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La Réunion : peut-on y parler d’alternatives ?

Gaëlle Ronsin

Comme ailleurs, les luttes des années 1960 ont fait émerger à la Réunion un bouillonnement culturel, politique, militant et associatif. Les victoires des décolonisations connectent les Réunionnais aux rêves du monde entier, une histoire alternative (1) et un projet d’autonomie sont revendiqués. Mais ce modèle de développement local original, pensé par les militants (2) est aujourd’hui en panne…

A partir des années 1990, l’abandon de la revendication autonomiste par les politiques et le changement des réalités culturelles et sociales assèchent les dynamiques alternatives. « Les luttes et les rêves ont été récupérés, diffusés et cristallisés ; le projet global de transformation n’existe plus. Au contraire, les institutions, les médias, les institutions scolaires diffusent une culture française formatée. L’identité et la société créole sont figées alors qu’elles sont au contraire, de par leur nature, en constante transformation », explique Carpanin Marimoutou.

Une île en manque d’utopie ?

Le modèle de société actuel accentue cette déprise des alternatives : « Les hypermarchés quadrillent le territoire, et le modèle consumériste métropolitain s’est imposé, avec la prime au tout voiture. L’université n’a jamais été, depuis, le foyer d’aucune pensée autre que celle de l’obéissance aux dogmes managériaux et de l’économie capitaliste. Même le milieu culturel est devenu très plan-plan... » me raconte Igor Babou, professeur à l’université.
Mafate, le fameux cirque accessible uniquement à pied (3) peut apparaître de prime abord comme un lieu typiquement alternatif, puisque la vie quotidienne y est très proche de la nature. Mais peu de Mafatais y adjoignent une dimension politique : ils n’ont pas particulièrement choisi ce mode de vie et cherchent seulement à vivre comme ils l’entendent. De même, la Réunion est souvent présentée comme un laboratoire d’expérimentation de nouvelles pratiques écologiques (4). Mais ce discours est surtout une façon de « vendre » la Réunion, plutôt qu’un principe fécond d’initiatives.

Un monde associatif fragmenté

Les associations à la Réunion sont pourtant nombreuses (5). Dépendantes des subventions françaises, elles représentent un gisement d’emplois (6) qui compte.
Il existe deux sphères distinctes :
• des associations de quartiers, liées à la communauté et à la municipalité qui effectuent un travail social indispensable ;
• et des associations moins territorialisées, qui ont vocation à agir sur toute l’île dans les domaines culturel, agricole ou environnemental.
Néanmoins, ces projets apparaissent en majorité particularisés, fonctionnant dans leur coin, sans porter une vision politique globale.

Malgré ce constat un peu sombre, même si le mot « alternative » n’est peut-être pas entendu à la Réunion, il y existe de belles initiatives à découvrir, comme nous le faisons dans ce dossier. Mais sûrement aussi des marges, où s’inventent de nouveaux projets de société, qui restent à explorer…

Gaëlle Ronsin

(1) Dans la lignée des subaltern studies : un courant intellectuel né en Asie visant à réécrire l’histoire des sociétés postcoloniales du point de vue des « subalternes », c’est-à-dire des dominés et du plus grand nombre.
(2) Notamment du Parti communiste réunionnais, fondé par Paul Vergés en 1959.
(3) 700 personnes vivent à Mafate.
(4) La Réunion regroupe les principaux problèmes mondiaux sur seulement 2512 km2 : de multiples microclimats, des phénomènes climatiques violents (cyclones), des problèmes de transport et d’énergie, une surpopulation…
(5) Il existe entre 12 000 et 14 000 associations à la Réunion.
(6) Le monde associatif représentait 12,8 % de l’emploi privé à la Réunion en 2013.

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