Dossier Eau Environnement

Océans, alerte rouge ?

Baptiste Giraud

Certains lecteurs reprochent à Silence souvent d’être trop négatif, alors, en publiant ce qui suit, on les entend déjà râler ! Nous nous excusons auprès d’eux, mais nous avons pensé qu’il était utile de jeter un œil à la poussière accumulée sous le tapis, autrement dit : à toutes les perturbations causées par nos sociétés sur un univers sous-marin qu’il est aisé d’ignorer.

« Les dangers qui menacent les océans » : il serait possible d’écrire un catalogue entier sur ce sujet. Nous avons retenu quatre points cruciaux pour la préservation des équilibres humains et océaniques : le réchauffement climatique, les pollutions, la surpêche et le pillage des ressources marines.

Pollués : du pétrole au plastique, en passant par les déchets radioactifs

Lorsqu’on parle de pollution dans les océans, on pense d’abord aux marées noires. Exxon Valdez, Erika, Prestige, Deepwater Horizon (1)… Derrière ces catastrophes, il ne faut pas oublier les « petits » dégazages ou fuites d’oléoducs qui affectent également les écosystèmes.
Mais il y a plus : « 80 % de la pollution marine est d’origine terrestre, car la mer est l’ultime poubelle », explique Nathalie de Pompignan (2). Ainsi, à cause de nos comportements et du drainage des déchets par les cours d’eau et alluvions, des tas de débris, mégots, déchets plastiques, produits chimiques et eaux usées partent chaque jour à la mer.

La situation est particulièrement grave en ce qui concerne les plastiques : leur quantité est telle qu’au gré des courants, cinq gigantesques amas se sont formés en plusieurs endroits de l’océan — on parle parfois de « continents » de plastique. Selon leur qualité, les macroplastiques se dégradent en microplastiques, formant une sorte de soupe invisible. En Méditerranée, il y aurait 100 000 particules par km² selon François Galgani, de l’Ifremer (3).

Surexploités : pêcherons-nous jusqu’au dernier poisson ?

A la fin du 19e siècle, les captures mondiales représentaient en moyenne 5 millions de tonnes par an. Aujourd’hui, elles s’élèvent à plus de 90 millions de tonnes (selon la FAO), dont plus de la moitié en Asie. Sans compter les 27 millions de tonnes rejetés à la mer « faute d’entrer dans les critères de commercialisation », explique Nathalie de Pompignan.

Toujours selon elle, la pêche mondiale progresse très peu depuis une vingtaine d’années, malgré les progrès techniques : « Les stocks de poissons ne parviennent pas à se renouveler. Les espèces capturées sont de plus en plus petites et de plus en plus jeunes. » Et nous, Européens, mangeons plus que ce que nos mers contiennent : « Si nous devions nous contenter des poissons pêchés dans les eaux européennes, en 2015, nous n’en aurions plus eu à partir de juillet », selon François Sarano. « Récemment, l’Union européenne a reconnu que 88 % des stocks de ses eaux continentales seraient surexploités », rappelle Nathalie de Pompignan.

Les poissons qui se retrouvent sur nos étals de supermarché vont-ils pour autant disparaître ? « Il est impossible de faire totalement disparaître une espèce dont la fécondité est de l’ordre de centaines de milliers d’œufs », explique François Sarano. Mais nous pouvons les rendre très rares — c’est ce qui est arrivé aux morues de Terre-Neuve. « En revanche, les baleines, requins, raies, mammifères, ont une fécondité faible et tardive : eux, nous pouvons les faire disparaître », poursuit le plongeur. Idem pour les espèces des grands fonds à croissance lente, menacées par le chalutage profond. « Aujourd’hui, ce sont les grandes espèces que nous aimons qui disparaissent : les cachalots, les requins blancs, etc. Aux générations futures, nous laisserons des crabes, des vers et des méduses. » Des disparitions qui déstabilisent les chaînes alimentaires et les écosystèmes dans leur ensemble.

Réchauffés : les poissons aussi vivent la canicule

Les océans ont absorbé la majeure partie de la chaleur atmosphérique due au réchauffement climatique. Entre 1970 et 2004, leur température a augmenté en moyenne de 0,5 °C, mais en Arctique ce chiffre s’élève à 2 °C ou 3 °C, et pourrait atteindre 5 °C d’ici 2050 (4). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) table sur une hausse de la température moyenne de l’eau comprise entre 2 °C et 4 °C d’ici 2100.
Et alors, on se baignera plus facilement en Bretagne ? Peut-être … Mais surtout, les écosystèmes seront (et sont déjà) bousculés. « Les changements des caractéristiques physicochimiques de l’eau de mer ont un impact sur le métabolisme des individus, sur les cycles de vie des espèces, sur les relations entre les proies et leurs prédateurs et sur les modifications des habitats », explique Philippe Cury sur la plateforme Océan et Climat (5). Le réchauffement de l’eau perturbe la migration des poissons, qui remontent de plus en plus vers les pôles. Il perturbe ainsi les écosystèmes dans leur ensemble.

Autre menace issue du changement climatique : l’acidification des océans qu’entraîne la dilution du CO2. Depuis le 19e siècle, cette acidité a augmenté de 30 %. Conséquences : la réduction de la quantité de carbonate de calcium, utilisé par les organismes pour former coquille et squelette, affecte certaines algues, les phyto- et zooplanctons. Croissance empêchée, dissolution des coquilles : de nombreux coquillages et récifs coralliens en pâtissent déjà.

Pillés : la chasse aux trésors sous-marins

Les océans ne sont pas seulement riches de poissons pour remplir notre estomac. Ils constituent aussi aujourd’hui un nouveau réservoir de matières premières, qu’Etats et entreprises cherchent à s’approprier. En 2014, le pétrole et le gaz offshore (6) représentaient déjà 30 % de la production mondiale, en croissance de 15 % par an en moyenne (7).

Autre filon, les ressources minérales : sous forme de nodules, d’encroûtements cobaltifères ou de sulfures polymétalliques, les fonds marins regorgent de fer, de manganèse et d’autres minerais. Leur exploitation dégradera à coup sûr les milieux marins profonds, leur biodiversité et leur fonctionnement, alors même qu’ils demeurent aujourd’hui méconnus voire inconnus par la science.

L’océan Arctique, en particulier, suscite la convoitise des entreprises extractivistes. Son sous-sol abriterait 22 % des réserves mondiales de pétrole et 78 % de celles de gaz (8). A mesure que les glaces fondent, les transporteurs lorgnent également cet espace pour y faire passer de nouvelles routes maritimes. Or, la ruée vers cette zone comporte des risques encore plus importants qu’ailleurs, car 70 % des réserves mondiales de poissons s’y trouvent, et les techniques de limitation des marées noires sont moins efficaces sous ces températures.

Enfin, les « ressources » génétiques de la biodiversité marine attirent maintenant les industries pharmaceutiques, cosmétiques, biotechnologiques et agroalimentaires, qui veulent en tirer des molécules à commercialiser. Au risque, encore une fois, de piller et détruire ces milieux, ainsi que de s’accaparer les molécules par le dépôt de brevets.

Vers une mort des océans ?

En parallèle du développement de ces multiples dangers, on observe l’apparition de « zones mortes », c’est-à-dire sans oxygène. Certaines sont causées par la prolifération de végétaux aquatiques — permise par la surabondance de fertilisants d’origine agricole — qui étouffent le reste de l’écosystème (9). D’autres apparaissent en pleine mer.

« Ces zones sont en augmentation, mais l’interprétation est délicate, avoue Gilles Reverdin. Parfois, ça ne pose pas de problème aux écosystèmes, les espèces y sont adaptées et vivent sans oxygène. Donc on ne peut pas dire qu’il n’y aura plus de poissons dans la mer, il y en aura toujours. Mais ce ne seront plus ceux que nous aimons. » Aujourd’hui, ce sont les méduses qui s’en tirent particulièrement bien.

Et nous, humains, que risquons-nous ?

Comment cette perturbation des écosystèmes marins nous affecte-t-elle ? Cela dépend de notre localisation et de notre portefeuille. Pour certains, cela se limite à la dégradation des plages et de la qualité de l’eau, empêchant les baignades en été… Mais pour d’autres, notamment dans les pays du Sud, il s’agit de la disparition de leur source de revenus (pour les petits pêcheurs), voire de leur principale source d’alimentation.

Aujourd’hui, la pêche industrielle (environ 35 000 navires, soit moins de 1 % de la flotte mondiale) réalise 50 % de la pêche mondiale (10). « En Namibie, les 10 millions de tonnes de sardines que recelaient les eaux du pays dans les années 1960 ont été remplacées par 12 millions de tonnes de méduses (11). En 1960, un Mauritanien mangeait en moyenne 24 kg de poisson et un Français 9 kg ; aujourd’hui, le Français en mange 27 ou 28, et le Mauritanien moins de 9 kg », déplore François Sarano.

Néanmoins, la menace majeure pour nos sociétés provient non pas de la perturbation des écosystèmes mais des effets du changement climatique. La machine (climatique) est complexe, mais on sait au moins que le réchauffement de l’air entraîne celui des eaux, donc leur dilatation et la fonte des glaces, aboutissant à l’élévation du niveau. Le GIEC estime cette montée entre 26 et 98 cm d’ici 2100.

Or, les littoraux regroupent l’essentiel de la population mondiale (12), ainsi que des activités économiques : une hausse de un mètre toucherait 600 millions de personnes (13). C’est donc au déplacement de millions de réfugiés climatiques qu’il faut s’attendre, mais aussi au manque d’eau potable et de terres cultivables.

Baptiste Giraud

(1) En 2010, la fuite de ce forage en eaux profondes du pétrolier anglais BP a laissé s’échapper plus de 780 000 m3 de pétrole brut dans le golfe du Mexique. Un produit chimique aux effets inconnus, le Corexit 9500, a même été utilisé pour limiter la marée noire.
(2) Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, Océan – Alerte rouge. Chroniques d’un désastre annoncé, L’Harmattan, 2014
(3) http://troubled-waters.net
(4) Chiffres du National Snow and Ice Data Center des Etats-Unis, repris par Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, op. cit.
(5) http://www.ocean-climate.org/
(6) C’est-à-dire en haute mer.
(7) Et ce, malgré les conditions extrêmes (pression, utilisation de robots, plateformes mobiles) qui compliquent l’extraction et augmentent les risques d’accident et de pollution.
(8) Chiffres de la Energy Information Administration des Etats-Unis, repris par Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, op. cit.
(9) C’est le cas des algues vertes.
(10) Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, op. cit.
(11) Chiffres de l’Institut de recherche pour le développement, repris par Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, op. cit.
(12) « 75% de la population mondiale vit à moins de 60 km du littoral », Nathalie de Pompignan et Constance Albanel, op. cit.
(13) Rapport Stern sur l’économie du changement climatique, Nicholas Stern, 2006

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