Brève Chronique Fukushima Nucléaire

Yukari Sasaki, mère de famille et chanteuse témoigne

Monique Douillet

Yukari est née et a vécu à Fukushima jusqu’au 11 mars 2011. Depuis 2013, elle témoigne par la parole et le chant dans les écoles, les églises, les pianos-bars, internet et à la télévision. En juin et juillet 2015, elle a été reçue en France. A Lyon, sous le patronage d’un centre de recherche (IETT), puis à Paris, à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Pendant un mois elle a enchaîné conférences-débats et dîners-spectacles.
Je l’ai rencontrée à Lyon. En ouverture de séance, Yukari a relaté son vécu émotionnel de l’accident : « Quand la terre a tremblé, c’était certes des secousses fortes, mais nous sommes habitués. La différence, c’est qu’au bout de quelques heures c’était toujours aussi intense, je n’étais pas sûre de réussir à récupérer mes enfants à l’école primaire de l’autre côté du pont et ne pouvais pas joindre mes parents, électricité et téléphone étant coupés. Finalement, le pont a tenu le choc. Ce n’est que le soir, à la télévision, lorsque la panne a été réparée que j’ai découvert les images du tsunami, à deux pas de chez moi, puis appris que la structure de la centrale nucléaire avait été touchée. A cette annonce, ma décision a été immédiate, j’ai descendu mes deux enfants dans la voiture avec un sac de vêtements pour eux, rien pour moi, sinon papiers et argent et j’ai pris la route de Tokyo, espérant être logée chez des amis. Des milliers de personnes avaient agi de même. Nous nous sommes trouvés dans un immense embouteillage qui a duré 10 heures ! Arrivés à Tokyo, nous n’avons pas été reçus comme je l’espérais. Après plusieurs semaines passées dans des abris précaires et sans chauffage, nous avons eu la chance d’être hébergés dans un hôtel transformé en refuge. Le temps a duré entre oisiveté et quête de moyens avant qu’une organisation se mette en place avec des écoles pour les enfants de réfugiés. Je n’avais plus le cœur à chanter. La situation s’aggravait à Fukushima. Or, beaucoup de gens restaient dans leur logement avec leurs enfants sans prendre de précautions. Pour eux, le danger était écarté. La contamination nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, donc elle n’existe pas. Pendant deux ans je n’ai pas réussi à pleurer. Quand les larmes sont venues, j’ai pu recommencer à chanter ».
Au cours du débat qui a suivi, Yukari a parlé de la situation actuelle. Le chiffre de la population a énormément baissé, les cadres et ceux qui avaient les moyens de quitter la région l’ont fait. La plupart des autres ont perdu leur emploi, les plus touchés étant les agriculteurs et les commerçants, nombreux dans cette région. Aujourd’hui, les ressentiments et les jalousies gangrènent les relations entre les habitants indemnisés de la zone interdite et leurs voisins qui n’ont aucun droit. Les niveaux de radioactivité ne baissent pas.
"Envisagez-vous de retourner un jour à Fukushima ?
— Non, il faut compter 40 ans avant un début d’amélioration
".
La rencontre s’est terminée sur un étrange et profond chant a cappella, un hymne entre colère et espoir.
Je n’ai pas osé dire qu’à Tokyo on n’est pas forcément mieux protégé.

Monique Douillet


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