Dossier Local Politique

Tordères, joies et peines de la démocratie participative

Michel Bernard

Depuis les élections municipales de 2008, la commune de Tordères, 180 habitants, essaie de fonctionner en démocratie participative. Une expérience qui se poursuit avec un deuxième mandat.

Tordères se trouve à une vingtaine de kilomètres au sud de Perpignan, légèrement en dehors des axes de circulation vers l’Espagne, à l’orée d’une forêt de chênes-lièges, entre plaine et montagne. Après un exode rural important jusque dans les années 1960, le village a connu un renouveau démographique, surtout dans les années 1990, avec l’installation de plus en plus de personnes dont beaucoup font la navette pour aller travailler en ville.
En 2008, une réunion publique est organisée par des habitants. C’est l’occasion d’une remise en cause des pouvoirs communaux. La nouvelle équipe municipale est constituée de citoyens lambda, plutôt jeunes, dont la plupart n’ont jamais été élus. Parmi eux, des artisans, des agriculteurs, des infirmiers, etc., mais aussi des chômeurs. La parité homme-femme y est parfaitement respectée. Maya Lesné, enfant de la balle et enfant du pays, est désignée maire, mais elle partagera pleinement ses fonctions avec les deux maires adjoints, Dominique Maurice et Gilbert Fantin (une femme et un homme).

Tous les habitants décident, même les plus jeunes

Le premier souci de cette équipe est de développer des démarches de concertation et de consultation en organisant des commissions extramunicipales (ouvertes à tous, sans condition d’âge — près d’un quart de la population a moins de 18 ans et doit pouvoir prendre la parole), afin de prendre en compte l’avis de la population sur la plupart des projets de la commune.
Entre 2008 et 2014, les habitants sont conviés à plus de trente réunions publiques, tant en matière de travaux et de patrimoine qu’en matière d’environnement, d’affaires sociales, d’urbanisme et de finances. Certaines commissions connaissent un grand succès (jusqu’à 40 participants, comme la commission sur l’urbanisme et celle sur l’agroenvironnement), d’autres réunissent moins (moins de dix personnes pour celle des finances), et d’autres encore sont modestes mais très régulières (comme la commission des travaux).
Pour l’équipe municipale actuelle, « le succès de l’expérience prouve que, quoi que puissent en dire de nombreux législateurs, les communes, si petites soient-elles, doivent pouvoir continuer à exister car elles sont le lieu privilégié d’une démocratie de proximité ».
Les permanences en mairie, deux fois par semaine, se font toujours à trois. Le conseil municipal, ouvert au public, se réunit en moyenne sept fois par an. Un bulletin municipal assez dense paraît chaque trimestre. Ce dispositif a été complété par la mise en place d’un site et d’un blog communaux, où chacun peut également déposer ses remarques, et qui remportent un grand succès.

Protéger les zones agricoles

La commune se heurte à différents problèmes (sécheresse, risque incendie, etc.) mais le plus difficile à gérer est la pression foncière qui va croissant avec les années. Régulièrement, des promoteurs et autres spécialistes de l’urbanisme viennent rencontrer les élus pour proposer des projets en zone agricole ou naturelle, parfois même en pleine forêt, au cœur d’un territoire sauvage à haut risque d’incendie.
Les refus de la nouvelle municipalité entraînent des recours au tribunal administratif. C’est dans ce contexte très particulier que la commission dédiée à l’urbanisme se réunit, en 2011. Sur 40 participants, 38 demandent que la campagne alentour soit protégée. Le règlement du plan d’occupation des sols est alors révisé pour rendre plus difficile l’urbanisation des terres agricoles. Cela n’est pas du goût d’une poignée de propriétaires terriens, qui s’élèvent vivement contre cette décision et cherchent à imposer leurs volontés dans les réunions des commissions extramunicipales.
Lors des municipales de 2014, deux listes s’affrontent : celle de l’équipe en place (partiellement renouvelée), qui se représente avec la volonté de refuser le bétonnage et de freiner l’urbanisation, et celle des propriétaires terriens qui défendent l’idée contraire. Cette dernière obtient moins de 20% des suffrages (1).
Le conseil municipal a aussi pour rôle de faire la liaison avec la communauté de communes et le département. Et là, ce n’est pas facile car les réunions ne sont pas ouvertes et de nombreuses décisions se prennent en amont, de manière officieuse. Il y a toutefois une forte implantation de gauche, encore issue de la Résistance, qui fait que les mairies voisines sont capables de se mobiliser, notamment contre des décisions préfectorales (2).
En 2012, la commune a lancé une réflexion face à un projet d’éoliennes dans la communauté de communes, présenté par Suez et Areva hors de toute considération citoyenne. L’abandon du projet a été obtenu, non par opposition aux énergies renouvelables, mais à cause du manque de participation citoyenne. En 2014, un projet de photopiles en plein champ a également été repoussé car il ne respectait pas la classification du terrain en terre agricole.

Moins participatif ?

Depuis la réélection de 2014, les commissions s’essoufflent. Est-ce l’effet d’une lassitude ou la marque d’une (trop) grande confiance dans les élus municipaux ? Est-ce le sentiment que tout se joue ailleurs, en communauté de communes ou en conseil départemental, et que la voix des administrés et des « petits » élus ne pèse pas assez lourd dans la balance ? Une chose est certaine : une fois passée l’euphorie des premières années, les participants se font plus rares et il faut régulièrement les remotiver. Selon Maya Lesné, « l’exercice de la démocratie, c’est du temps pris sur le quotidien, de longues soirées de débats, parfois des prises de bec, un patient travail de fond, un patient travail de chaque jour. Ce peut être tout aussi bien jubilatoire que décourageant. Il faut en accepter les flux et les reflux, les périodes de grande créativité et les périodes d’abattement, et réinventer régulièrement de nouvelles façons de stimuler la participation citoyenne ».

M. B.

http://torderes.jimdo.com/
http://torderes.unblog.fr/

(1) Lors de notre passage, la circulaire de la préfecture, en date du 13 juillet 2015, affichée à l’entrée de la mairie, rappelait que depuis 2009, « être agriculteur ne donne pas le droit de construire en zone agricole. Seule la ‘nécessité’ à l’exploitation agricole dûment justifiée peut permettre, par dérogation, de construire en zone agricole ».
(2) Une cinquantaine de communes ont ainsi mis en place un collectif pour exiger que, si l’Etat impose un plan de prévention des risques incendie, il apporte aussi les moyens financiers pour le mettre en œuvre.

Démographie

En 1846, la commune compte 144 habitants. Ils ne sont plus que 60 en 1968, 75 en 1990… pour remonter à 175 en 2008, chiffre resté inchangé aujourd’hui.

Elections

La commune est bien ancrée à gauche : au premier tour des élections départementales du 22 mars 2015, le binôme Union de la gauche a recueilli 50 voix (63,3 %, contre 33,7 % dans l’ensemble du canton), le binôme EELV 13 voix (16,5 %, contre 8,3 %), le binôme FN 13 voix (16,5 %, contre 30,9 %) et le binôme UMP 3 voix (3,8 %, contre 27 %).Contact : maya.lesne@laposte.net

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