Dossier Autres Énergies Énergies renouvelables

Dérive industrielle (la)

Michel Bernard

Les mouvements d’écologie politique ont, de tout temps, soutenu les initiatives en faveur des énergies renouvelables. Mais aujourd’hui, force est de constater que cela ne suffit pas pour aller vers une société plus écologique.

Chaque mois, nous pouvons lire, dans la presse spécialisée, les annonces de projets qui battent des records de gigantisme. Ainsi, en France, Alstom a mis en place l’éolienne Haliade 150, d’une puissance de 6 MW. Installée en mars 2012 sur le site EDF du Carnet (où était initialement prévue une centrale nucléaire), elle culmine à 176 m de haut. Elle est destinée à des parcs éoliens offshore (1). Au Danemark, Vestas a déjà mis en place la V164 de 8 MW, qui culmine à 220 m. La compagnie danoise annonce un modèle de 10 MW, alors que General Electric, aux Etats-Unis, travaille sur un modèle entre 10 et 15 MW.
Ce gigantisme par éolienne s’accompagne de la démesure dans les parcs éoliens. En février 2015, un parc de 2400 MW avec 400 éoliennes a été lancé par la Grande-Bretagne en mer du Nord. La mer du Nord est particulièrement prisée, car elle est peu profonde et fortement ventée. Il existe plusieurs dizaines de projets de parcs éoliens géants dans cette seule mer… et un plan d’ensemble a été mis en place par les pays riverains en 2012. De quoi fournir son électricité à une bonne partie de l’Europe. Des câbles sous-marins sont en cours d’installation pour des tensions similaires à celles des réacteurs nucléaires.

La course au gigantisme

La course au gigantisme touche également l’électricité solaire. Deux techniques sont développées.
Les centrales thermodynamiques produisent de la vapeur grâce à des miroirs qui concentrent la chaleur sur un point fixe ou sur un tuyau produisant de la vapeur. Celle-ci sert ensuite à faire tourner des alternateurs, comme dans une centrale thermique classique. Cette technique est plutôt utilisée dans les déserts. La plus grosse centrale thermodynamique, à Ivanpah, en Californie, fait actuellement 377 MW.
Les centrales photoélectriques convertissent directement la lumière en électricité. La plus grande en fonctionnement (247 MWà est celle d’Agua Caliente (Arizona). Une centrale de 550 MW est en construction à Desert Center (Californie). L’Inde construit une centrale solaire de 1500 ha à Rewa, dans le Madhya Pradesh, qui aura en 2016 une puissance de 750 MW.
Même fuite en avant dans le domaine du bois avec des centrales géantes. Nous accueillons en France, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), le plus gros projet : 150 MW (2). La multiplication des chaufferies géantes pose le problème du niveau de renouvellement de nos forêts. Renouvelable ne veut pas dire illimité !

L’utilisation de surfaces naturelles

Comme nous l’avons dit dans l’article précédent, l’ensoleillement qui tombe sur les terrains artificialisés (routes, villes, hangars…) représente à lui seul une énergie environ 50 fois supérieure à nos besoins actuels. Il paraîtrait donc logique d’utiliser en priorité ces surfaces. Or, pour des raisons de commodités, il n’en est rien : presque tous les grands projets se font au sol, au détriment de terres agricoles, de forêts ou même de zones naturelles. Une loi cadrant les permis de construire pourrait résoudre ce problème. Signalons qu’en Espagne, à Saragosse, 400 éoliennes ont été installées sur les ronds-points d’une zone industrielle, et que les capteurs solaires sont sur les toits… donc sans réduire les espaces non artificialisés.

Des technologies impossibles à relocaliser

Les différentes technologies utilisées pour capter les énergies renouvelables ne demandent pas le même niveau d’industrialisation.
Alors qu’il est relativement facile d’aménager une serre devant son logement pour bénéficier de la chaleur du Soleil, il est autrement complexe de fabriquer des cellules photoélectriques. Au fil des ans, les rendements ont été améliorés par un recours à des technologies de plus en plus complexes ; on a conçu des couches de matériaux sensibles de plus en plus minces, à tel point qu’elles relèvent maintenant du domaine des nanotechnologies (3).
De même, le matériau des pales d’éoliennes a changé en quelques décennies. Aujourd’hui, il s’agit d’un mélange de fibre de verre, de fibre de carbone, de résines de polyester et de résines d’époxy. Des essais sont en cours avec des pales en nanotube de carbone. Là encore, on note le recours aux nanotechnologies. Cette évolution est directement liée à la taille des éoliennes : plus les pales sont longues, plus elles doivent être solides, en restant légères. Il est loin, le temps où l’on construisait des pales en bois léger : elles ne pouvaient dépasser une dizaine de mètres de long sans se briser… contre plus de 100 m pour les grandes pales d’aujourd’hui.

Des erreurs graves pour l’avenir

La course technologique actuelle se concentre uniquement sur la production d’électricité. Comme si tout devait être électrique ! Ainsi, aujourd’hui, toutes les meuneries produisent de la farine de manière électrique. Pourtant, pour moudre une céréale, on a besoin d’une force. On a longtemps utilisé les moulins à vent. Ne pourrait-on pas envisager une version moderne de ces moulins, pour utiliser le vent directement, sans passer par l’électricité (4) ?
Le raisonnement est le même lorsqu’on part d’une centrale thermoélectrique, où la chaleur produit de l’électricité qui alimentera en aval un chauffage électrique. Mieux vaudrait décentraliser, et installer des capteurs solaires directement sur le bâtiment.
La voiture électrique relève d’une autre erreur : il faut transporter un poids énorme pour assurer l’approvisionnement du moteur : 250 kg de batteries pour une voiture qui, elle-même, pèse plus d’une tonne et s’alourdit d’année en année ! Même si l’électricité est d’origine renouvelable, la solution écologique serait probablement à chercher dans la diversification des usages du vélo électrique (5).

Commentaires de Marc Thiery

Parler de manière indifférenciée de « gigantisme » et agiter le spectre des installations industrielles (éolien ou photovoltaïque « industriels ») me semble une approche dommageable, de nature à provoquer des réflexes pavloviens de rejet dans des populations non averties des questions d’énergie :
• d’une manière générale, les grandes installations ont une plus grande productivité par rapport aux investissements engagés que les petites. Il faut toujours regarder si cet avantage n’est pas détruit par les coûts d’acheminement de l’électricité produite ;
• pour les éoliennes, la grande taille est un avantage incontestable, qui multiplie rapidement par cinq à dix la productivité par unité d’investissement. C’est un avantage incomparable. Reste à savoir si on doit concentrer des centaines de grandes machines sur un même espace, mais ce n’est plus la même question ;
• la concentration dans un même espace de nombreuses éoliennes ou de nombreux capteurs photovoltaïques ne peut se justifier que par l’utilisation d’espace artificialisés, et des besoins d’électricité correspondants qu’on ne pourrait pas satisfaire sans recourir à ces installations. C’est le cas de grandes concentrations urbaines, mais beaucoup de villes peuvent parfaitement s’en sortir en symbiose avec les territoires moins peuplés environnants.
Il est effectivement important que le gigantisme concentré des parcs ne soit pas au seul profit d’investisseurs qui font ensuite reposer tous les coûts induits (infrastructures et pertes de transport) sur les seuls consommateurs. Ceux-ci devraient faire partie intégrante de leurs propres investissements et coûts, ce qui permettrait une évaluation correcte de la compétitivité respective des divers investissements possibles pour faire face à un (vrai) besoin.


Question de paysage

Les opposants aux éoliennes dénoncent l’atteinte au paysage. Certes. Mais comparons ce qui est comparable.
Fin 2011, il y avait 3695 éoliennes en France sur 600 sites.
Par comparaison, il y a 16 000 châteaux d’eau en France. On ne peut pas dire qu’ils envahissent vraiment le paysage.
Par contre, il existe 250 pylônes électriques supportant 95 000 km de lignes à haute tension… que l’on conservera, si l’on maintient les grands projets de parcs éoliens, ou que l’on enlèvera — au moins en partie, si on décentralise la production.
(source : Marc Théry)

Le désintérêt pour les économies d’énergie

Ces erreurs ont un sens pour les multinationales : elles permettent une commercialisation facile et continue. Si vous vous chauffez au solaire, vous investissez une fois et ne consommez plus rien pendant une vingtaine d’années. Dans une société qui mise sur le renouvellement permanent, c’est inconcevable.
Et, si l’on débourse tant d’argent pour développer les énergies renouvelables et aussi peu pour l’isolation, c’est pour une raison similaire : une fois isolé, vous consommeriez beaucoup moins ! Nul doute que si l’isolation était plus systématique, nos multinationales inventeraient des isolants qui se dégradent avec le temps !

Le manque de contrôle citoyen

Tout ceci a été possible parce que le rapport de force entre les associations engagées (6) et les mastodontes de l’énergie n’est pas en faveur des premières. Dans un pays centralisé comme le nôtre, la situation est particulièrement difficile : la connivence entre l’Etat et ces grands groupes bloque les initiatives. Dans des pays plus décentralisés, comme le Danemark ou l’Allemagne, de nombreuses installations d’énergies renouvelables appartiennent à des coopératives de citoyens ou à des collectivités publiques (municipalités, syndicats intercommunaux) (7). Sans résoudre tous les problèmes (notamment le niveau technologique), cela permet clairement un couplage avec la maîtrise de la consommation : le Danemark et l’Allemagne sont les deux premiers pays où la consommation d’électricité est en baisse (8). En France, pour le moment timidement, Enercoop et Energie partagée (9) essaient d’enclencher un mouvement citoyen.

M. B.

(1) Offshore signifie en mer, par opposition à l’éolien terrestre.
(2) La lutte contre ce projet a été présentée dans le dossier de Silence no 428 (novembre 2014).
(3) L’un des plus gros fabricants se trouve à San José (Californie) et s’appelle… Nanosolar. A noter que le recours aux nanotechnologies permet de fortement limiter l’usage de composants rares.
(4) La variabilité du vent entraînerait sans doute une modification des conditions de travail, mais rien de plus compliqué à gérer que l’ouvrage d’un paysan d’aujourd’hui, lui aussi dépendant de la météo.
(5) Le taux de remplissage d’une voiture est de 1, 2 personne. Un vélo électrique consomme 80 fois moins qu’une voiture, et il existe des tandems avec remorque pour les bagages. Nous présentons régulièrement des exemples de nouveaux usages du vélo.
(6) La plupart sont fédérées au sein du CLER, Réseau pour la transition énergétique, 47, avenue Pasteur, 93100 Montreuil, tél : 01 55 86 80 00, www.cler.org
(7) En Allemagne, la moitié des installations échappent aux multinationales. Au Danemark, la participation citoyenne est obligatoire pour tout nouveau projet.
(8) En France, la consommation d’électricité est sensiblement stable depuis 2008, à 480 TWh par an… mais EDF estime que c’est une pause provoquée par la crise financière.
(9) Enercoop, 10, rue Riquet, 75019 Paris, http://www.enercoop.fr et Energie partagée, 40, rue de l’Echiquier, 75010 Paris, tél : 01 80 18 92 21, http://energie-partagee.org

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