tuant toute vie (3). »
Merléac, une commune du sud du département, est elle aussi au centre d’un PERM octroyé à Variscan. Elle dispose pourtant d’un exemple édifiant qui devrait alerter sur ces dangers : « Dans les années 70, Merléac a fait l’objet d’une mine exploratoire par le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM). Tous les ruisseaux alentour ont été stérilisés par l’acidification, toutes les sources et puits ont été complètement taris. Le BRGM a dit que ce n’était pas grave, que ça se remettrait à couler. Quarante ans plus tard, on attend toujours ! » Conséquences attendues : la disparition des zones humides, la perte de la biodiversité, et des difficultés supplémentaires dont se passerait bien l’agriculture du centre de la Bretagne, qui traverse une grave crise.

Une charte de bonne conduite... sans contraintes

Le ministre de l’Industrie, Emmanuel Macron, a lancé un groupe de travail pour définir une charte de « mine responsable ». Sans contraintes juridiques fortes, elle repose avant tout sur l’engagement volontaire du porteur de projet. Du concret ? Rien pour le moment. Thibaud Saint-Aubin, membre d’Ingénieurs sans frontières – Systèmes extractifs et environnements (ISF SystExt) (4), a participé à ce groupe de travail... Avant de claquer la porte, de pair avec l’association France nature environnement, estimant que la charte « n’apporte pas de vraie plus-value tant que le code minier n’a pas été revu, et donne la ligne réglementaire minimum. Pour nous, ce chantier a été organisé dans un temps trop court, avec des objectifs flous et une méthodologie non adaptée. Nos remarques ont été peu prises en compte et l’approche très techniciste a conforté notre position de désolidarisation ».
Alors qu’Emmanuel Macron insiste sur la nécessaire transparence de tels projets, la politique d’information auprès des publics est minime. A Loc-Envel, une grande part de la population n’a pas été informée. Quant aux quelques réunions d’information, c’était « de l’enfumage », résume Jean Le Bacquer. Les garanties pour l’emploi local demeurent elles aussi extrêmement floues. « Les informations minimums légales qu’une société doit donner concernant son PERM sont assez techniques et ne recoupent que peu les préoccupations des populations, commente Thibaud Saint-Aubin. Ces informations sont également assez difficiles à trouver et à interpréter (…). De façon générale, disposer des informations ne suffit pas en soit (on ne peut pas se contenter de dire : ’vous avez l’information, consultez-là !’). Ce qui compte, ce sont les moyens mis en œuvre par l’entreprise et les pouvoirs publics pour faire en sorte que cette information puisse être comprise par tous, et qu’elle ne soit pas orientée uniquement au bénéfice de l’exploitant minier. »

La course effrénée aux métaux

La région de Loc-Envel est loin d’être la seule touchée par des PERM. Rien que dans les Côtes-d’Armor, Variscan en a obtenu deux autres : à Merléac et à Silfiac, sur des zones de 445 km2 et 175 km². Et il n’y a pas que sur le massif armoricain que les industriels salivent : en France, depuis 2013, douze PERM ont été demandés par trois entreprises étrangères. Auvergne, Creuse, Sarthe, Pyrénées... Le retour minier est annoncé.
Mais pourquoi ce renouveau, alors qu’aucun permis n’a été octroyé depuis une trentaine d’années ? Arnaud Montebourg (ex-ministre du Redressement productif) et Emmanuel Macron en sont les principaux instigateurs, motivés par la conjoncture économique : les cours des marchés des métaux et terres rares se sont envolés (5) et les techniques d’exploitations permettent désormais d’extraire des métaux dans des proportion de l’ordre de un gramme par tonne de roche (aux amateurs de calcul mental : estimer le volume de roches à extraire pour récupérer une tonne de métaux rares... !). Les mines redeviennent donc rentables sur le territoire métropolitain.
Or, ces ressources sont plus que stratégiques. L’armement, l’aérospatial, les hautes technologies — y compris celles dites renouvelables — accroissent la pression extractiviste. La raréfaction accrue de certains de ces métaux (comme le plomb et le zinc, qui pourrait être épuisé dans une à deux décennies) pousse les gouvernements occidentaux à creuser dans leurs propres sous-sols. D’autant que, jusque-là, l’essentiel de l’approvisionnement en terres rares se faisait depuis l’étranger : la Chine, à elle seule, en exporte plus de 95% et, d’ici quelques années, elle pourrait fort bien réduire ses exportations pour les orienter vers son marché intérieur.

La résistance s’organise

Sur le terrain, le retour aux mines suscite une vive opposition. En Bretagne, le collectif Douar Didoull organise des randonnées, manifestations et fest-noz pour rassembler au maximum. Les élus se mobilisent eux aussi : fin janvier 2016, le conseil municipal de Loc-Envel a refusé la pénétration de ses terres par Variscan et proposé à tous les propriétaires de la commune de remplir un bordereau de refus d’accès au promoteur. Parallèlement, associations et conseils municipaux ont d’ores et déjà déposé des recours juridiques.
Au niveau national, l’opposition se structure. L’association Ingénieurs sans frontières sillonne le territoire afin de sensibiliser et informer les populations. Et depuis deux ans, à Bord-Saint-Georges, dans la Creuse, le festival No Mine’s Land propose un ensemble de concerts, tables rondes, conférences et projections, en vue de fédérer les luttes et de faire émerger des alternatives à l’extractivisme.
Jean Le Bacquer est catégorique : des mines ? « Ni ici, ni ailleurs ! ». Alors, que faire pour amorcer une sortie de l’extractivisme ? « Il faudrait développer le recyclage et une remise en cause d’un certain type de développement, à savoir celui de l’industrialisation et du consumérisme. Car si on veut que tout le monde ait un téléphone portable, il faudra détruire la planète. On nous dit : ’Vos sous-sols sont riches.’ Mais non, la richesse, c’est ça, c’est la nature ! »

Gwenvaël Delanoë

(1) Simon Gouin, « A Salsigne, un siècle d’extraction d’or, dix millénaires de pollution ? », bastamag.net, 7 janvier 2015
(2) A ce jour, il n’existe aucun exemple de mine propre. Le site de Mittersill, en Autriche, qui était régulièrement mis en avant, se révèle en fait lui aussi grand pollueur.
(3) Une usine de désacidification coûte très cher et son efficacité est toute relative. Peu de chances, donc, que l’eau pompée soit réintroduite en surface sans conséquences graves pour l’écosystème.
(4) Association de prévention à l’industrie minière Voir www.isf-systext.fr
(5) Entre 2003 et 2014, les valeurs du plomb, du cuivre, de l’or, du tungstène et du germanium ont été multipliées par des facteurs allant de 3,5 à 5,3. L’accroissement est encore plus fort pour les terres rares comme le dysprosium, dont la valeur a augmenté de 1594,5%. (Source : BRGM). Des chiffres qui ont encore augmenté depuis.

Arriège : dangers sanitaires à Salau

En Ariège, à Couflens-Salau, une mine de tungstène a été exploitée de 1971 à 1986. L’excavation, le concassage, le broyage et le transport du minerai libéraient des poussières de type amianté issues d’actinolite, « disséminée dans la roche encaissante et donc non repérable à l’œil », selon les travaux de Henri Pézerat, chercheur au CNRS (1). Quand la mine était encore en activité, le directeur, M. Faure, a admis les conclusions d’une étude menée par le BRGM en 1984 : 50 % des poussières en suspension dans les galeries étaient dangereuses. La concentration était de fait très supérieure à la norme actuellement admise pour l’exposition des travailleurs aux fibres amiantées…
Annie Thébaud-Mony, chercheuse en santé publique, atteste en mai 1986 de quatorze cas d’atteintes respiratoires parmi les mineurs, dont neuf d’asbestose, maladie spécifique de l’amiante, trois de silicose et deux décès par cancer broncho-pulmonaire (2). Plusieurs de ces cas ont été qualifiés de maladie professionnelle. De plus, la chercheuse signale les dangers liés à l’exposition à la silice et à l’arsenic (...).
Or, Variscan Mines a demandé un PERM en 2014 pour ré-exploiter ce gisement... Et ses propres médecins ne citent pas ces études, affirmant qu’il ne peut y avoir d’amiante à Salau, que les mineurs malades avaient tous travaillé dans d’autres mines (faux, pour au moins deux d’entre eux), que les poussières toxiques étaient dues à l’amiante des freins d’engins. Un argument jugé fallacieux par le maire de Couflens, qui était chargé de l’entretien de la mine. Variscan vante ses mines « propres », mais quel crédit y apporter quand les risques sont tout simplement passés sous silence ?

Marcel Ricordeau,
Comité écologique ariégeois
Cambié, 09000 Serres-sur-Arge
cea09ecologie.org
contact@cea09ecologie.org

(1) Rapport sur les risques liés à la présence d’amiante à la mine de Salau, 8 janvier 1986
(2) Rapport concernant les risques sanitaires - Mine de Salau (Ariège), 20 septembre 2015

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