Brève Chronique Dates du féminisme Femmes, hommes, etc.

1851 Mai : Sojourner Truth s’exclame : « Ne suis-je pas une femme ? »

Isabelle Cambourakis

En novembre 2015, Silence publie une grande affiche couleur intitulée « 100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui ». Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.

Aux États-Unis, le 19e siècle est traversé par les luttes pour la fin de l’esclavage, l’obtention du droit de vote pour les hommes noirs et l’émergence d’un mouvement suffragiste qui réclame le droit de vote pour les femmes. Pour autant si le mouvement féministe nord-américain doit énormément à la mobilisation abolitionniste, les relations entre militant.e.s de part et d’autre n’ont jamais été simples, les féministes privilégiant le ralliement des femmes du Sud à leur lutte et ignorant les femmes noires dans leurs revendications. Ainsi, lors du premier meeting suffragiste organisé en 1848, aucune femme noire ne se trouvait dans l’assistance.

« Et ne suis-je pas une femme ? »

C’est donc pleines d’appréhension que lors du meeting d’Akron en 1851, les organisatrices blanches virent une femme noire remonter la salle. France Dana Gage, présidente de cette assemblée, décrit dans un compte-rendu célèbre « une femme grande et maigre vêtue d’une robe grise et d’un turban blanc, coiffée d’un chapeau grossier » qui s’installa à la chaire et prit à partie tout le monde. Aux hommes qui déclaraient que les femmes ne sauraient obtenir le droit de vote puisqu’elles ne savaient même pas traverser une flaque d’eau sans aide, elle répliqua avec passion que lorsqu’elle travaillait dans les champs, on ne s’était pas inquiété de sa faiblesse de constitution. Aux femmes, elle rappela la nécessité d’inclure les femmes noires dans leurs revendications. Elle ponctuait son discours d’un « Ain’t I a woman ? » (« Et ne suis-je pas une femme ? ») qui marqua durablement les luttes féministes et celles pour les droits civiques. France Dana Gage dit encore : « Elle avait renversé la situation en notre faveur. De ma vie, je n’ai rien vu de comparable à la magie qui subjugua cette foule et transforma les sarcasmes et les huées de la horde excitée en marques de respect et d’admiration ».

Noires, abolitionnistes et féministes

Celle qui apostropha ainsi l’assemblée n’était pas une novice en matière de droits civiques. Sojourner Truth, née à la fin du 18e siècle, était une ancienne esclave qui avait rejoint les rangs des abolitionnistes et prenait régulièrement la parole dans des meetings à une période où les femmes s’exprimaient rarement en public. Comme de nombreuses femmes noires, elle résista au système esclavagiste, au racisme et au sexisme et devint célèbre aux États-Unis aux côtés de Frances E.W. Harper, Ida B. Wells-Barnett, Mary Church Terrell et Harriet Tubman qui fut l’une des organisatrices de l’Underground Railroad, réseau clandestin qui organisait la fuite des esclaves du Sud vers le Nord.
Ce discours est depuis régulièrement lu par les militantes, actrices, écrivaines africaines-américaines et présenté comme un des textes fondateurs de la conscience noire et féministe. Très inspirant, il insiste sur la capacité de révolte des noir.e.s américain.e.s et montre les liens existants entre racisme et sexisme. Les dominé.e.s ne sont pas mutiques et si l’histoire officielle n’a pas retenu leurs paroles, c’est à chacun.e de nous d’aller les chercher.

Isabelle Cambourakis

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