Article Climat Effet de serre Environnement

Pourquoi accepte-t-on que les avions polluent autant ?

Michel Bernard

Malgré les progrès régulièrement mis en avant par les constructeurs, en France, les avions ont augmenté leurs émissions de gaz à effet de serre de 62 % entre 1990 et 2012. Au niveau mondial, c’est encore pire : +83 % entre 1990 et 2003.

Rien que pour le CO2, si les avions civils étaient un Etat, il serait le 7e plus gros pollueur de la planète (1). Les avions contribuent à 5 % des gaz à effet de serre et les compagnies aériennes misent sur un triplement du trafic d’ici 2030 !
Pourtant, les avions ne sont pas pris en compte dans les négociations sur le climat et ils bénéficient d’un régime d’exception, avec l’exonération de charges sur le carburant : selon la convention de Chicago de 1944, le transport aérien échappe à toute taxe sur le carburant. En France, les vols intérieurs bénéficient d’une TVA réduite à 10 %. TVA dont sont exemptés les billets internationaux.
Il bénéficie d’aides financières importantes pour la gestion des aéroports. Ces aides, jugées illégales par l’Union Européenne, font l’objet d’intenses pressions des compagnies low-cost qui se retirent des aéroports qui les leur suppriment. Les collectivités publiques ont dépensé entre 2000 et 2013 près de 10 milliards d’euros pour les accueillir. En juillet 2014, RyanAir a été condamné à rembourser 9,6 millions d’euros d’aides publiques pour les aéroports de Pau, Angoulême et Nîmes.
Les seules négociations internationales en cours portent sur les principes de compensations carbone dont nous avons déjà expliqué qu’elles ne résolvent pas les problèmes (2).

Taxer le carburant

Le Réseau Action Climat (3) a proposé, mi-juin 2015, que le gouvernement français prépare pour le sommet du climat de novembre 2015, des propositions concrètes pour limiter l’envol de l’aviation :
• Profiter de la baisse du cours du pétrole pour introduire une taxe sur le carburant, taxe qui devra ensuite croitre progressivement. Le Réseau Action-Climat propose une hausse de 4 % par an.
• Supprimer toutes les aides concernant les vols intérieurs en France (actuellement, entre 1,2 et 1,4 milliards d’euros par an !) et transférer ces aides au train (qui émet de 10 à 30 fois moins) et aux visio-conférences (pour éviter les déplacements professionnels).

Ségrégation sociale

Les chiffres sont là pour confirmer que l’avion est d’abord une affaire de riches : en France, en 2012, 43 % des cadres ont pris au moins une fois l’avion, contre 16 % des employés et 9 % des ouvriers. Si l’on étend ces chiffres au niveau mondial, on constate que plus de 6 milliards de personnes (sur 7) n’ont jamais mis les pieds dans un avion.
La limite d’une taxation comme avancée par le Réseau-Action-Climat, c’est que cela augmente les inégalités : les riches continueront à être la « jet-set » (ceux qui prennent l’avion) et les pauvres retourneront aux autres modes de transport. Nous sommes là dans la même logique que la libéralisation des transports par autobus de la loi Macron (4). Ceci renforce le dicton « le temps c’est de l’argent ».
D’autres mesures pourraient être mises en avant comme l’interdiction de vols en-dessous d’une certaine distance : l’avion polluant le plus au décollage et à l’atterrissage, plus le vol est court, plus il pollue. C’est sur ces vols courts que les alternatives sont le plus facilement disponibles (le train est souvent pratiquement aussi rapide). Un vol Paris-Nantes (5) peut facilement être remplacé par un déplacement en TGV. En prenant une distance minimale entre aéroports — qui augmenterait progressivement avec le temps — on éviterait déjà de très nombreux vols, et sans ségrégation sociale.
Une réflexion devrait être engagée sur ce que peut être un « avion utile » (humanitaire, regroupement familial ?). Il semble nécessaire de trouver des moyens de limiter les autres usages à commencer par le tourisme. Concernant celui-ci, il devrait être interdit de parler de tourisme « éthique » « doux » « responsable » ou « écologique » dès lors qu’il y a usage de l’avion ! Aller méditer sur l’avenir de la planète dans le désert en prenant l’avion est une totale hypocrisie.

Un problème de riches

Comme pour les autres négociations sur le climat, ce qui bloque, c’est que ce sont les profiteurs, nous les pays « riches » — riches car nous pillons les ressources des autres pays depuis cinq siècles — qui refusons de toucher à nos privilèges. Les conséquences climatiques provoquent déjà des exodes importants dans le monde (au Bangladesh par exemple). Mais pour ces réfugiés, pas question de prendre l’avion. Ils n’en ont pas les moyens.
Les négociateurs sur le climat étant de gros utilisateurs de l’avion, ils ont du mal à se pénaliser eux-mêmes ! Et la plupart de nos responsables d’associations faisant de même, ils perdent en crédibilité.

Michel Bernard


Des avions qui consomment moins ?

Les promoteurs de l’avion mettent en avant les nouvelles générations d’avions, moins énergivores. C’est vrai que c’est l’évolution globale. Mais du fait du temps de renouvellement de la flotte, la baisse de consommation par avion ne compense pas la hausse globale et de loin !
Selon les données de l’aviation, le carburant représente de 20 à 35 % du prix du billet d’avion. La recherche d’économies vise avant tout à baisser les prix pour prendre des parts de marché à la concurrence. C’est uniquement cela qui motive les grandes compagnies aériennes.

Source principale : http://www.rac-f.org/Salon-du-Bourget-Le-transport

(1) A ceci s’ajoute la consommation des avions militaires dont la consommation est difficile à connaître (voir : Sohbet Karbuz, The US military oil consumption, 26 février 2006, consultable sur www.resilience.org )
(2) voir CO2lonialisme, Silence n°361, octobre 2008, numéro téléchargeable sur notre site revuesilence.net
(3) Le Réseau Action Climat fédère les plus grosses associations écologistes et environnementales.
(4) En autorisant les transports par car entre cités, les riches continueront à aller d’une ville à l’autre grâce à des trains rapides (ou des avions), alors que les pauvres passeront de longues heures dans les cars et les embouteillages.
(5) Lors d’une action à l’aéroport de Nantes dans le cadre de l’opposition au projet de Notre-Dame-des-Landes, j’ai pu me rendre compte que près de la moitié des avions qui décollent de Nantes vont à Paris-Roissy pour rejoindre les départs internationaux…

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer