Dossier Alternatives Finances et économie solidaire

Coopératives : essaimer plutôt que grossir

Rémy Cholat

Quand on demande à Ambiance Bois (25 salariés) ce que veut dire pour elle un changement d’échelle, la réponse se résume dans un mot : essaimage. Témoignage de Rémy Cholat, l’un des coopérateurs de l’entreprise.

Pour ne pas perdre ses valeurs, il faut déjà en avoir eu au moment de la création. Pour Ambiance Bois, pas de charte ni de traité, mais des prises de notes lors des réunions pendant les années précédant la création. A partir de ce pot commun aux fondateurs, ce sont des valeurs qui s’affichent et se diffusent : des articles dans la presse, des témoignages, des interviews à la radio ou à la télévision, un livre, un film... Autant de moments où ces valeurs sont énoncées, rappelées par les uns ou les autres. Chacune, chacun, avec son point de vue, donne à l’ensemble de ces témoignages l’image d’un riche nuancier groupé autour de quelques couleurs primaires, premières.
C’est aussi par notre participation à des groupes de réflexion, réunions, colloques, réseaux (comme le Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires) que nous gardons vive l’étincelle de la coopération. Garder les valeurs fondatrices, c’est dire qu’elles font partie intégrante de notre métier au même titre que la fabrication de matériaux bois ou la construction de maisons à ossature bois.

Gouvernance

Pour Ambiance Bois, le développement de l’entreprise au cours de ses 27 années d’existence s’est traduit par l’augmentation du nombre de salarié-e-s : de six à vingt-cinq. Si cette augmentation régulière a pu se réaliser grâce à l’augmentation du chiffre d’affaires, le moteur de l’évolution est ailleurs. C’est avant tout la rencontre de nouvelles personnes, le désir de rejoindre une équipe constituée autour de ses valeurs fondatrices, qui est à l’origine de ce changement d’échelle. Si celui-ci se traduit par une augmentation du nombre de salarié-e-s, les questions de gestion des ressources humaines, de règles de vie se posent avec plus d’acuité. Cette problématique devient même majeure dans un fonctionnement autogestionnaire où les coopérateurs et coopératrices se réunissent autant pour le type de gouvernance que pour l’objet économique.
La pente « naturelle » des structures coopératives opérant un changement d’échelle les conduit, la plupart du temps, à une gouvernance classique ne les distinguant plus d’une entreprise quelconque. Ambiance Bois a su garder ses valeurs fondatrices voire les renforcer. Ainsi le renouvellement du président-directeur général (PDG) tous les deux ans par tirage au sort, symbole fort, est une situation nouvelle. En effet, ce n’est qu’après une quinzaine d’années de PDG fixe que nous avons décidé de le ou la renouveler tous les ans puis, au vu des coûts de gestion, tous les deux ans.

Des évolutions organisationnelles

La vie d’équipe change avec un nombre de coopérateurs qui s’accroît. Faire vivre l’esprit coopératif se traduit par la réalisation d’une salle de réunion, devenue polyvalente puisque c’est aussi un espace repas et un lieu ponctuel de rencontres pour des associations locales. Avec vingt-cinq personnes plutôt que six, le temps de parole de chacun se réduit, à moins que certains parlent davantage et que d’autres s’abstiennent…
Le prêt d’outils et de véhicules de chantiers aux amis alentour, s’il était naturel pour les quelques-uns des premières années, doit passer d’une gestion empirique à celle, plus formalisée, d’une entreprise qui s’agrandit et se professionnalise. Immédiatement, la source de conflits sous-jacents apparaît avec cet exemple à première vue anodin. En cela, la question du prêt éventuel d’un simple cloueur pneumatique relance régulièrement les questions essentielles d’un fonctionnement alternatif : quel est l’objectif fondamental d’Ambiance Bois ? Quelles sont les valeurs de notre entreprise ? Nous avons aussi, à partir de cet exemple du plus banal quotidien, l’illustration du choix de la complexité que nous avons implicitement fait. A contrario, l’option est plus simple pour une entreprise qui a pour objet premier de dégager du profit : elle ne prête pas son outillage !
Le changement de taille ajoute de la complexité à la complexité puisque les choix collectifs se tranchent plus lentement à vingt-cinq qu’à six !

Essaimage

A l’expression « changement d’échelle », je substituerai volontiers le terme d’essaimage. Sur le plateau de Millevaches, où l’entreprise est implantée, la sensation du passage à une autre dimension est évidente. Les initiatives y sont nombreuses, mais elles ne sont le fait ni d’une personne ni d’une entreprise, plutôt d’un tissu d’acteurs. Ambiance Bois y joue un rôle, mais en partenariat avec d’autres : l’Arban, une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) intervenant dans les domaines de l’habitat et l’urbanisme (dont Ambiance Bois est sociétaire), Télé Millevaches, une télévision locale cofondée par des coopérateurs d’Ambiance Bois, Bonne Pioche, une association autour du jeu créée par un ancien coopérateur de l’entreprise (2), De fil en réseaux, une association créée par 13 structures (dont Ambiance Bois) pour accueillir de nouveaux habitants, etc. Ambiance Bois n’est pas à l’origine de toutes ces activités, mais elle contribue et s’inscrit elle-même dans un essaimage inscrit dans l’histoire longue de son territoire. En ce sens, l’indice pertinent d’un changement d’échelle qui épargne les valeurs d’origine pourrait être le taux de fécondité d’initiatives amies, complices, voisines…

Rémy Cholat

Contacts

• Ambiance bois, Fermerie, 23340 Faux-la-Montagne, tél : 05 55 67 94 06, www.ambiance-bois.com
• Arban, Le Bourg, 23340 Faux-la-Montagne, tél : 05 55 64 58 29.
• Télé Millevaches, 23340 Faux-la-Montagne, tél : 05 55 67 94 04, http://telemillevaches.net
• De fil en réseaux, Le Bourg, 23340 Faux-la-Montagne, tél : 05 55 64 54 75, www.defilenreseaux.org

(1) Note de la rédaction : ce tirage au sort implique un niveau de compétences assez uniforme, ce qui nous semble difficilement possible dans le cas de coopératives d’insertion, par exemple.
(2) Dont les activités ont été reprises depuis par une autre association.

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