Brève Dossier Alternatives Finances et économie solidaire

Coopératives perdent-elles leur âme en grossissant (les) ?

Michel Lulek

En grossissant, les coopératives alternatives sont-elles condamnées à rentrer dans le rang ou peuvent-elles trouver comment grossir autrement ?

C’est un classique. Après une phase pionnière où des individus enthousiastes et engagés se réunissent pour créer une coopérative, travailler autrement, imaginer d’autres manières de faire, l’entreprise se structure, se formalise, se professionnalise et sombre dans ce que les sociologues appellent doctement « l’isomorphisme institutionnel ». En gros : on devient comme les autres, les valeurs de départ s’édulcorent, on se banalise, bref, on perd son âme. Et chacun de citer telle grosse banque coopérative qui joue sur les marchés boursiers et favorise l’évasion fiscale, ou telle association militante devenue une grosse association gestionnaire. Le raccourci est ensuite vite fait : grossir, c’est mourir un peu, c’est-à-dire oublier ce qui était à l’origine du projet.

Grossir, c’est mourir un peu ?

Est-ce vraiment une fatalité ? En grossissant, en se développant, doit-on forcément renier ses rêves de départ, ou passer d’un fonctionnement coopératif — où chacun a son mot à dire — à une organisation traditionnelle de moins en moins démocratique ? Pas forcément, nous explique Jean-François Draperi, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (1). Selon lui, le projet coopératif est une construction qui doit, pour survivre, être animée, améliorée, travaillée constamment... quelle que soit la taille de la structure. La Nef, avec ses 37 000 sociétaires, pourrait en être en exemple.
La dérive des projets et des utopies n’est pas l’apanage des « gros ». Pour la combattre, les entreprises du réseau Repas (2) ont inventé, dans les années 1990, le compagnonnage alternatif et solidaire afin de transmettre ses valeurs coopératives et de trouver, le cas échéant, de nouvelles énergies parmi les jeunes qui profitent de ce parcours de découverte au sein des entreprises du réseau. Deux de ses structures, Ambiance Bois et Ardelaine, témoignent de leur approche de la question. La première insiste sur la notion d’essaimage. La seconde met en avant la dimension du temps. L’une et l’autre démontrent que l’on peut changer d’échelle sans changer sur le fond. L’essentiel est de savoir à quoi l’on tient, de le défendre, de le dire et d’en faire ce qui, au final, constitue la véritable identité de la coopérative. Le bois ? La laine ? Et si c’était davantage l’autogestion et le travail en commun ?

Michel Lulek

(1) www.cnam.fr
(2) Réseau d’échange de pratiques alternatives et solidaires, www.reseaurepas.free.fr

Michel Lulek est membre de la SCOP La Navette. Celle-ci est une coopérative de sept rédactrices et rédacteurs, spécialistes de l’économie sociale et de la vie associative.
Leur entreprise revendique l’autogestion comme mode de fonctionnement (chacun est associé-coopérateur, les salaires sont égaux et la gérance tirée au sort tous les deux ans).
Elle est installée à Faux-la-Montagne, sur le plateau de Millevaches, en Limousin, et fait partie du réseau REPAS.

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