Alternatives Décroissance Transition

Péniche pour transporter en douceurs des vins naturels

Danièle Gonzalez, Guillaume Gamblin

Cécile et Raphaël ont choisi de vivre au fil de l’eau, sur une péniche au joli nom d’Alizarine. Son rythme lent permet d’admirer les martins-pêcheurs et dans sa cale voyagent des vins naturels. Car ils espèrent aussi amorcer la renaissance en France du transport fluvial artisanal...

Un coup d’œil sur une carte suffit à le comprendre : sur un axe Nord-Sud et au-delà, la France est traversée par un réseau de voies d’eau navigables, le plus long d’Europe. De Sète à Paris en passant par Lyon, des rivières et canaux sillonnant tout le Nord-Est du territoire et rejoignant la Belgique. Et que trouve -t-on tout au long de ces voies fluviales ? Les côtes du Rhône, les grands crus de Bourgogne, les vins de Loire, les Champagnes et les vins d’Alsace... En bref, des vignobles, dont une part croissante travaillée en vins naturels, bio ou sans sulfite.

Un projet un peu fou, mais si pertinent !

Dès lors, pour Cécile Sauthier et Raphaël Sauzéat, c’est une évidence : ces vins de qualité, élevés avec amour, méritent mieux que le transport par camion, calamiteux pour les marchandises sensibles, mais évidemment aussi pour l’atmosphère, les territoires traversés et les paysages, sans oublier la sécurité routière et les conditions de travail des camionneurs. En 2009, suite à un accident de Raphaël, ce couple cherche une nouvelle vie, en accord avec ses aspirations et ses convictions écologistes. Elle comédienne, lui cordiste, l’idée de se lancer dans le transport de vin par bateau leur semble bien un peu folle, mais si cohérente !
En 2014, avec l’aide de subventions, ils achètent une péniche Lux Motor de 35 mètres, qu’ils font remettre en état et aménager pour le transport du vin. Les bouteilles, palettisées, voyageront sans heurt, « bercées » dans une cale climatisée (concession indispensable pour la qualité du vin). Une grue à bord permet de les charger et décharger en centre ville, les pré et post-acheminements se faisant aussi avec des modes de transport doux, comme un triporteur. Elles pourront être vendues avec le label « Eco-transport fluvial ».

Et d’ailleurs, ça marche, enfin ça vogue !

Le premier voyage, début 2015, achemine 5000 bouteilles de vin d’Ardèche jusqu’à Paris. Les nouveaux mariniers y font leur apprentissage, et apportent la confirmation des atouts écologiques du transport fluvial. L’Alizarine émet 40 fois moins de pollution atmosphérique et consomme 4 fois moins de carburant qu’un camion, pour une capacité équivalente à 5 containers. Sans accident, sans casse ni perte, sans embouteillage (malgré la cargaison !) ni secousse, presque sans bruit... et le vin est prêt à boire dès l’arrivée.

L’Alizarine est aussi aménagée pour proposer, à chacune de ses escales, des animations culturelles, des dégustations, de la vente aux particuliers (vins et produits régionaux). Mais le cœur d’activité reste le fret et les principaux partenaires en sont les producteurs et groupements de producteurs de vins, les négociants, les restaurateurs, cavistes, les groupements d’achats en produits bio et autres AMAP. Tous ceux qui ont essayé la formule s’en déclarent ravis, et à chaque voyage (le 3e est en cours), l’Alizarine gagne de nouveaux clients.

Mais non sans difficulté, pour qui bouscule les habitudes...

Pour autant, elle ne vogue pas sur de longs fleuves tranquilles. La France a abandonné sa culture batelière, et, comme partout, l’ensemble du système économique y fonctionne en flux tendus. Dans ce contexte, la lenteur d’un bateau (une vingtaine de jours pour un trajet Sud-Paris), la nécessité d’anticiper, le besoin éventuel de stocker un peu, font reculer des producteurs qui s’étaient pourtant déclarés favorables lors de l’étude de marché. Quant aux prix, les transporteurs routiers n’hésitent pas à les baisser pour conserver leur hégémonie. Aujourd’hui, l’Alizarine est un peu plus chère pour le fret en gros, mais moins pour les petites commandes. Ces différents arguments tombent vite dès lors que l’on modifie un tant soit peu les modes de calcul et d’organisation mais, ici comme ailleurs, les habitudes et les intérêts en place font de la résistance.

La petite SCOP se trouve donc en difficulté financière, avec un banquier très peu « coopératif ». Il pose un ultimatum de rentabilité dès janvier 2016, après un an alors qu’une activité innovante en nécessiterait au moins trois pour atteindre l’équilibre. Les pouvoirs publics ont aidé le projet en subventionnant l’achat du bateau, mais depuis leur soutien se manifeste dans le discours plutôt que dans l’action concrète. En dépit des objectifs affichés lors du Grenelle 1 de l’environnement (1), la France sous-exploite son réseau fluvial et, avec 4 % du trafic national de marchandises, se révèle en retard par rapport à ses voisins du Nord : Belgique, Pays-Bas ou Allemagne (2).

L’Alizarine et le Tourmente, ambassadeurs du climat

Pourtant, nul ne le conteste, pour faire face à la crise environnementale, à la saturation du routier, à la fin du pétrole, à l’évolution des sensibilités, le fluvial ne va pas tarder à redevenir incontournable. Cécile et Raphaël font une expérience vécue par bien des porteurs d’alternatives : celle qui montre qu’être en avance sur son temps est rarement de tout repos. Par delà les inquiétudes, ils en tirent toutefois une motivation supplémentaire pour leur mission pédagogique. Leur voyage de septembre à décembre 2015 est d’ailleurs « Un voyage pour le climat », profitant de la COP 21 pour sensibiliser le public aux enjeux du transport écologique. Impulsée par l’association « Vivre le canal », cette action fait se relayer deux bateaux, l’Alizarine et le Tourmente (qui se consacre à des rencontres culturelles sur le Canal des deux Mers), de Bordeaux à Paris. Sur 1500 km, ils veulent porter haut les valeurs de la lenteur et de la convivialité.

Danièle Gonzalez et Guillaume Gamblin

(1) Le gouvernement français s’était engagé à un report du routier vers les voies d’eau de l’ordre de 20 % d’ici 2020... or on n’en est, en 2015, pas encore à 1%.
(2) En Allemagne, les entreprises dont le siège social est situé sur le bord du Rhin, doivent payer une écotaxe si elles n’utilisent pas le transport fluvial. Sur le Rhin, on décompte environ un bateau commercial toutes les cinq secondes, sans engorgement pour autant. Mais toutes les 5 minutes sur la Seine et toutes les 5 heures sur le Rhône...


Pour soutenir l’Alizarine et le Tourmente, on peut les contacter, leur passer des commandes (www.le-bateleur.org), organiser à leurs bords des événements, en parler...

• Alizarine : Cécile Sauthier et Raphaël Sauzeat ; tél : 06 76 94 52 57, courriel : contact@bateau-alizarine.fr, siège social : 63, rue des Droits de l’homme, 07200 Saint-Sernin.
• Tourmente, vivre le canal : Jean-Marc Samuel ; tél : 06 12 94 47 15, mail : lequipage31@gmail.com
• Chambre Nationale de la Batellerie Artisanale, 43 rue de la Brèche aux loups, 75012 Paris, tél : 01 43 15 96 96, courriel : cnba.paris@wanadoo.fr

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