Brève Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Bolloré enfin décrypté

Thomas Noirot

Il aura fallu attendre la mise à mort des Guignols de l’Info pour que les Français découvrent Vincent Bolloré, dont ils avaient déjà entendu parler en 2007, lorsqu’il avait prêté son yacht à un Nicolas Sarkozy nouvellement élu président de la République.

Les Africains le connaissaient et savaient déjà qu’il manquait d’humour ; mais aussi d’humanité, à en juger par ses faits d’arme sur le continent où, en 2011, il réalisait 25 % de son chiffre d’affaires mais engrangeait 80 % de ses profits.
Le groupe est leader incontesté de la logistique portuaire sur les côtes et même certains fleuves d’Afrique : régulièrement accusé d’avoir bafoué les règles d’attribution des marchés (en Guinée, au Gabon, au Togo, en Côte d’Ivoire, en Libye…) et de bénéficier d’un appui direct des palais présidentiels grâce à ses réseaux politiques (via par exemple l’ex-ministre de la Coopération Michel Roussin, « Monsieur Afrique » du groupe), il vient de montrer, en décrochant la gestion du futur port de Kribi (sud du Cameroun), qu’il n’a rien à craindre de la « concurrence chinoise », avec laquelle il s’est opportunément allié pour partager ce nouveau gâteau plutôt que de prendre le risque de le perdre.
Le nouveau patron de Canal + aime aussi le transport ferroviaire, qu’il contrôlait déjà au Cameroun et en Côte d’Ivoire : il vient de s’imposer pour la réhabilitation et la construction de voies reliant le Bénin, le Burkina-Faso, le Niger et la Côte d’Ivoire. Mais au lieu d’un écartement standard des rails (1 435 mm), Bolloré prévoit des rails à écartement métrique (1000 mm), en usage dans les colonies françaises depuis le 19e siècle. Le recours à cette norme coloniale n’est pas uniquement symbolique : elle rend ces pays captifs du fournisseur et limite toute perspective d’interconnexion ferroviaire avec le Nigeria, géant anglophone voisin.

Censure et accaparement de terres

Via une cascade de holdings basées dans des paradis fiscaux, Bolloré contrôle aussi, indirectement, des milliers d’hectares de palmier à huile au Congo, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sierra Leone… Dans ce dernier pays, la tentative de riverains de ces plantations de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits vis-à-vis de la multinationale ayant accaparé leurs terres pour les transformer en monoculture, a encore mené à des arrestations début septembre 2015. Des violations des droits dont il est difficile d’entendre parler en France, où le sort des célèbres marionnettes et l’interdiction de diffuser sur « sa » chaîne un reportage sur l’évasion fiscale mettant en cause son partenaire en affaires, le Crédit Mutuel, a fait connaître cet été le goût pour la censure de Bolloré.
Les rares journalistes à oser s’intéresser à ses activités africaines en font les frais depuis longtemps. Benoît Collombat, de France Inter, avait ainsi été condamné face à des multinationales pour de fatales approximations dans son reportage de 2009 « Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré ». Rue89, Bastamag, Libération, ont fait l’objet de plaintes similaires, et on ne compte plus les droits de réponse adressés à tout va aux journaux français ou africains qui ont eu le toupet de documenter ses pratiques prédatrices sur le continent – lorsque ne suffit pas la menace de couper les recettes publicitaires aux médias, pour la plupart dépendants des contrats passés avec son groupe de communication Havas. Canal + a permis de décrypter l’usage des médias de ce champion de la Françafrique.

Thomas Noirot

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org

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