Dossier Agriculture biologique Alternatives Permaculture

Pépinières Burri ont fait des jeunes pousses

Michel Bernard

Nombre d’activités agricoles disparaissent par manque de repreneur. Ce n’est pas le cas de la famille Burri qui, après trente-sept ans d’activité, favorise l’installation de plusieurs pépiniéristes en bio.

Jean-François et Katharina Burri sont arrivés à Brenac, à la limite entre l’Aude et l’Ariège, en 1977. Ils sont originaires de Neuchâtel (Suisse). Après un an de jardinage en Grande-Bretagne, ils ont choisi cette région pour le soleil, avec le projet de développer une activité de pépiniéristes spécialisés dans les fruitiers méditerranéens (figues, abricots, prunes, amandes, kiwis…).
Il y avait alors beaucoup de terres abandonnées du fait de l’exode rural. Les terrains qu’ils achetèrent étaient en friche depuis 1945. Ils sont à 450 m d’altitude, sur un versant sud, à la limite ouest de la zone sous climat méditerranéen. Il restait de petites parcelles, avec surtout des prairies et un peu de vigne. Il fallut débroussailler. Les plantations de vergers se sont faites très progressivement, avec beaucoup d’observations sur les conditions des sols et de microclimat. C’était le début du questionnement sur les pertes de diversité, notamment avec l’association des Croqueurs de pommes (1). Jean-François et Katharina ont cherché à recueillir au maximum des variétés locales en interrogeant les locaux pour identifier les arbres. Ils ont appris à greffer sur des arbres sauvages.
Outre cette activité conservatoire, ils ont développé une pépinière : il y avait de la demande en bio. A l’époque, ils n’étaient qu’une dizaine sur toute la France à proposer des plants, ce qui fait qu’ils étaient souvent cités dans les revues spécialisées.
Pour enrichir les variétés, ils ont procédé à des échanges avec d’autres pépiniéristes, notamment lors de la fête de l’arbre, à Saint-Jean-du-Gard, organisée avec la revue Fruits oubliés (2).

Les mystères de la greffe

Les vergers conservatoires permettent de prélever des greffons, de petits morceaux de bois portant des bourgeons.
Des variétés de porte-greffes sont semées, bouturées (figuier, noisetier) ou marcottées régulièrement (3). Le porte-greffe est choisi pour ses qualités racinaires. Le greffon, que l’on met en place dès la première année, transfère les caractères que l’on veut privilégier. Greffe et porte-greffe doivent être assez proches, au niveau botanique, pour que cela fonctionne. Le pommier est presque toujours greffé sur du pommier. Le prunier peut servir de porte-greffe à l’abricotier ou au pêcher, le merisier au cerisier…
Les choix en bio sont spécifiques : comme les arbres ne doivent pas être dopés par des engrais ou des pesticides, il faut qu’ils soient plus vigoureux, d’où une sélection particulière. Le meilleur goût possible et la plus grande rusticité sont recherchés.
Les arbres sont vendus petits, autant que possible, car ils supportent ainsi mieux d’être déplacés (4). Le verger a une clientèle aussi bien professionnelle qu’amateur.

De la diversité dans le verger

Un arbre bien entretenu peut vivre longtemps (jusqu’à 80 ans pour un pommier) mais cette durée de vie dépend de ce qui est fait en amont : en multipliant les tailles, en palissant, on peut obtenir des fruits plus gros, mais on réduit la durée de vie de l’arbre. Un bon verger mélange porte-greffes, greffes, variétés et tailles pour limiter les fluctuations de production.
Après plus de trente ans d’expérimentation et d’amélioration, Jean-François et Katherina ont aujourd’hui la réputation de faire des fruits au goût excellent. Au fil des ans, en choisissant des parcelles ayant des sols, des altitudes et des expositions différentes, ils ont pu diversifier leurs fruitiers et proposent pratiquement tout ce qui peut se cultiver en Europe.
Leur rythme de travail est bisannuel : semis de porte-greffes en fin d’hiver (mars) quand il y a moins de clients ; en août, premier greffage ; au printemps suivant, vérification des greffes et deuxième greffe si nécessaire ; ébourgeonnement et tuteurage ; entre ces moments, aération du sol, désherbage (5) et enfin vente des pieds pendant l’hiver.
Pour assurer un bon renouvellement des sols, les pépinières disposent de 60 ha mais avec seulement 2 ha de vergers permanent et 0,5 ha de plantations de porte-greffes, qui changent de place chaque année.

La transmission

Beaucoup de stagiaires sont passés. En 2007, Juliette Watson, qui sortait de Sciences-Po, est venue pour demander six mois de formation, avec un projet d’installation. Elle a suivi un cycle complet avant de s’installer en 2008 dans le voisinage, sur le plateau de Sault, à 1000 m d’altitude. Elle produit des arbres fruitiers plus nordiques, résistant au froid, et a planté 3 ha de vergers pour la production de fruits de table. Une association commune a été fondée pour commercialiser ensemble par le même catalogue et le même site internet.
Sébastien Grange est, lui, arrivé en 2010. Pépiniériste d’arbres d’ornement dans la Drôme, il avait rencontré des biodynamistes et voulait se reconvertir dans la production alimentaire. Il s’installe alors un temps dans les Corbières (6) comme maraîcher, mais le climat trop sec vient à bout de son initiative. Après cinq ans dans la charpente traditionnelle pour reconstituer un capital, il décide de revenir à son premier métier en misant sur des fruits anciens, en biodynamie. Il arrive sur les lieux parce que sa femme a trouvé du travail chez Nature & Progrès (7).
Katherina et Jean-François ont trois filles dont une seule envisage de poursuivre ce métier… plus tard. Pour le moment, elle voyage. Katherina et Jean-François pensent à la retraite et ont proposé une association à Sébastien. Progressivement, ils ont diminué leurs activités tandis que Juliette et Sébastien développaient les leurs. Deux nouvelles personnes sont arrivées depuis, avec également des projets d’installation.
Le métier de pépiniériste demande beaucoup de travail et immobilise un gros capital. Mais cela rapporte suffisamment pour qu’il ne soit pas nécessaire de courir après les subventions agricoles. Cela rapporte plus que le maraîchage et, pour le moment, la concurrence n’est pas trop rude (8).

Le sens du partage

Pour assurer la transmission, Katherina et Jean-François ont offert leur clientèle mais également pris en charge certains frais de Sébastien. En évitant d’emprunter à une banque, les nouveaux arrivants font de belles économies. Sébastien ne tarit pas d’éloges sur le sens du partage de Katherina et Jean-François. Lui et Juliette se sentent investis de la mission de poursuivre la transmission auprès d’autres personnes.
En Charente, Enrick, sensibilisé à la permaculture, a d’abord essayé de semer sans greffer, sans succès. Ayant suivi sa femme dans l’Aude, il est d’abord venu en woofing (9) et, après avoir appris au mieux aux côtés de Sébastien, il vient de s’installer près de Mirepoix (Ariège), à quelques kilomètres à l’ouest. Il a fondé sa propre pépinière (axée sur des variétés différentes de celles de Sébastien et Juliette), qui lui prend un tiers de son temps. Il consacre un deuxième tiers-temps à la production de fruits frais toute l’année, et garde le troisième pour mener des expérimentations sur les plantes comestibles vivaces oubliées. Il fait remarquer avec humour que « comestible » ne veut pas toujours dire « bon » !
Tous commercialisent ensemble et partagent les temps de présence sur les stands, dans les salons. Ils essaient ainsi de sortir de démarches trop individualistes, de considérer les plantes comme du patrimoine et non de la propriété privée et de développer une conscience globale. Pour eux, « l’arbre et le fruit, cela mène loin sur le plan de la conscience ». Enric et Sébastien sont un peu revenus des grandes idées : pour concrétiser les rêves, c’est comme les fruits, « il faut que cela mûrisse ».

M. B.

12 000 arbres à gérer

Pour dégager un revenu confortable, Sébastien plante 5000 arbres par an. Comme les arbres sont vendus seulement la deuxième année, cela en fait 5000 autres à entretenir, auxquels s’ajoutent environ 2000 pieds qui ne trouvent preneurs que la troisième année, soit 12 000 arbres à gérer. Comme il y a des pointes de travail, il emploie un salarié 3 mois par an et accueille des woofers jusqu’à 6 mois par an. Ceux-ci viennent essentiellement pour apprendre à greffer, ce qui se fait en deux semaines. Selon lui, le woof est un merveilleux outil d’ouverture et source de nombreux échanges, donc de réflexions.

• Pépinière Burri, Katharina et Jean François Burri, 11500 Brenac, tél : 04 68 20 94 16, www.pepiniereburri.com
• Sébastien Grange, le Village, 11300 Saint-Couat-du-Razès, tél : 07 86 15 64 47
• Juliette Watson, pépinière, Caillens, 11 140 Rodome, tél : 06 87 93 38 88
• Enrick Thorel, La Coumeillo, 11230 Tréziers, tél : 07 80 33 24 81

(1) Croqueurs de pommes, voir http://croqueurs-national.fr/
(2) Chaque année, fin novembre. Voir : http://www.dimanchesverts.org/
(3) Le bouturage consiste à faire prendre racine à un morceau de végétal, le plus souvent une jeune branche. Le marcottage consiste à enterrer une partie d’un végétal pour qu’il prenne racine, sans le séparer initialement de son pied d’origine.
(4) Cela permet de les envoyer dans un colis, tout simplement, par la poste en Colissimo 48h, après avoir bien humidifié les racines.
(5) Ce point fait débat avec les permaculteurs qui préfèrent laisser les choses se faire. Jean-François et Katherina constatent, eux, que laisser l’herbe ralentit la croissance de l’arbre.
(6) Dans le même département, mais plus à l’est.
(7) Voir article page ???
(8) Il commence à y avoir de la revente avec des pépiniéristes italiens.
(9) Le woofing, de l’anglais World-Wide Opportunities on Organic Farms est un réseau mondial de fermes bio qui existe depuis 1971. Des stagiaires viennent travailler à mi-temps en échange de la formation, de la nourriture et du logement. Voir http://www.wwoof.fr/

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