Dossier Agriculture biologique Alternatives Permaculture

Moutsie nous fait redécouvrir la générosité de la nature

Michel Bernard

L’autonomie peut passer, pour une partie, par la connaissance et l’usage des plantes sauvages. Moutsie a développé en ce domaine un savoir qu’elle partage aujourd’hui à travers stages et ouvrages.

Cela ne pouvait pas être autrement : arrivés un soir d’été, nous ne pouvions commencer la rencontre qu’autour d’un repas presque entièrement conçu à partir de plantes sauvages comestibles : une salade mixte suivie d’une « omelette », où les œufs ont été remplacés par une pâte liquide obtenue avec de la farine de pois chiches.
Moutsie est née dans une famille très classique, où les filles devaient rester dans les traces de leur mère. Une situation qui ne lui plaisait pas, et qui lui a fait quitter le foyer familial très tôt.
Elle lit ce qui lui tombe sous la main et, à 18 ans, découvre « le guide de l’anticonsommateur » (1) qui va changer sa façon de voir la vie.

Expérience communautaire

En 1979, elle prend son sac à dos et décide d’aller le plus loin possible. Ce sera l’Australie, où elle rejoint un lieu de femmes, Travelling women, réseau fondé après 1968 par des lesbiennes souhaitant construire une nouvelle société. La communauté se retrouve autour des valeurs du végétarisme, de l’écologie et en dehors de l’énergie destructrice masculine.
En 1980, elle s’installe au Danemark, avec Kuindelandet, un autre réseau de femmes. A son retour en France, en 1982, elle rejoint Terre de femmes, une communauté créée dans l’Aude par des femmes venues surtout d’Allemagne. Elle y est d’autant mieux reçue qu’elle est alors la seule française.
Au sein de la communauté, Moutsie développe son activité liée aux plantes sauvages : elle commence à préparer des repas et expérimente leurs usages médicaux et cosmétiques. Grâce aux ressources de la communauté, elle se forme à la mécanique et à la menuiserie. L’autonomie et la décroissance sont déjà à la base du mouvement. Neuf femmes vivent alors sur place toute l’année, une vingtaine, voire plus, à la belle saison. Le lieu est ouvert à toutes.

Cueilleuse de plantes sauvages

A cette époque naît le syndicat SIMPLES (2), qui regroupe les cueilleur-se-s de plantes sauvages, et un groupe local se crée près de chez Moutsie, à Esperanza. Elle devient alors cueilleuse professionnelle et bénéficie de l’aide d’une autre femme pour commercialiser des cosmétiques naturels.
Elle va ainsi faire sept ans de vente directe sur les marchés locaux. Elle trouve un emploi à mi-temps à la biocoop locale Floréal (3). L’expérience des marchés s’arrête après un contrôle qui exige une inscription au registre du commerce. Même si le syndicat SIMPLES a beaucoup fait pour la reconnaissance des usages des plantes, certaines pratiques restent interdites, particulièrement dans le domaine de la santé. Pour éviter d’autres contrôles punitifs, Moutsie préfère se tourner vers la transmission de son savoir car la demande est là ! Elle se forme grâce aux livres, à l’observation sur le terrain et à de multiples essais de fabrication (dentifrices, shampoing, pommades, sel aux herbes, etc.).
Après la rencontre d’un groupe d’agricultrices intéressées par ses savoirs, elle organise ses premiers stages au sein de la communauté. Ensuite, le bouche-à-oreille lui permet de développer cette activité.

L’Ortie

Après une quinzaine d’années dans la communauté, elle s’installe à Bordeaux en 1998 pour suivre une formation d’animatrice en éducation populaire, option environnement. C’est un retour à la « société ». Elle crée des jardins avec des enfants, en relation avec différentes associations. Un centre d’animation lui propose de l’embaucher, mais elle préfère créer sa propre association : ce sera L’Ortie.
Tout en maintenant ses formations habituelles, elle trouve auprès de la ville une occasion de diversifier ses activités : elle lance une étude des plantes de trottoirs puis participe à la lutte contre les pesticides.
Avec la plasticienne Laurence Cerciat, elle développe l’exposition « Jardins de trottoir », qui permet un autre regard sur les plantes sauvages en ville. Elle bénéficie alors d’une première subvention. L’exposition rencontre un beau succès et est très demandée par les collectivités pour accompagner les débats sur les pesticides. Pour Moutsie, c’est la découverte du milieu des élus. Après plus de dix ans, l’exposition tourne encore.
En 2004, elle rencontre Gérard Ducerf. Ce paysan autodidacte, éleveur de vaches bio, s’est trouvé immobilisé à l’hôpital après un accident. Il a alors commencé à étudier la botanique et démontrera que les plantes sont des indicatrices précieuses de l’état du sol. Cette notion peut permettre de faire des diagnostics pour les agriculteurs. Tous deux autodidactes, ils s’entendent bien.
En 2006, Moutsie revient dans l’Aude. Mais, après avoir goûté au confort d’une maison, elle ne se sent plus capable de vivre dans une cabane et s’installe donc à proximité. Dans la communauté, la situation a évolué : il ne reste qu’une fondatrice. Beaucoup de femmes sont parties sans conflit, parce qu’elles se trouvaient trop coupées du monde.
Le retour dans l’Aude s’accompagne d’une baisse d’activité de l’association. Alors qu’à Bordeaux, Moutsie refusait du monde, elle a plus de mal à remplir ses stages de formation. En ville, elle avait une majorité de femmes. Dans l’Aude, une majorité de décroissants.

Nature & Progrès

Elle rencontre alors Pascal Pavie, apiculteur et viticulteur Nature & Progrès, militant de la Confédération paysanne, qui lui apporte une réflexion écologique sur les plantes. Par exemple, utiliser une plante, qu’est-ce que ça change pour la planète ? Cela la mène à prendre ses distances avec les huiles essentielles, dont le développement exponentiel pose maintenant des problèmes de surexploitation des plantes.
Pascal Pavie lui présente tout le petit monde qui tourne autour de Nature & Progrès. Nelly Pégault, rédactrice en chef de la revue de l’association (4), lui propose d’animer la chronique « Faites-le vous-même ».
Elle s’investit chez Nature & Progrès Aude (5), qui regroupe beaucoup de consommateurs bio mais pas assez de paysans, ceux-ci n’ayant pas le temps de militer. Le groupe organise « L’Aude à la bio » le premier week-end d’août, participe au festival Alimenterre (6), à la semaine contre les pesticides (7), et organise des projections de films, des débats…

François de Ravignan

Nature & Progrès a ses bureaux au sein de la Maison paysanne où elle a pour voisins la Confédération paysanne, l’ADEAR, Accueil paysan et Graines de paysans, une couveuse pour aider à l’installation.
François de Ravignan, alors membre de l’ADEAR, s’est beaucoup impliqué dans cette Maison paysanne. Ingénieur agronome, il habitait à Greffeil, et était l’ami de Moutsie, qui a participé avec lui à un voyage chez des paysans en Turquie (8).
Lors de l’enterrement de François de Ravignan, en juin 2011, ses proches décident d’organiser une rencontre dans le but de fonder un groupe de réflexion et de continuer à travailler sur ses valeurs : redonner place à la paysannerie dans les campagnes. Sa femme, Clotilde, a rejoint le groupe, et l’association des Amis de François de Ravignan (9) propose chaque année une rencontre sur un thème.

Des livres

Quand Moutsie habitait à Bordeaux, Jean-Marc Carité, des éditions Utovie (10), lui a proposé de publier un petit livre sur les plantes sauvages comestibles. Elle ne se sentait pas capable d’écrire, mais l’éditeur lui a offert son aide. Le premier ouvrage a été bien diffusé et d’autres ont suivi : Plantes médicinales mode d’emploi, L’Ortie…
Avec Pascal Pavie, elle écrit Manger bio, pourquoi, comment puis, avec Pascaline Pavard, un livre sur les cosmétiques : Dentifrices, shampooing, pommades, cosmétiques, retrouvez le geste écologique. Ce livre se différencie des traditionnels « faites-le vous-même » en insistant plus sur les effets politiques qui découlent du fait que l’on laisse certains produits de nécessité entre les mains du commerce classique. Et de rappeler que le premier produit de beauté, c’est l’alimentation : on peut éviter le recours à beaucoup de produits simplement en mangeant mieux !
Moutsie assure des formations sur les plantes bio-indicatrices auprès des paysans avec Guillaume Kédryna, paysan en Ariège.
Enfin, Récolter les jeunes pousses des plantes sauvages comestibles, son dernier ouvrage, fondé sur quinze ans d’observation et co-rédigé avec Gérard Ducerf, présente et décrit les confusions possibles, et explique comment les éviter (11). Elle anime également avec d’autres associations l’émission radiophonique « Le Mag de l’environnement », diffusée par trois stations locales.

Mais au fait, d’où vient le nom de Moutsie ? Lorsqu’elle vivait avec les travelling women, il était de tradition de se choisir un surnom symbolisant sa propre identité. Elle a pris ce nom lorsqu’elle est partie en Australie, à 22 ans. Elle n’en a pas changé depuis.

M. B.

Les livres de Moutsie

Les Plantes sauvages comestibles, mode d’emploi, Utovie, 2003, 64 pp., 6 €
L’Ortie, une amie qui vous veut du bien, Utovie, 2003, 56 pp., 6 €
Les Plantes médicinales, mode d’emploi, Utovie, 2003, 48 pp., 6 €
Manger bio, pourquoi ? comment ? Le guide du consommateur éco-responsable, avec Pascal Pavie, Edisud, 2008, 144 pp. 8 €
Récolter de jeunes pousses des plantes sauvages comestibles, avec Gérard Ducerf, éd. du Terran, 2013, 304 pp. 24, 50 €
Dentifrices, shampooings, pommades et cosmétique : retrouvez le geste écologique : 100 recettes faciles à base de plantes, avec Pascaline Pavard, Edisud, 2015, 160 pp. 19 €
L’Ortie, Moutsie, Lasserre-du-Moulin, 11260 Saint-Jean-de-Paracol, tél : 04 68 20 36 09, http://lortie.asso.fr

(1) Guide de l’anticonsommateur, Dorothée Koechlin-Schwartz, Martine Grapas, éd. Guide pratique Seghers, 1976, 320 pages, rééedité Livre de poche en 1978.
(2) Syndicat inter-massifs pour la production et l’économie des simples, 17, rue de la Liberté, 12100 Millau, tél : 05 65 62 44 41, www.syndicat-simples.org
(3) Biocoop Floréal, 41, avenue Fabre-d’Eglantine, 11300 Limoux, tél : 04 68 31 33 40, http://floreal.limoux.free.fr/
(4) Nature & Progrès, 13, boulevard Louis-Blanc, 30100 Alès, tél : 04 66 91 21 94, voir Silence no 375, pp. 21-23.
(5) Nature & Progrès Aude, Maison paysanne, 12, rue des Genêts, 11300 Limoux, tél : 04 68 20 94 75, http://www.np11.org
(6) Festival Alimenterre, en octobre et novembre, www.festival-alimenterre.org/
(7) Semaine contre les pesticides, dix derniers jours de mars, www.semaine-sans-pesticides.fr/
(8) François de Ravignan a publié Carnet de voyage en Inde, La Ligne d’Horizon, 2006 ; Carnet de voyage en Pologne, A plus d’un titre, 2007 ; Rencontres paysannes turques, Le Pédalo ivre, 2013.
(9) Amis de François de Ravignan, tél 04 68 20 36 09
(10) Editions d’Utovie, 402, route des Pyrénées, 40320 Bats, tél : 05 58 79 17 93, www.utovie.com
(11) Gérard Ducerf : auteur de trois livres sur les plantes bio-indicatrices aux éditions Promonature www.promonature.com

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer