Dossier France Général Nucléaire

Quand il sera trop tard…

Michel Bernard

Les autorités multiplient les plans pour gérer un accident. On s’y prépare et ce qui s’est passé à Tchernobyl en 1986 et à Fukushima en 2011 ne laisse augurer rien de bon.

Imaginons qu’un accident majeur commence un soir à minuit sur le site de traitement des déchets de La Hague, dans la Manche. Ce jour-là, un vent d’oùest modéré souffle à 50 km/h. Que se passe-t-il ? Les autorités diffusent des consignes à la radio, mais comme c’est la nuit, cela reste d’une efficacité limitée. Dès 0h30, l’agglomération de Cherbourg (116 000 habitants) est contaminée. A 2h30, le nuage arrive au Havre (294 000 habitants). A 3h30, il est à Rouen (660 000 habitants), mais aussi à Caen (400 000 habitants). A 5h, il atteint la région parisienne (12 millions d’habitants). Il touche également Beauvais, Amiens. A 7h, il atteint Lille (1,2 millions d’habitants) mais également les côtes anglaises, au nord, Chartres et Le Mans, au sud. C’est alors que des millions de personnes écoutent les infos du matin et découvrent qu’elles sont en zone contaminée. Dans la journée, le nuage couvre la Belgique, atteint la région londonienne, franchit la frontière allemande…
En 1986, le nuage de Tchernobyl a fait le tour du monde. Il a été si intense qu’en Allemagne et en France, il a provoqué de nombreux cancers de la thyroïde, bien que l’on soit à plus de 3000 km du lieu de l’accident.

Impossibilité de se protéger du nuage radioactif

Alors, bien sûr, la fameuse pastille d’iode est distribuée, avec force communication, dans la périphérie des centrales nucléaires. Son ingestion sature la thyroïde en iode non radioactif et empêche ainsi la glande de fixer l’iode radioactif abondamment présent dans le nuage. Problème : pour que cela soit efficace, il faut l’absorber 48 h avant l’arrivée du nuage radioactif. Le traitement concerne donc ceux qui habitent à plus de 2000 km, la distance que le nuage parcourt en deux jours : les Allemands et d’autres Européens de l’Est. En outre, cette pastille ne protège que de l’iode radioactif… et non des centaines d’autres éléments radioactifs présents dans l’air.
Pour la totalité de la population française prise dans le nuage, il n’y a rien à faire, si ce n’est déménager le plus vite possible hors de la trajectoire du nuage (voir encart).

Evacuation trop tardive et trop limitée

Les autorités doivent estimer très vite la quantité de radioactivité pour déterminer jusqu’où évacuer la population. En Russie, dans une région peu habitée, les autorités soviétiques ont évacué les habitants de Tchernobyl jusqu’à une trentaine de kilomètres, plusieurs jours après l’accident (1). A Fukushima, l’évacuation n’a pas été plus rapide, notamment parce que le tsunami et le séisme avaient compliqué les choses. Mais là, l’évacuation a été faite sur seulement 20 km dans un premier temps, puis 30 km sous les vents dominants (2). C’est notoirement insuffisant. Selon les normes de sûreté définies avant l’accident, il aurait fallu évacuer jusqu’à 250 km de la centrale (3), ce qui était tout simplement impossible : 60 millions de personnes vivent dans ce rayon, qui englobent les banlieues nord de Tokyo. Alors que les Etats-Unis prônaient une évacuation au moins jusqu’à 80 km, le gouvernement japonais a refusé, redoutant la mort économique du pays.
Revenons à notre accident de La Hague. Le gouvernement accepterait d’évacuer le département de la Manche (500 000 habitants), mais probablement pas davantage. Il est inimaginable de vider la région parisienne. Comme les 60 millions de Japonais qui résident maintenant en zone contaminée, les Franciliens (12 millions), les Normands (3,3 millions), les Nord-Picards (6 millions)… seront condamnés à vivre (et à mourir prématurément) en zone radioactive (4).

Qui ira travailler sur le site accidenté ?

A Tchernobyl, c’est l’armée soviétique qui a fourni l’essentiel des travailleurs pour essayer d’enterrer le site sous des tonnes de sable. 600 000 personnes ont été sacrifiées, et la plupart sont mortes depuis. A Fukushima, la compagnie électrique a fait appel à des sociétés de sous-traitance pour trouver du personnel. Celles-ci, dont un grand nombre sont contrôlées par les yakuzas (la mafia locale), ont recruté dans le milieu des SDF et des chômeurs les moins diplômés.
En France, un décret paru en 1986 (après l’accident de Tchernobyl) prévoit qu’une liste de personnes soit tenue à jour pour intervenir en cas d’accident nucléaire. Cette liste, si elle existe, n’a jamais été rendue publique.
L’armée n’a plus de troupes suffisantes depuis l’abandon du service militaire, en 1996. Les Français, dans l’ensemble, savent qu’effectuer ce type de mission revient à se condamner à tomber malade rapidement. Restent les personnes les moins armées pour refuser ce travail : les réfugiés, les immigrés, les SDF, les Roms, les prisonniers… ! Il en faudra beaucoup : plus de 50 000 personnes ont défilé sur le site de Fukushima en cinq ans.

Le temps du nucléaire, le temps du politique

Benjamin Dessus, expert dans le domaine de l’énergie, a l’habitude de plaisanter ainsi : le problème du nucléaire, c’est que la période du plutonium (5) est de 24 400 ans alors que la durée d’exercice moyenne d’un ministre est de deux ans. Par conséquent, nos élus cherchent des solutions à court terme, espérant ne plus être là pour gérer la suite. Tchernobyl se trouve dans le nord de l’Ukraine, près de la Bélarus. Trente ans après l’accident, ces deux pays doivent soigner des millions de malades. Aujourd’hui, dans la région de Gomel (sud de la Bélarus), non évacuée mais soumise à un taux de radioactivité important, aucun enfant ne naît en bonne santé (6).
En cas d’accident nucléaire, il faut compter entre 3 et 4 ans pour que les premiers cancers de la thyroïde apparaissent, d’abord chez les enfants. Au bout de cinq ans apparaissent les leucémies (cancer du sang) ; le phénomène ne fait donc que commencer à Fukushima. Ensuite, on constate les cancers des os puis tous les autres types de cancers. La catastrophe sanitaire ne fait que s’amplifier (7).
Les politiques tenteront donc, par tous les moyens, de minimiser ces conséquences : en annonçant sans cesse que l’accident est maîtrisé et que la situation est sous contrôle, en dénonçant les messages alarmistes des médecins honnêtes qui publieront des données chiffrées sur les augmentations de maladie. Et cela sera relayé au plus haut niveau, jusqu’à l’Organisation mondiale de la santé (8), par ceux qui défenderont encore et toujours le nucléaire. Le mensonge sera l’arme des puissants.
Malgré cela, les conséquences économiques seront énormes. Dans la région de Fukushima, la plupart des hommes restent sur place pour ne pas perdre leur emploi. Mais les femmes partent avec les enfants, pour les protéger… Cela provoque un taux de divorces inédit. Imaginons que la région parisienne soit fortement contaminée : que se passerait-il ? Qui serait encore volontaire pour y occuper un emploi, même bien payé ? Avec notre centralisation administrative, comment cela se gérerait-il ?

Catastrophe sans fin

La zone interdite de Tchernobyl est fermée depuis maintenant 30 ans. L’iode radioactif reste dangereux pendant quelques semaines ; le césium, autre polluant majeur, dure une trentaine d’années. Trente ans après, les scientifiques s’attendaient à constater une baisse de 50 % de la radioactivité dans la zone interdite de Tchernobyl. Or, les dernières mesures montrent qu’il n’en est rien : le rayonnement est stable car depuis, le début de la catastrophe, le réacteur accidenté émet toujours assez de radioactivité pour remplacer celle qui disparaît.
A Fukushima, des essais de décontamination ont été organisés dans le but d’inciter les habitants à retourner dans les zones « nettoyées ». Mais cela ne se passe pas comme prévu car, cinq ans après, les trois réacteurs en fusion continuent à rejeter de la radioactivité, et la décontamination est sans fin.

Michel Bernard.

Pour en savoir plus sur la catastrophe de Fukushima, vous pouvez lire sur notre site la chronologie détaillée de ce qui se passe au Japon.

(1) Environ 250 000 personnes ont été évacuées en mai 1986.
(2) Environ 110 000 personnes ont été évacuées en mars 2011.
(3) Pour ne pas dépasser un taux d’exposition de 1 mSv/an.
(4) La région parisienne pourrait aussi être contaminée par un accident à la centrale de Nogent-sur-Seine (70 km au sud). La métropole lyonnaise ne serait sans doute pas évacuée en cas d’accident à la centrale de Bugey (30 km à l’est)… Voir la carte ci-dessous.
(5) La période de demi-vie est le délai après lequel la moitié de la radioactivité a disparu. Au bout de deux périodes, il reste la moitié de cette moitié, soit encore 25 % de la radioactivité initiale. Après dix périodes, il reste 0,1 % de la radioactivité initiale.
(6) Voir www.lesenfantsdetchernobyl.fr
(7) Toutes les victimes des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ne sont pas encore mortes… Pour une bombe, la radioactivité est relâchée d’un seul coup alors que, lors d’un accident nucléaire, la pollution se diffuse pendant des années.
(8) L’Organisation mondiale de la santé est contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont le rôle est de promouvoir le nucléaire civil (au départ pour lutter contre le nucléaire militaire), aujourd’hui dernier fief du lobby pro-nucléaire.

Eloge de la fuite

En cas d’accident, les consignes officielles sont de s’enfermer chez soi et de se calfeutrer. Soit votre calfeutrage ne sera pas efficace et la radioactivité s’infiltrera quand même, soit il le sera, et vous mourrez asphyxié faute de renouvellement de l’air. Ce choix des autorités a un but : vous inciter à vous résigner lorsque vous apprendrez que, de toute manière, vous serez contaminé, et ainsi ontenir que vous obéissiez gentiment aux consignes d’évacuation (ou non) quand il sera trop tard. Les autorités craignent que la panique provoque de nombreux accidents lors d’une fuite massive. En terme de gestion politique, elles cherchent à minimiser les morts sur le moment, quitte à les augmenter ensuite, loin de l’attention des médias.
En 1986, lors de l’arrivée du nuage radioactif de Tchernobyl sur l’Europe de l’ouest, des familles allemandes ont décidé de s’éloigner, certaines allant vivre un temps en Espagne. Cela peut sembler exagéré, mais c’est exactement ce qu’il fallait faire.
Renseignez-vous sur les conditions météo et déplacez-vous pour rester hors de la trajectoire des particules radioactives. Il faut tout particulièrement éviter les zones pluvieuses, qui précipitent le nuage vers le sol et forment ensuite des taches de contamination durables (comme encore aujourd’hui dans le Mercantour).

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