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En Grèce, une structure autogérée au secours des réfugiés

Devant l’afflux incessant de réfugiés sur les plages de l’île grecque de Lesbos, un groupe de citoyens a décidé d’occuper un parc public afin de les y accueillir décemment. Les autorités locales ne proposant rien face aux dizaines de bateaux quotidiens, elles tolèrent le camp autogéré de Platanos. Un seul objectif : venir en aide aux réfugiés. Récit d’une journée.

6h30, 23 décembre 2015, Skala, Grèce

Le talkie-walkie annonce en anglo-greco-espagnol un nouveau bateau. Je vais réveiller les médecins dans la chambre voisine. Nous partons vers la plage, couvertures de survie à la main. A peine le temps de saluer nos amis volontaires, Rémy a déjà les pieds dans l’eau pour extraire les enfants du bateau qui vient tout juste d’arriver. Sous l’oeil de deux officiers de police parfaitement passifs, une chaine humaine de volontaires se met si rapidement en place qu’aucun enfant n’aura cette fois-ci les pieds mouillés. Les hommes, tellement heureux d’arriver, sautent du bateau et courent vers la terre promise. Certains s’agenouillent et remercient le ciel. Nous les accompagnons vers notre camp, Platanos, et leur expliquons avec un grand sourire « Nourriture, vêtements secs, thé ».

6h45

Kety, qui vient du Brésil, distribue nourriture, boissons et friandises. Marios, un jeune Grec sans emploi, vêtu de sa combinaison de plongée, s’occupe d’alimenter le feu. Un espace est prévu afin que tous puissent se changer et obtenir des vêtements propres et secs. « Tchaï, Tchaï ! », c’est Deena, la Malaisienne, qui sert du thé. Ils peuvent alors se réchauffer un peu avant qu’une navette ne les conduise vers un autre camp, bien plus grand, qui rassemble les réfugiés arrivés sur l’île. Ils y rempliront les papiers qui leur permettront de rester quelques semaines sur le sol grec. Leur parcours du combattant est encore loin d’être terminé...

7h15

Dans la tente des enfants, je dégote un pantalon, des collants et des chaussures pour un petit garçon de trois ans. Une fois changé, je le ramène jusqu’à son père ravi de le voir enfin de retour auprès de lui. Je discute alors avec un jeune homme de 25 ans, qui me fait le récit de son histoire dans un anglais correct : « J’étais couturier en Afghanistan. Un jour, ils sont venus, ils nous ont enfermés dans une maison et nous ont obligés à nous déshabiller. Nous avons dû payer deux mille euros pour sortir. J’ai alors fui mon pays. J’ai payé des passeurs, j’ai marché dans les montagnes, j’ai beaucoup marché. Mes deux cousins m’ont rejoint par avion en Iran. Je n’ai plus d’argent maintenant, c’est mon cousin qui a payé pour la traversée ». Il me remercie alors de partager son histoire et, me parlant des « explosions à Paris », me demande d’assurer aux Français qu’il n’est pas un terroriste... Un récit parmi tant d’autres, tous plus terrifiants les uns que les autres.

8h

Tous ont maintenant quitté le camp mais la journée ne fait que commencer. Nous apercevons quatre bateaux à l’horizon. Il n’est pas rare qu’un bateau soit à court de carburant, c’est pourquoi les espagnols de l’ONG Pro Activa filent vers les quatre taches oranges afin d’assurer leur sécurité.

Le camp dans lequel nous sommes ne dépend d’aucune ONG, il est totalement autogéré. Une dizaine de citoyens a, en effet, décidé, en octobre 2015, d’occuper un espace public du village afin de venir en aide à la centaine de bateaux qui arrivait quotidiennement. Peu à peu, des dons ont été collectés à travers toute la Grèce et dans le monde entier, grâce en partie aux réseaux sociaux. Trois grandes tentes et un conteneur ont été achetés, un groupe électrogène installé, une cuisine montée... Les décisions se prennent collectivement et chaque jour apporte son lot de nouveautés et de réorganisations.

8h45

Le premier des quatre bateaux arrive et le même scénario se reproduit. Jour après jour, nous prenons conscience de l’ampleur de la situation...

19h20

A la fin de cette journée, Terry, un volontaire anglais, nous fait part d’un message particulièrement émouvant reçu d’un réfugié Afghan rencontré quelques jours auparavant :
« Je ne savais pas que toutes ces personnes sur la plage étaient des volontaires... C’est incroyable qu’ils aient mis de côté leur travail, leur famille, leurs amis et leur vie pour venir ici, juste pour aider des gens comme nous, gratuitement. J’avais perdu toute confiance en l’humanité mais vous me l’avez redonnée. L’amour c’est ce qu’il y a de plus important. Je prierai mon Dieu chaque jour pour qu’il reste avec vous et qu’il vous apporte de bonnes choses et de la joie dans vos vies ».

Elan de solidarité

Nous avons passé plus de deux semaines au sein du camp. Nous avons vu débarquer plusieurs milliers de réfugiés.
Effarés par l’inaction de nos gouvernements, la cupidité et l’inhumanité de certaines personnes, nous avons par ailleurs vécu ici une expérience extraordinaire aux côtés de volontaires venant du monde entier. Un réel élan de solidarité, de générosité et d’humanité qui vient heureusement contrebalancer ce triste tableau de début de siècle.
N’oublions pas que, du fait du réchauffement climatique, nous sommes à l’aube d’une période de migrations sans précédents. Il ne s’agira plus seulement de réfugiés de guerres, mais il sera question de réfugiés climatiques, par millions !

Elisabeth Berger et Rémy Desmitt

Contact du camp autogéré d’accueil aux réfugié-e-s : https://solidarityteamplatanosblog.wordpress.com

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