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Maroc : la porte ouverte à l’impunité

Raphaël Granvaud

Ce n’est qu’en 2010 que le droit pénal français a été adapté au statut de Rome, permettant aux tribunaux de juger des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) : génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Avec de sérieuses restrictions toutefois, notamment l’obligation de « résidence habituelle » en France pour les auteurs présumés de tels crimes, et dans la pratique, une forte réticence des tribunaux français à juger certaines affaires, comme celles des génocidaires rwandais vivant en France. Le principe de compétence universelle des tribunaux français, qui permet à des victimes ou à des associations de porter plainte pour des crimes qui ne seraient pas jugés dans le pays où ils ont été commis, s’appliquait toutefois déjà en matière de terrorisme ou de torture. Mais peut-être plus pour très longtemps : un accord judiciaire avec le Maroc, datant du 31 janvier 2015, ouvre en effet la porte à une impunité renforcée.

La France protège les tortionnaires au Maroc

Celui-ci a été conclu après plus d’un an de brouille diplomatique. Au départ, une plainte à l’initiative de l’ACAT (l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture) visant Abdellatif Hammouchi, directeur de la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST) marocaine, qui a notamment sous ses ordres le centre de détention secret de Témara, pour torture et complicité de torture. Pour éviter que de telles situations ne se reproduisent, et pour se rabibocher avec le royaume chérifien, les autorités françaises ont consenti un accord de coopération judiciaire qui tord le bras à la justice française au nom de la raison d’État et de la « lutte contre le terrorisme » : il permet de transférer à Rabat des plaintes qui auraient été déposées en France contre des ressortissants marocains, laissant le soin à la justice marocaine d’enterrer les dossiers politiquement sensibles. Avec en prime une breloque pour Hammouchi, qui s’est vu remettre la Légion d’honneur par Bernard Cazeneuve, et quelques courbettes des ministres français à Rabat. Les intérêts économiques et stratégiques français méritaient bien ça.
Alors qu’Amnesty international publie un nouveau rapport sur l’usage systématique de la torture au Maroc, cet accord a été unanimement dénoncé par les organisations de défense des droits humains, le syndicat de la magistrature, ou encore la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Le texte, volontairement flou, est en effet contraire aux engagements internationaux de la France telle que la convention contre la torture ; il remet en cause le droit à un procès équitable et l’indépendance des juges et il introduit une rupture de l’égalité des citoyens devant la justice. Par ailleurs, il s’agit d’un précédent qui pourrait donner des idées aux nombreux Etats criminels avec lesquels la France entretient d’excellentes relations, et ainsi annoncer la mort programmée du principe de compétence universelle. Pour toutes ces raisons, la CNCDH a appelé les parlementaires français à rejeter le texte, qui leur a été soumis en procédure accélérée. Mais sans surprise, ces derniers (à l’exception des Verts et des Communistes) l’ont voté sans état d’âme…

Raphaël Granvaud

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org

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