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Béguinage de Perpignan

Michel Bernard

Aujourd’hui, la retraite est souvent signe de solitude. Il est temps d’inventer de nouvelles formes de vie commune. Le Béguinage de Perpignan est une première expérience de vie autonome catholique dans un lieu collectif.

Le bâtiment, un couvent du 19e siècle légèrement en retrait de la rue, après restauration, est à la fois sobre et contemporain. Une fois entrés, nous grimpons quelques marches, tournons et découvrons l’autre côté du bâtiment. Là s’ouvre un jardin dans un ancien cloître. Sur deux côtés et deux étages, face à une église et à un presbytère, des terrasses relient quatorze appartements. Ceux-ci comportent une ou deux chambres (T2 ou T3) avec un salon assez vaste équipé d’une cuisine américaine.
Yvette Lemaire, qui nous accueille, était auparavant directrice du sanctuaire Notre-Dame-du-Laus, dans les Hautes-Alpes. Elle a commencé à penser à un tel lieu collectif il y a une dizaine d’années, en voyant autour d’elle de nombreuses personnes âgées qui vivaient seules. Des femmes indépendantes, mais en mal de relations.
Elle s’inspire alors du principe des communautés religieuses pour penser un lieu laïc de personnes de foi catholique, où des séniors pourraient trouver une alternative à la maison de retraite. Contrairement à cette dernière, le lieu doit être géré de manière indépendante, c’est-à-dire sans animateur et avec le minimum d’encadrement. Il s’agit également d’avoir des surfaces privées assez restreintes pour limiter l’entretien et diminuer le coût du logement. Elle lance l’idée autour d’elle, fait des demandes aux diocèses pour bénéficier d’éventuels bâtiments disponibles.
En 2011, l’idée est présentée brièvement dans l’hebdomadaire La Vie, puis développée dans Famille chrétienne, La Croix… Cette médiatisation permet de multiplier les contacts. Contrairement aux projets multigénérationnels, l’idée est ici de n’avoir que des personnes qui ne travaillent plus, donc qui peuvent se retrouver en journée pour des réunions ou des activités.

Rencontre décisive

Thierry Prédignac dirige à cette époque une entreprise de communication, à Perpignan, spécialisée dans la collecte de fonds pour les milieux religieux et associatifs. Il se pose la question du « bien vieillir » depuis un moment. Lorsque sa femme lui signale le projet vu dans un article, il prend contact avec Yvette. Thierry Prédignac propose alors d’investir lui-même dans un bâtiment qui sera ensuite loué à des retraités catholiques.
En 2012, il rachète le cloître Saint-François-d’Assise à l’évêché de Perpignan. Le bâtiment étant ancien, d’importants travaux sont engagés pour sa réhabilitation.
La médiatisation de l’initiative provoque des centaines de demandes. Alors que le premier béguinage s’ouvre à Perpignan, Thierry Prédignac décide de décliner cette méthode pour ouvrir d’autres lieux dans d’autres villes au sein de Vivre en Béguinage, structure qu’il crée avec deux autres associés (voir encart).
Entre le lancement du projet, en 2011, et le 16 janvier 2014, date d’entrée dans les murs (1), le groupe fondateur est encore fluctuant. En octobre 2014, un appartement est dédié à un « régisseur », Laurent Charnin, qui a pour charge de veiller à l’entretien des bâtiments et d’assurer la liaison avec le propriétaire. Les autres appartements accueillent initialement surtout des femmes seules, mais également un homme veuf et un couple. Particularité : la plupart des personnes ne sont pas originaires de Perpignan ou de la région.
Pour être candidat à ce béguinage, il faut être croyant, choisir une vie fraternelle et avoir envie de rester autonome le plus longtemps possible.
La vie fraternelle consiste a minima à participer chaque semaine à une réunion commune où sont échangées les nouvelles, avec un temps de prière suivi d’un repas commun et, une fois par an, à une retraite d’une semaine dans un lieu religieux. Lors de la réunion sont évoquées les relations avec l’Eglise, les sorties proposées, l’aide au régisseur pour les petits travaux, pour l’entretien du jardin et d’un petit potager.

Quelques difficultés à surmonter

Tout le monde s’accorde à dire que, pour éviter la solitude, c’est réussi. Les habitants se croisent plusieurs fois dans la journée, le jardin est agréable, on s’invite les uns chez les autres…
Certains petits inconvénients peuvent prendre de l’importance : comme le terrain est en zone inondable, il a fallu rehausser le rez-de-chaussée d’environ un mètre… ce qui a conduit les architectes à mettre en demi-sous-sol la salle commune, la buanderie, les congélateurs et les caves. Un escalier abrupt donne sur une pièce peu lumineuse. Il est déjà envisagé de construire une petite salle de réunions, vitrée au niveau du sol, qui réduira un peu l’un des jardins extérieurs. De même, si un monte-charge permet l’accès aux deux niveaux pour les personnes qui ont des difficultés avec les escaliers, les salles de bains ne sont pas accessibles aux chaises roulantes.
Le béguinage de Perpignan est à dix minutes à pied du centre-ville. Les contacts avec l’extérieur sont liés à des activités des personnes dans des associations catholiques, l’animation de la messe une fois par mois dans l’église voisine, et quelques activités à la maison diocèsaine. Il y a également des rencontres par le biais d’activités culturelles et sportives. Les relations avec le voisinage sont limitées par un mode de vie un peu particulier (lenteur de l’âge). Pour mieux faire connaître le béguinage, une association des « Amis du béguinage » a été créée.
Certaines personnes reçoivent des soins, à domicile ou à l’extérieur. Pour le moment, c’est gérable, mais on imagine mal ce que cela peut devenir quand une personne se retrouve en situation de dépendance. Yvette Lemaire pense que la solidarité sera développée le plus longtemps possible, mais que le béguinage n’est pas prévu pour un encadrement médical : la limite serait donc l’hospitalisation. Pour le moment, l’expérience est trop récente pour avoir des réponses précises.

Améliorations en cours

Après presque deux ans de rodage, plusieurs personnes sont parties : l’une hésitait entre deux projets et a finalement choisi l’autre, une deuxième est partie pour raisons de santé, une troisième parce qu’elle souhaitait un projet plus communautaire…
Dany Sirguey, actuelle présidente de l’association des locataires, est originaire d’Arles. Elle habitait une grande maison, et elle a mis six mois pour se décider à venir. Elle pensait que cette diminution de son habitat serait difficile, mais cela s’est avéré une simplification importante et plutôt agréable. Par contre, elle trouve difficile de s’ouvrir sur le quartier et de retisser des liens. Les relations se cantonnent trop aux résidents du béguinage. Elle a du mal à se faire à la ville… et au vent (et pourtant Arles, ce n’est déjà pas mal !). Elle est nostalgique de la Provence et serait sans doute partante pour rejoindre un béguinage s’il s’en ouvrait un dans sa région d’origine.
Les résidents actuels ont cherché )à s’ouvrir davantage. Ils ont décidé, depuis septembre 2015, de louer un appartement en colocation à deux étudiantes. Celles-ci s’engagent à assister aux repas communs hebdomadaires.
Un autre appartement est transformé en « gîte » : il doit permettre à des candidats de venir passer quelque temps sur place avant de se décider ; il permet également à des résidents de recevoir de la famille.
Sur les onze autres appartements, il en restait deux de libre à notre passage. Yvette nous dit que la priorité est de faire venir des retraités « jeunes ». Quand on lui demande ce qu’elle entend par jeune, elle dit « moins de 75 ans ». Tout est relatif ! Actuellement, les locataires ont entre 68 et 88 ans. Beaucoup de visiteurs se disent intéressés « pour plus tard »… mais le projet ne peut fonctionner que s’il attire suffisamment de personnes vaillantes.
Yvette, la plus jeune, fait pas mal de déplacements pour expliquer comment cela fonctionne et pour rencontrer des projets en cours de constitution. Certains visent le même fonctionnement qu’à Perpignan, d’autres réfléchissent à plus de mélange intergénérationnel, plus de différences au niveau des religions…
Thierry Prédignac et ses associés ont dans l’idée d’arriver à mettre en place une fédération de béguinages quand la situation aura un peu évolué.

M. B.

Autres béguinages en projet

Le béguinage a suscité beaucoup de curiosité : plus de 1500 personnes ont manifesté leur intérêt soit par courrier, soit en venant sur place. D’où l’idée de multiplier ce type de lieu.
Aujourd’hui, Thierry Predignac, Vincent Bel et Christophe Baiocco développent de nombreux projets au travers de « Vivre en béguinage ».
Quimper, un béguinage a été réalisé sur terrain nu en un temps record, grace au procédé « ossature bois » : le village Saint-Corentin, rue de Terrenoire, 29000 Quimper.
Mulhouse, un projet est en phase de démarrage au couvent des Pères rédemptoristes, à Ridiesheim. A Lourdes, une communauté de religieuses a proposé la reprise de leur maison pour un béguinage au 37, rue de Bagnères.
D’autres groupes se sont mis en place à Pau, Montauban, Albi, Lyon-Francheville, Chambéry, Ars-sur-Formans, Paray-le-Monial, Meaux, Paris, Thiais, Arras, Vannes…


Béguinage de Perpignan, Le cloître Saint-François, 11, rue Paul-Fort, 66000 Perpignan.
Vivre en Béguinage, 2 boulevard Kennedy, 66100 Perpignan, tél : 04 11 81 61 20, www.vivre-en-beguinage.fr

(1) Le chantier a duré 17 mois. Il a notamment été ralenti par la découverte d’amiante dans l’ancien cloître.

Loyers

Actuellement, le prix est de 480 € pour un T2 de 40 m2 et 580 € pour un T3 de 53 m2, internet, téléphone et télévision compris.

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