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Center parcs ou les mensonges cyniques du capitalisme financier

Jean-Claude Besson-Girard

L’art de communiquer donne envie à beaucoup de payer une forte somme pour bénéficier d’un paradis artificiel… Pourtant derrière la façade de la bulle tropicale chauffée, se cache un projet idéologique à la gloire de la marchandisation de nos vies.

"En 2015, Le trophée d’or de la finance a été décerné au groupe Pierre & Vacances". À quoi tient le succès financier du groupe Pierre &Vacances, promoteur mondialisant des Center parcs ? À faire passer pour vrai ce qui ne l’est pas et pour "idéologique" la contestation qu’il fait naître, comme s’il ne participait pas lui même d’une idéologie plus que contestable. Ce succès est fondé sur l’habileté manipulatoire des "brillants publicitaires" qui le servent. C’est le vocabulaire, les mots et les formules qui sont le champ de bataille où il faut gagner pour attirer les investisseurs qui ne rêvent que de profits financiers. Il faut donc habiller les discours et les images avec tout ce qui peut séduire les clients, privés ou institutionnels, y compris ceux qui attendent des urnes la reconduction de leurs mandats. Ainsi, en Saône-et-Loire comme dans le Jura, la "gauche" comme "la droite" soutiennent les projets de Center Parcs du Rousset et de Poligny.

Les armes de la séduction

Que nous disent aujourd’hui les promoteurs de ces projets ? :
En 2015, "dans la continuité de renouvellement de la marque qui aspire à réinventer le tourisme de proximité en proposant une expérience de vie authentique ancrée dans le réel, l’humain et l’évasion", Center Parcs lance la campagne : Vraiment/Vrai. Elle entend montrer que "les enfants sont en totale déconnexion avec le réel et ont donc un besoin essentiel de se reconnecter à ce qui est vrai". Il n’est pas sans intérêt de comparer cette annonce alléchante avec la description de ce que sont réellement les Center Parcs, pour découvrir et souligner les manipulations mensongères de ce "groupe financier" : "Les Center Parcs sont des villages de vacances de court séjour ouverts toute l’année, implantés au cœur de domaines forestiers. Les résidents sont hébergés dans des centaines de « cottages » construits autour d’équipements de loisirs et de services (restaurants, commerces, espaces de jeux, etc.). L’attraction principale est l’Aqua Mundo, une bulle transparente maintenue à 29 °C abritant piscine à vagues, toboggans, jeux d’eau, rivière artificielle, etc., dans un décor tropical. Ces domaines sont sans voitures ; on s’y déplace à pied ou en vélo…  "

Nier la nature

Comment les enfants pourraient-ils « se reconnecter avec ce qui est vrai », sous une bulle transparente maintenue à 29 °C dans un décor tropical, quand, en hiver, la dormance des forêts, en Saône-et-Loire comme dans le Jura, nous rappelle la nécessité des saisons ?
C’est mépriser l’imaginaire de l’enfance, en lui substituant les leurres de l’artificiel qui nie la nature, sa beauté et la relation respectueuse qu’elle doit inspirer. C’est prendre les enfants en otage d’une idéologie destructrice du lien social et culturel en les engageant à devenir les futurs suppôts d’un capitalisme financier qui ne peut que nier l’existence de ceux qui s’y opposent au nom d’une autre conception de la vie en société. Et ce, au moment même où il est désormais avéré que les activités humaines dont le but n’est que la rentabilité financière à court terme sont largement la cause du dérèglement du climat et de l’effondrement de la biodiversité.
Et là aussi, entrent en jeu le mensonge anesthésiant du "développement durable" et la récupération de la sensibilité à l’écologie : "Ces domaines sont sans voitures ; on s’y déplace à pied ou en vélo". Mensonge encore, quant au "tourisme de proximité". En France, les témoignages concernant les quatre Center Parcs en fonctionnement montrent qu’une famille sur deux est venue de loin, de "l’étranger", pour passer 4 jours à patauger dans l’eau tiède sous une bulle maintenue à 29 ° été comme hiver, en dépensant 1000 € en moyenne. Et enfin, argument suprême dans un pays où le chômage augmente, on nous annonce que les Center Parcs créent des "emplois". Mais quels emplois ? Ceux de salariés à temps partiel pour des salaires de misère, soumis aux contrôles minutés de la rentabilité maximale requise par les "investisseurs".
Le cynisme et les mensonges de Pierre &Vacances n’ont pas de limites, mais tant que leurs clients choisiront, par ignorance ou conformisme, de contribuer à décimer des forêts heureuses pour y installer le bagne subtil du tourisme industriel, la servitude volontaire aura un bel avenir.
Au-delà des arguments économiques et des batailles de chiffres, lutter contre les projets de Center Parcs, c’est se battre pour des projets de société où la créativité, la dignité et le courage doivent prévaloir sur l’asservissement et les mensonges. C’est choisir la vie contre tout ce qui la menace. C’est défendre, pour nous comme pour ceux qui viennent après nous, les espaces de liberté et de partage sans lesquels triompheront l’égoïsme et la guerre de tous contre tous. Est-ce le monde que nous souhaitons pour nos enfants ?

Jean-Claude Besson-Girard

mai 2015.

Wild Blue (Bleu sauvage)

Jamais ce ciel ne se trouble, jamais il n’y pleut. Dans cette mer, personne ne risque de se noyer, cette plage est à l’abri des voleurs. Il n’y a pas de méduses pour vous piquer, ni de hérisson pour vous blesser, ni de moustiques pour vous emmerder. L’air, toujours à la même température, et l’eau, climatisée, évitent les rhumes et les pneumonies. Les eaux sales du port jalousent ces eaux transparentes ; cet air immaculé se moque du poison que les gens respirent en ville.
L’entrée n’est pas chère, trente dollars par personne, bien qu’il faille payer en plus les chaises et les parasols. Sur internet, on peut lire : "Vos enfants vous détesteront si vous ne les emmenez pas…" Wild Blue, la plage de Yokohama, enfermée entre des murs de verre, est un chef-d’œuvre de l’industrie japonaise. Les vagues ont la hauteur que les moteurs lui donnent. Le soleil électronique se lève et se couche quand l’entreprise décide de proposer à la clientèle des aurores tropicales extraordinaires et de rouges crépuscules sous les palmiers. – C’est artificiel – dit un visiteur. C’est pour cela que ça nous plaît.
(Eduardo Galeano, Sens dessus dessous, Homnisphères, p. 224)

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