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A l’écoute des crieurs publics

Baptiste Giraud

De nombreuses villes et villages du pays voient fleurir les criées. Silence ne pouvait y rester indifférent. Mais allions-nous louer une nouvelle forme de rassemblement, dédaigner un attire-bobo, ou bien craindre la concurrence de ce média, le plus écolo qui puisse exister ?Enquête à Lyon, où après le célèbre Gérald Rigaud, crieur de 2004 et 2011, ils sont deux à officier actuellement.

D’abord, qu’est-ce qu’une criée ? « Un rendez-vous pour les habitants » répond Gérald Rigaud. Pendant sept années, se disant envoyé par le « ministère des Rapports Humains », il a tenu sa criée hebdomadaire sur la place de la Croix-Rousse, à Lyon. Cette année, c’est Valérie Niquet qui a pris la relève, une fois par mois sur la place des Tapis. « C’est important pour les gens d’avoir un lieu pour se rencontrer, échanger des idées. La criée est une sorte d’agora, avec à la fois des messages lus, et des invités, des acteurs locaux. C’est un lieu d’élaboration, de projets et un outil d’éducation populaire. Pour moi, une criée doit servir le territoire où elle a lieu, nourrir une dynamique locale. »

« La vraie communication c’est face à face … C’est dans les gènes, on a une case pour ça. »

La base, c’est la lecture de messages écrits, déposés par leurs auteurs dans les « boîtes à cris » du quartier. Ils sont, soit personnels, soit annonceurs d’événements associatifs ou festifs, soit poétiques, soit encore politiques. Ensuite, cela dépend du crieur, qui ajoute des rubriques à son gré. « Les méthodologies varient beaucoup en fonction des crieurs, et dans tous les cas ça ne marche que grâce au public » confie Gérald.

Mais justement, s’étonneront les plus technophiles, comment peut-on encore rassembler des gens dans la rue, sur les places, à l’heure de Twitter et Facebook ? « Y’a pas de secret : on a besoin de choses incarnées. Sur internet, ça patine, la vraie communication c’est face à face. Ça remonte à la nuit des temps, c’est dans les gènes : on a une case pour ça » affirme Gérald.

N’est-ce pas aussi la force du spectacle, quelle qu’en soit la forme ? Les crieurs empruntent souvent leur apparence à tout un imaginaire du temps passé, du Moyen-Âge au 19e siècle. Des temps où la voix était l’unique média accessible à la majorité de la population. Et puis leurs criées ont des airs de ressemblance avec le spectacle de rue, dont beaucoup proviennent : déguisement, mise en scène, estrade face au public, chapeau pour récolter de l’argent…

Spectacle ou réunion publique ?

Mais cet aspect colle mal avec une des revendications de certains crieurs. « Cette criée n’est pas un spectacle de rue, c’est une réunion publique » s’exclame Lionel Perrin, crieur de la Guillotière, autre quartier de Lyon, depuis le printemps 2015. Gérald renchérit : « Il y a un moment où je me suis senti hyper important : je pensais que ma criée était le rendez-vous du quartier, qu’elle permettait l’expression de choses qui n’auraient pas été entendues ailleurs, et avait une vraie utilité sociale. » Alors, criée-politique ou criée-spectacle ?

Gérald : « Il y a un crieur à Liège en Belgique, qui s’appelle aussi Lionel, et qui est très attaché au côté politique de la chose : il lutte contre l’aspect spectaculaire. Mais ça limite l’audience, et ça devient de l’éducation populaire. Moi, j’essayais d’utiliser des compétences d’acteur, de spectacle, pour capter l’attention du plus grand nombre. Il faut avoir un truc qui accroche, une énergie spectaculaire, pour créer une grande assemblée et faire passer des messages. »

Il nous raconte ses difficultés, lorsqu’il a trop mis de côté le spectaculaire : « La troisième année, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête d’en faire des caisses. Et bien je me suis fait chier, et j’ai fait chier les gens ! Il faut trouver un juste équilibre, utiliser ses compétences tout en restant humble. »

Pour lui, le costume est avant tout un outil pour mieux entrer dans le rôle qu’il entend jouer. « Il m’a surtout aidé à m’autoproclamer comme étant de fonction publique. J’ai puisé dans le costume de garde-champêtre de la légitimité, et j’en ai fait un support de jeu. Car la rue est dure et exigeante, il faut chercher à arrêter les gens dans leur routine, leur peur, leur indifférence… J’y ai laissé des plumes. »

« Faire vivre une certaine idée de la parole publique »

Aujourd’hui, les crieurs en viennent à intéresser les mairies, et certaines financent « leur » criée publique (par exemple à Autun, avec Augustin Tamar), entraînant diverses formes de sélection des messages lus. « Certains des crieurs payés par les mairies rentrent dans de gros clichés touristiques, censurent les messages, etc. » déplore Gérald. « Alors que c’est essentiel de s’ouvrir aux critiques, à la parole des citoyens. Ensuite c’est la difficulté du monde du spectacle en général : essayer de se vendre tout en restant intègre. Moi j’ai toujours voulu garder une parole libre, et j’ai eu de grosses critiques de la part de la mairie, notamment. »

Il existe donc de multiples manières de « crier ». Depuis ceux qui affirment : « La criée est politique, je prends position » et s’en servent comme d’une tribune, tel Lionel Perrin, jusqu’aux crieurs « municipaux », embauchés par les mairies pour mettre de l’animation sur les foires et marchés, en passant par ceux qui « font vivre une certaine idée de la parole publique » selon la formule de Gérald Rigaud.

Des criées différentes pour des publics différents ? « Les gens qui venaient et qui écrivaient des messages étaient ceux qui avaient déjà un capital culturel » se souvient Gérald. « Et même dans des quartiers populaires, avec des gens qui ont une forte culture orale, les gens ne viennent pas forcément… » D’où l’importance, insiste-t-il, de construire sa légitimité et de se faire connaître et reconnaître par la population locale.

Vu sous cet angle, les médias contemporains pourraient bien s’inspirer des crieurs afin de tenter de renouer le lien et la confiance avec leurs publics. « Ça vaudrait le coup que la presse renouvelle ses formes » acquiesce Gérald. « Il y a une forte incidence de cette parole portée dans la rue. Dans les années 1830 il y avait un journal nommé L’Écho de la fabrique à Lyon : les vendeurs en criaient des passages dans la rue pour mieux le vendre. Et ça a été une grande force de propagande, jusqu’à entraîner son interdiction par le pouvoir… »

Baptiste Giraud

Gérald Rigaud :
http://www.ministeredesrapportshumains.com/

Valérie Niquet :
https://www.facebook.com/profile.php?id=100009942276847

Sur Lionel Perrin, crieur de la Guillotière :
« Crieur public : la parole au quartier », par Fabien Ginisty, L’Âge de faire, n°98, juin 2015

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