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Terreur de l’anti-terrorisme

Thomas Noirot

Les définitions usuelles du « terrorisme » renvoient aujourd’hui aux actions violentes de groupes visant à déstabiliser une société ou un État. Étymologiquement, le mot désignait pourtant, à la Révolution française, la doctrine des partisans de la Terreur... une politique d’État. Il n’y a aucune raison de limiter la portée lexicale du mot : « terrorisme » doit qualifier le recours à des moyens « terrifiants » dans la poursuite d’un but politique – comme le « terrorisme bonapartiste » dénoncé par Victor Hugo. On aimerait alors que l’expression « lutte contre le terrorisme » signifie lutter contre ce recours à la terreur – autrement dit, défendre les droits. Sauf que, comme l’illustre la célèbre formule de Charles Pasqua qui voulait « terroriser les terroristes », l’Etat français n’a jamais traduit en ce sens le concept flou de l’anti-terrorisme.

D’une part, par une désignation très sélective. Juste après que les nazis et le régime de Vichy aient qualifié les résistants de « terroristes », la France en fit de même dans son empire colonial, notamment avec les indépendantistes en Algérie et au Cameroun – et on sait quel traitement de terreur l’armée française fit alors subir aux populations. À l’inverse, d’autres « terroristes », au sens littéral du terme, conservent depuis toujours les faveurs des autorités françaises : celles-ci ont ainsi, encore en 2015, renforcé leur alliance avec des régimes de terreur, du Congo-Brazzaville à l’Arabie Saoudite en passant par le Tchad...

D’autre part, par un contenu criminel. Car comme souvent, le verbe haut reste le moyen des coups bas : à l’instar de la loi anti-terroriste promulguée fin 2014 au Cameroun ou de l’état d’urgence permanent de la dictature égyptienne, les législations d’exception donnent carte blanche aux plus féroces répressions chez nos alliés – souvent avec du matériel et du conseil technique français.

En France même, la classe politique a quasi-unanimement salué le recours à la loi sur l’état d’urgence, écrite en 1955 pour mater la résistance en Algérie, et utilisée à nouveau contre des populations coloniales de 1958 à 1963 (les Algériens présents en métropole) et en 1985 (en Nouvelle-Calédonie), puis en 2005 contre les habitants des quartiers populaires où elles avaient été ghettoïsées quelques décennies plus tôt. Ce vieux réflexe néocolonial illustre que la doctrine militaire française de la « guerre contre-révolutionnaire » destinée à combattre un « ennemi intérieur », et qui a donné de « brillants » résultats dans la bataille d’Alger, dans les dictatures latino-américaines et au Rwanda, a toujours de fidèles partisans au plus haut niveau de l’État et de l’armée. On tremble en repensant aux déclarations du Chef d’état-major des armées, le 15 octobre 2015 devant des députés, donc avant même les attentats de Paris, selon lequel « les armées doivent apporter des savoir-faire complémentaires » à ceux des forces de sécurité en France, et ainsi « pouvoir recourir, le cas échéant, à des modes d’action à l’intérieur qui s’inspirent de ceux utilisés à l’extérieur du territoire national ».

La « guerre contre le terrorisme » et ses avatars ne sont donc pas seulement vains, en cela qu’ils ne désignent pas un adversaire identifiable, ils sont plus que jamais l’alibi, voire le moyen de politiques criminelles ou stigmatisantes, celles-là mêmes qu’il faut combattre.

Thomas Noirot

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org

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